Le mystère du gazoduc

 
Justice Sept mois après la plainte de deux Birmans sur les conditions de leur recrutement par Total, le parquet de Nanterre requiert un non-lieu alors que l'instruction n'est pas terminée.

Les enquêtes sur de grands groupes industriels français donnent souvent lieu à de curieux comportements de la justice. En mai 2002, deux Birmans réfugiés en Thaïlande avaient déposé plainte contre la compagnie pétrolière Total en affirmant avoir été enrôlés de force sur le chantier du gazoduc en Birmanie. Des bataillons militaires de la junte au pouvoir les auraient tirés de leurs villages pour les obliger à des travaux sans solde. A leur égard le parquet de Nanterre fait preuve d'une humeur changeante.
Le 9 octobre 2002, le procureur des Hauts-de-Seine entend leurs doléances. Il ouvre une information judiciaire pour "arrestation et séquestration". Sept mois plus tard les avocats de Total, dont aucun des dirigeants n'est mis en examen, réclament au parquet de se déjuger et de requérir un non-lieu. A la surprise générale, la compagnie obtient pleine satisfaction le 17 mai 2004 : le procureur, Bernard Pagès, invoque des arguments juridiques et demande un non-lieu à la juge d'instruction Katherine Cornier.
Mais celle-ci ne l'entend pas de cette oreille. Le 25 juin, la magistrate rédige une ordonnance où elle relève avec ironie "la position nouvelle et tardive du ministère public". Surtout, elle refuse de céder au parquet. L'avocat des Birmans, William Bourdon, dénonce cet "activisme du parquet qui prouve que le dossier est fondé sur des éléments sérieux". La guérilla en robe n'est pas terminée. Car le parquet a porté l'affaire devant la cour d'appel.

Article paru dans Le Point du 19 août 2004.