Birmanie>Net Hebdo n° 06
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie


Sommaire
> Edito
> Le travail forcé continue avec la complicité de TotalFinaElf
> TotalFinaElf dénonce les "allégations mensongères" de travail forcé
> "Allégations mensongères" ?

Edito

On ne comprendra sans doute jamais très bien comment des êtres humains peuvent être à ce point insensibles à la douleur d’autres êtres humains. On a beau avoir en tête nombre d’images insoutenables venues de tous les coins de la planète, ne savoir que trop bien ce que sont les horreurs qui se déroulent un peu partout simultanément à chaque acte quotidien de nos vies, on a toujours un dégoût particulier pour ceux que nous croisons peut-être tous les jours et qui sont les complices actifs de certains des sommets de la barbarie. A quel cadre de TotalFinaElf capable de nier jusqu’à l’absurde la très lourde responsabilité de son entreprise dans des crimes commis en Afrique ou en Birmanie ai-je souri ce matin dans la rue ? On ne répétera jamais assez non plus qu’il ne faut pas toujours porter l’uniforme, ni être armé, ni même être présent sur place pour être complice des viols, des massacres, du travail forcé, et de toutes les atteintes aux droits de l’Homme qui finissent par être le corollaire quasi-mécanique à l’installation de TFE dans un pays du sud. On aimerait que le dialogue, c’est-à-dire l’intelligence, suffise pour convaincre que la fin ne justifie pas tous les moyens. On aurait aimé que le ministère des Affaires Etrangères, arrêté par le respect que l’on ne peut qu’avoir pour les morts et ceux qui le sont presque déjà, ne demande pas à la justice américaine de ne pas juger le groupe pétrolier pour complicité de " graves atteintes aux Droits de l’Homme " à Los Angeles pour " ne pas nuire aux intérêts économiques de la France puisque Total est une compagnie de droit français ". Quel affront aux victimes que d’avoir fait en sorte que seul Unocal ait à répondre de ses actes.
Nous nous réjouissions dans l’édito de Net Hebdo n°3 du fait qu’une chance s’offrait à la justice française de dire que l’on ne peut pas faire n’importe quoi, fut-ce à l’autre bout de la planète. Elle a depuis saisi cette chance. Le parquet de Nanterre vient de déclarer recevable la plainte pour "crime de séquestration" déposée fin août par M° William Bourdon. Une information judiciaire a été ouverte, et un juge d'instruction, Katherine Cornier, désigné. Il est de plus en plus osé pour Monsieur Desmarest de dire que " TOTALFINAELF ne fait pas de politique et n’intervient pas dans la politique intérieure birmane ".
Il est tout de même bien triste de constater que seuls les tribunaux sont désormais en mesure de faire valoir ce que la plus infime particule d’Humanité impose. Encore que comme le soulignait vendredi dernier Libération " la plainte est politiquement délicate à manier ". C’est qu’au moment même des grandes déclarations du sommet de la francophonie, il n’est pas sur que les Droits de l’Homme passent avant les intérêts économiques de la firme pétrolière.



Le travail forcé continue avec la complicité de TotalFinaElf
Sources : AFP, 21 octobre 2002-10-22 / Libération, 21 octobre 2002-10-22

Alors même que le parquet de Nanterre venait de designer un juge pour instruire la plainte déposée par M° Bourdon, on apprenait lundi qu’un rapport de 350 pages signé par Janek Kuzkiewicz, directeur adjoint des droits humains et syndicaux de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), et mettant en cause l’action de TotalFinaElf en Birmanie, etait rendu public.
Rappelons que le gazoduc Yadana, long de 645 km, dont 63 à travers le sud de la Birmanie, a été construit par un consortium regroupant Total et l'américain Unocal, et a apporté une manne de 2 milliards de dollars à la junte au pouvoir.
C’est sur ces 63 km que de nombreuses exactions ont été commises, au vu, au su, et à cause de TotalFinaElf. Ce document est publié au moment où le Conseil des affaires générales de l'Union européenne, réuni lundi et mardi à Luxembourg, doit examiner entre autres la situation en Birmanie. La CISL lui demande d'interdire tous investissements étrangers en Birmanie.
La CISL, qui regroupe 225 organisations syndicales dans 148 pays, a joué un rôle important dans le processus qui a amené l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a formuler des recommandations de sanctions économiques contre le régime birman. Celui-ci a dû accepter la présence d’un officier de liaison permanent de l’OIT sur son sol. Début octobre, la Vietnamienne Hong-Trang Perret-Nguyen a pris ses fonctions à Rangoun .
Nous reproduisons ici l’interview que Janek Kuzkiewicz a accordé à Libération lundi 21 octobre 2002, puis la réponse du groupe. Il est par ailleurs possible de lire ce rapport sur le site Internet de la CISL:
www.icftu.org
http://www.icftu.org/displaydocument.asp?Index=991216597&Language=EN http://www.icftu.org/displaydocument.asp?Index=991216597&Language=EN

Quelles nouvelles preuves apportez-vous sur l'implication de TotalFinaElf dans le travail forcé en Birmanie ?

Pas moins de 16 villages ont été forcés de participer en avril dernier à la construction d'une route à proximité du gazoduc. Mais alors qu'on avait assuré aux familles ( un millier de personnes ) qu'elles seraient payées, elles n'ont rien perçu. TotalFinaElf se défend en disant avoir un contrat uniquement avec l'armée, qu'elle paie pour assurer la sécurité du gazoduc. Et assure lui avoir demandé de ne plus avoir recours au travail forcé. Mais, de fait, elle accepte de lui sous-traiter du travail. Et se cache derrière son contrat sans chercher à voir les atteintes aux droits de l'homme...

Quelle est la nouveauté de ces accusations par rapport aux précédentes ?

La nouveauté, c'est qu'en dépit des efforts de communication de TotalFinaElf, la situation n'a pas changé, bien au contraire. Dès le début des travaux, le travail forcé et le déplacement de populations se sont multipliés. Et TotalFinaElf a nié. Une fois le gazoduc fini, la firme, pour l'exploiter, a sous-traité la sécurité (escorte des expatriés, construction de routes, postes de gué) à l'armée qui force la population à travailler sans la payer. Et Total s'évertue à nier. Malgré une pause l'an passé après une inspection de l'OIT, le travail forcé reprend de plus belle. Et Total nie encore.

Avez-vous tenté de contacter le groupe ?

Non, c'est une perte de temps. Il se borne à assurer que les accusations sont infondées, qu'il a un code de conduite et travaille dans la transparence. Il assure avoir ouvert des écoles et des dispensaires, voire des élevages de poulets. Mais il ferme les yeux sur le reste. La conscription imposée par l'armée et le travail forcé s'aggravent. Les groupes syndicaux deviennent le centre de violentes attaques. Et l'investissement des multinationales, comme TotalFinaElf, contribue à maintenir la junte en place.

Comment expliquez-vous que TotalFinaElf tolère une telle situation ?

Le groupe n'a toujours pas compris qu'il va se trouver face à une situation de plus en plus inconfortable, confronté à deux procédures judiciaires en France et en Belgique, et une autre, plus indirecte, aux Etats-Unis. De nombreuses firmes sont pourtant déjà parties de Birmanie ou s'apprêtent à le faire, comme Premier Oil. D'autres comme Shell au Nigeria, ont commencé, même timidement, à tirer les leçons de leur implication directe ou indirecte dans les violations des droits de l'homme. Pas TotalFinaElf.



TotalFinaElf dénonce les "allégations mensongères" de travail forcé

Source : AFP, 21 octobre 2002

Le groupe pétrolier français TotalFinaElf s'est élevé lundi contre les accusations de complicité de recours au travail forcé en Birmanie lancées par un responsable de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), les qualifiant "de raccourcis voire d'allégations purement mensongères". Le groupe pétrolier a souligné, dans une mise au point distribuée à la presse, que les propos du responsable du CISL, Janek Kuzkiewicz, au quotidien Libération critiquant la présence du groupe en Birmanie sont fondés "sur des
raccourcis, des simplifications, voire des allégations mensongères". TotalFinaElf "n'a jamais eu +de contrat avec l'armée birmane+", a assuré le
groupe, ajoutant qu'il est de "la responsabilité des gouvernements des pays hôtes, en Birmanie comme ailleurs, d'assurer la sécurité des personnes et des installations, et cela sans contrepartie". Pour ce qui est du travail forcé, le groupe "n'a jamais nié que cette
pratique ait eu cours en Birmanie qui a publié deux décrets en 1999 et 2000 l'abolissant". TotalFinaElf "réaffirme avoir la maîtrise complète, du début à la fin, de ses opérations dans ce pays et avoir travaillé dans le respect de ses exigences habituelles vis-à-vis des personnes employées sur ses projets". Il s'est également "assuré que ses sous-traitants agissaient de même", a-t-il dit dans le communiqué. Le groupe nie qu'il y ait eu déplacement de populations dans la région où le gazoduc Yadana a été construit, indiquant que "des cartes établies par l'IGN
montrent que les villages (qui existaient avant le début de travaux) étaient à la même place après l'achèvement du chantier de gazoduc".
TotalFinaElf a indiqué vouloir poursuivre ses activités dans le pays soumis à une dictature militaire.
"Une question se pose: les industriels doivent-ils rester en Birmanie? Certains pensent que non et c'est leur droit", a dit TotalFinaElf, qui s'est
demandé si le fait d'"isoler ces populations en interrompant tout investissement étranger", était "la meilleure façon de les aider".
"Nous estimons, au contraire, que contribuer à son développement, c'est favoriser une évolution de ce pays et de sa société", a-t-il conclu.



"Allégations mensongères" ?

" Déclaration relative aux arrestations politiques en Birmanie faite par la présidence de l’UE au nom de ses membres (11 octobre 2002).

La façon dont TotalFinaElf repond à ses accusateurs a beau ne pas surprendre qui est habitué au cynisme du groupe pétrolier, elle justifie sans avoir à ajouter le moindre commentaire le dégoût décrit dans l’éditorial. Tentons cependant de reprendre quelques points de cette " mise au point distribuée à la presse ".
On accordera simplement au groupe que le " raccourci " qui conduit à dire que TFE tire profit du travail forcé mérite de plus longues explications. Mais outre qu’elles sont contenues dans les 350 pages du rapport, cette " allégation " nous semblent au contraire très justes. En revanche, le distinguo subtil qui fait dire à la " mise au point " que TFE n’a pas de contrat avec l’armée est scandaleux. En effet, TFE a un contrat avec le gouvernement birman. Un gouvernement militaire faut-il le rappeler. Quant à savoir dans quelle mesure TFE est impliquée dans le travail forcé qui a eu cours sur le chantier du gazoduc, une instruction vient d’être ouverte pour le déterminer. Il nous est également dit que la pratique du travail forcé n’a jamais été niée. Ce n’est d’ailleurs pas de cela que TFE est accusée, mais à la voir se contenter d’un " deux décrets l’abolissant on été publié en 1999 et 2000 ", on hésite à la qualifier de naïve ou de malhonnête. Une fois de plus, et cela vaut pour la plupart des affirmations rapportées par l’AFP, une instruction est désormais en cours. Après Los Angeles, après Bruxelles, on jugera TFE à Paris.
Le dernier point est le plus intéressant.
TFE se demande si le fait d'"isoler ces populations en interrompant tout investissement étranger", est "la meilleure façon de les aider".
"Nous estimons, au contraire, que contribuer à son développement, c'est favoriser une évolution de ce pays et de sa société".
Cette question est effectivement très importante. Sous la pression de l’opinion publique, Premier Oil vient de changer son fusil d ‘épaule en décidant de se retirer de Birmanie. Au contraire TFE reste, comme le répète inlassablement Aung San Suu Kyi depuis 1996 " le principal soutien à la dictature birmane ".
Nous avons tendance à penser que la demande maintes fois formulée des démocrates birmans (qui ont remporté les élections de 1990 et sont donc légitimes) de voir la communauté internationale instaurer un véritable boycott se suffit à elle même. Nous renvoyons à ce sujet à la déclaration de Copenhague publiée dans Net Hebdo n°2. Mais quitte à passer outre cette demande, on se demande de quel développement parle TFE, à quelle évolution ce développement peut mener, et surtout de quelle façon la compagnie pétrolière a t-elle l’impression d’avoir aidé le peuple birman à sortir de son isolement depuis 1994. On ne peut que comprendre qu’il s’agit ici de la minorité qui profite de la dictature, et pas la population. C’est précisément contre cette vision du monde que s’élève Info Birmanie.


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