Edito:
Sida en Birmanie
La nouvelle de la semaine, c’est bien sur la libération
de 115 prisonniers politiques. Pris par le temps, nous nous
contenterons à ce sujet de publier ici l’article
du Figaro, interessant à bien des points de vues. Veuillez
nous en excuser. L’autre fait marquant, c’est la
sortie du rapport de l’Onusida. Il a beaucoup été
fait etat dans la presse de la situation dramatique que connaît
la Chine, alors que ses dirigeants commencent à peine
à reconnaître que le fléau a atteint leur
pays. Comme nous l’avons déjà écrit,
la Birmanie est supposée connaître des taux de
Sida dépassant de loin ceux que l’on peut constater
chez ses voisins, et qui au contraire rappellent l’Afrique
de l’Est. " Supposée ", car tant que
la junte continuera à fermer les yeux, il sera très
difficile d’avoir des données précises.
L’ampleur du drame est néanmoins devenue telle
qu’elle est en elle même une clé aux développements
politiques du pays.
Parce que d’un côté Aung San Suu Kyi conditionne
son soutien à une aide exterieure au contrôle de
celle-ci, et que d’autre part les militaires peuvent de
moins en moins faire sans, la crise humanitaire (malnutrition,
sida, sans compter les atteintes aux droits de l’Homme)
est désormais le premier point d’accroche au bras
de fer que se font les démocrates et les militaires.
Aux dépens des seconds et de la population.
C’est dans ce contexte que la junte continue à
donner des signaux forts (libération d’Aung San
Suu Kyi en mai, de 115 prisonniers politiques aujourd’hui
), sans avoir l’air d’avancer d’un centimètre
vers la démocratie.
115 prisonniers
politiques libérés
LE FIGARO, 26 novembre 2002
MYANMAR
Rangoon libéralise en trompe-l'oeil
Le régime militaire birman a commencé à
libérer 115 prisonniers politiques, la vague de loin
la plus importante depuis que Rangoon a amorcé les élargissements
d'opposants, à un moment où la pression s'accroît
sur la Birmanie pour qu'elle amorce une transition politique.
Cette mesure a été annoncée moins d'une
semaine après la visite de l'émissaire de l'ONU,
Razali Ismail, et alors que les généraux birmans
sont accusés de traîner les pieds pour l'ouverture
d'un dialogue politique avec l'opposition qui déboucherait
sur une démocratisation et leur retrait du pouvoir.
Etrange leçon de civisme, baptisée " désir
du peuple ". En Birmanie, l'une des pires dictatures de
la planète, les murs menacent en caractères géants
: " Ecrasons les ennemis de l'armée. "
L'euphorie provoquée par la levée de l'assignation
à résidence de la célèbre opposante
Aung San Suu Kyi, il y a plus de six mois, est retombée.
Pour donner l'illusion qu'une " nouvelle ère "
est sur le point de s'ouvrir, la junte militaire birmane, au
pouvoir depuis 1988, gesticule. Elle fait valoir qu'elle a libéré
jeudi 115 prisonniers politiques, " la vague de libérations
de loin la plus importante ", insiste la société
américaine en communication des généraux
birmans.
Mais le Conseil d'Etat pour la paix et le développement
(SPDC, acronyme de la junte), " oublie de dire qu'il s'agit
de prisonniers en fin de peine, qu'il en garde un millier dans
ses geôles ou que, récemment, 21 étudiants
ont été arrêtés pour avoir formé
sans autorisation un cercle littéraire ", rétorque
Tennyson, officier de la guérilla karène qui achète
son bétel dans un étal du marché birman
de Sangklaburi, à la frontière thaïlando-birmane.
Jeudi dernier encore, Khin Maung Win, un étudiant en
droit, auteur de pamphlets sur le régime, a été
condamné à sept ans de prison. Bref, le gouvernement
" brûle beaucoup de gnapi (saumure de poisson extrêmement
odorante). Mais le peuple ne sent rien ". Version locale
de " Beaucoup de bruit pour rien ". " Tant que
les “chiens fous” – surnom des généraux
au pouvoir – ne seront pas morts, la Birmanie restera
une immense prison ", conclut Tennyson.
Le dialogue entre la junte et l'opposition démocratique
est mort-né. " Les discussions historiques et secrètes
de réconciliation nationale ", annoncées
fin 2000, n'ont pas démarré. Découragé,
Razali Ismail, médiateur des Nations unies, envisage
de démissionner. " Négocier avec les généraux,
c'est comme jouer de la harpe à des buffles ", estime
Kyaw Win, un opposant en exil en Thaïlande. Douze ans après
les élections législatives du 27 mai 1990, remportées
haut la main par le parti de Aung San Suu Kyi et annulées
pour cette raison, les gradés se cramponnent au pouvoir
et répètent les mêmes principes de prudence
: " La précipitation vers la démocratie est
dangereuse ", croit bon de dire Khin Nyunt, numéro
trois de la junte et chef des renseignements militaires.
Ruinée par l'incurie des gradés, la Birmanie est
devenue l'un des pays les plus pauvres du monde. La population
agonise. A Rangoon, l'électricité ne fonctionne
plus que quelques heures par jour. Les prix sont devenus astronomiques.
Les salaires n'ont pas suivi : une secrétaire ou une
maîtresse d'école ne gagne que 3 000 kyats (3,5
euros) par mois, soit le prix d'un poulet.
C'est la course à la survie. A Mingaladon, le quartier
de l'aéroport de Rangoon, les mères offrent leurs
filles aux soldats en permission pour 150 kyats (17 centimes
d'euros). Les plus affamées pratiquent le matangné
(l'amour debout) contre une portion de nouilles jaunes. Les
moins scrupuleux ont inventé de nouveaux moyens de subsistance
: ils louent les morts pour une semaine et organisent des tripots
autour du cadavre en décomposition. Pendant la veillée
du mort, seul moment où les jeux d'argent sont tolérés
après avoir graissé la patte des policiers et
chefs locaux, les villageois jouent leurs derniers kyats au
hollywood, version birmane du poker. Les organisateurs prélèvent
un pourcentage sur les gains.
Dans les campagnes, les paysans qui doivent tenir le rythme
des trois récoltes de riz par an ordonnées par
la junte et destinées à l'exportation pour remplir
les caisses nationales de devises ne sont plus que " des
bêtes de somme et doivent se contenter d'un exécrable
porridge ", explique Saw Ehlerhtoo, originaire de Pathein,
raflé par l'armée pour travailler à la
construction d'une route, qui a trouvé refuge en Thaïlande.
La population est à cran. Pour des broutilles, les esprits
" s'enflamment comme le fourrage ". Au marché,
les clientes s'insultent de " femme à cent hommes
", " épouse d'un chien " en retroussant
leur sarong.
Pour tenir le coup, on se raconte des histoires les plus sordides
les unes que les autres. Un peu comme pour se convaincre qu'il
y a plus malheureux que soi. Un paysan de Yakwe réquisitionné
par l'armée pour la construction d'une route ne parvenait
plus à nourrir ses enfants, toute la famille a avalé
de la mort aux rats.
Durant les pwe, les fêtes de quartiers données
en hommage aux esprits, on moque les gradés, avec des
jeux de mots, malgré la menace constante d'une arrestation
et de tortures pour qui ose critiquer les puissants. Tout est
bon pour se mettre du baume au coeur : " Win Aung –
ministre des Affaires étrangères – est un
menteur, il a les dents de traviole ", entend-on. "
On va être débarrassé de Maung Aye –
numéro deux de la junte et chef d'état-major des
armées –, car cette année n'est pas bénéfique
aux personnes nées un jeudi. " On parie sur le prochain
nom de la junte militaire, experte en changement d'étiquettes
: elle a troqué " la loi et l'ordre " pour
" paix et développement ", il n'y a plus de
" travail forcé " en Birmanie mais du "
loapi ", travail volontaire. Les uns penchent pour "
démocratie 100 % ", les autres pour " superdémo
cratie ".
Et quand on a épuisé ces maigres satisfactions,
on s'enivre avec un tord-boyaux distillé par les lépreux
du village de Htaukyant au nord de Rangoon ou on se roule des
boulettes d'opium et de fibres de coco que l'on fume avec une
pipe à eau. " Le SPDC mange nos joies, mange nos
larmes. Le gouvernement nous écrase, nous comprime, nous
sommes devenus des âmes mortes ", estime Nai Ka Za
Mon, un ancien guérillero môn, en exil dans le
village thaïlandais de Ban Wangka qui domine un lac.
La paranoïa des dirigeants birmans est telle, qu'il est
même dangereux d'être un vendu. Le présentateur
vedette de la Myanmar TV a fini en prison après avoir
dit à une candidate d'un concours de chant qui venait
d'avoir l'équivalent de son baccalauréat : "
Tu as donc fini ton cursus scolaire. " Cette phrase anodine
a été interprétée par les censeurs
comme une allusion au fait que tous les établissements
d'enseignement secondaire sont fermés depuis plus de
six ans.
Relations Bangladesh-Birmanie
Reporters sans frontières : Une opération coup
de poing en hommage aux 110 journalistes actuellement emprisonnés.
Le ministre des Affaires Etrangères du Bangladesh, M.
Morshed Khan s’est rendu en Birmanie du 20 au 22 novembre,
pour discuter avec son homologue birman U Win Maung, des relations
économiques entre les deux pays, notamment concernant
l’autoroute Dhaka-Rangoun. Des ingénieurs birmans
ont commencé en septembre à étudier la
possibilité de transformer la route qui relie les villes
de Maung Daw, Buthidang et Rathidang dans l’Etat Arakan
en autoroute (environ les deux tiers de la partie birmane de
cette autoroute se situeront dans cet Etat). Les autorités
de Dhaka ont d’ores et déjà proposé
à la junte la construction d’un pont de l’amitié
qui traverserait la Naaf, rivière qui constitue la frontière
naturelle entre les deux pays. De son côté, le
numéro un de la junte, Than Shwe, devrait se rendre au
Bangladesh les 17 et 18 décembre, à l’invitation
du Premier ministre Begum Khaleda Zia. Dans le même temps,
soixante-six prisonniers birmans ont été "
rendus " à leur pays. La plupart d’entre eux
seraient des pêcheurs appréhendés dans les
eaux territoriales du Bangladesh, et qui ont purgé leur
peine. Il pourrait s’agir d’un important changement
de la politique birmane au sujet de ses ressortissants emprisonnés
ou réfugiés au Bangladesh. On sait que plusieurs
milliers de birmans, principalement des Rohingyas, ont fui la
répression en se réfugiant au Bangladesh. Ce pays,
qui connaît une situation économique et humanitaire
fragile, cherche depuis plusieurs années à "
faciliter " le retour des 22 000 Rohingyas qui survivent
dans des camps de fortunes, sans parler des 4 ou 5 000 personnes
qui " squattent " la foret depuis que le gouvernement
du Bangladesh leur refuse le titre de réfugiés,
incapable d’en assumer un si grand nombre. Cette tache
etait jusqu’alors rendue difficile par le manque de coopération
(c’est un euphémisme) de la junte bimane. Il faut
dire que cette minorité musulmane n’est pour le
moins pas bien vue dans son propre pays, où le racisme
ambiant amène une bonne partie de la population (et malheureusement
chez les démocrates comme chez les militaires) à
considérer les Rohingyas, musulmans, comme des non-birmans,
en dépit de toute vérité historique. Le
renversement éventuel l’attitude de la junte à
leur égard ne serait donc pas forcément une très
bonne nouvelle.
Front "peu commun contre l'impunité"
A l'appel d'Actions Birmanie et des Magasins du monde-OXFAM,
près de 150 personnes étaient présentes
ce 27 novembre sur les marches du Palais de Justice de Bruxelles
pour remettre au Procureur du Roi les 4000 cartes de soutien
à la plainte déposée par 4 réfugiés
birmans contre TotalFinaElf. Plusieurs associations et syndicats
se sont associés à cette manifestation qui, au-delà
du dossier birman, visait à soutenir la loi belge de
Compétence Universelle. Citons: la FGTB, la CSC, la Ligue
des Droits de l'Homme, Attac, L'Association des Anciens Prisonniers
du camp de Natsweiler-Struthof, la CISL, Human Rights Watch,
la Fédération Internationale des Ligues des Droits
de l'Homme, la Ligue des Familles. Des victimes dans d'autres
dossiers relevant de la Loi de Compétence Universelle
étaient également présentes.
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