Edito
L’information de la semaine, c’est bien sur la mort
de Ne Win, le dictateur qui régna sur la Birmanie de
1962 à 1988. Nous y consacrerons donc ce Net Hebdo. Mais
c’est aussi le retour d’Aung San Suu Kyi à
Rangoun après une longue visite en pays Shan. Elle y
a participé à la réouverture de quatre
bureaux de la NLD, désormais au nombre de 72 dans tout
le pays (bien que comme l’a rappelé le porte-parole
de la NLD, U Lwin, 230 d’entre eux restent encore clos).
Une Suu Kyi optimiste, qui a une fois de plus répeté,
lors d'une interview accordée à la BBC, que des
changements interviendraient dans son pays, meme si le processus
devait etre plus long que ce que les démocrates pourraient
esperer. Contrairement à l'envoyé spécial
des Nations Unies, Razali Ismael, elle garde volontairement
l'espoir que le dialogue aboutira, allant jusqu'à preciser
qu'elle n'a pas d'animosité envers les militaires, d'autant
moins que son père fut le fondateur de l'armée
Birmane. Elle a par ailleurs rappellé la priorité
que constitue la question des prisonniers politiques. En effet,
alors même que Win Tin, journaliste emprisonné
depuis 1989, reçoit en France le soutien de reporters
sans frontières et le parrainage de l’humanité,
de lourdes interrogations subsistent sur la libération
pourtant clamée haut et fort de 115 d’entre eux.
D’après l’opposition, seulement 60 prisonniers
auraient été libérés, dont 51 membres
de la NLD. Par ailleurs, des rumeurs d’exécutions
sommaires dans les prisons ont circulé assez largement
ces derniers jours. Ne Win est mort, mais ses pratiques sont
bien vivaces. C’est peut-être ceci, et la mise au
ban des Nations qui en découle, qui explique l’échec
de l’appel d’offre qu’a lancé la junte
en direction des firmes minières. Seules deux d’entre
elles ont répondu. On peut s’en féliciter,
et se dire que la pression que les ONG comme Info Birmanie tentent
de mettre sur les sociétés qui traitent avec la
junte commence à porter ses fruits. Une autre preuve
que le vent est clairement en train de tourner nous vient d’Angleterre.
Les Universités de ce pays viennent de mettre en place
un système de places réservées pour des
dissidents Birmans, comme il y a quelques années elles
l’avait fait pour des Sud Africains membres de l’ANC,
qui combattaient alors l’Apartheid. Une bonne initiative
qui pourrait donner de bonnes idées à d’autres
Universités, ici, en France ?
La mort
de Ne Win passe inaperçue et n'aura pas d'impact
Source : AFP, 6 décembre 2002
La mort de Ne Win, ancien homme fort de Birmanie, est passée
quasiment inaperçue et les analystes soulignaient vendredi
qu'elle aurait peu, voire même pas du tout, d'impact sur
l'évolution du pays. Le nonagénaire, qui a régné
d'une poigne de fer à Rangoun de 1962 à 1988,
est
mort jeudi et a été incinéré quelques
heures plus tard, lors d'une cérémonie bouddhiste
simple et rapide à laquelle n'assistait aucun des hauts
responsables de la junte, dont certains lui doivent leur ascension.
Vendredi, le quotidien officiel New Light of Myanmar --probablement
l'un des
rares journaux de la planète à n'avoir pas publié
une ligne annonçant les attentats du 11 septembre ou
de Bali-- a passé le décès sous silence,
de même que la radio et la télévision. Dans
sa version en langue birmane, le New Light a publié toutefois
en page intérieure un sobre avis de décès
de la famille, jusqu'à récemment la première
famille de Birmanie: "A Ne Win, notre Père, à
qui nous devons gratitude".
Pour les experts interrogés à Rangoun, même
si l'ampleur du soutien dont Ne Win jouissait encore au sein
de certains cercles, notamment dans l'armée, est impossible
à jauger avec un régime aussi opaque, sa mort
n'aura guère de répercussions. "Il y a ceux
qui pensent qu'il n'avait plus aucune influence sur les généraux
au pouvoir aujourd'hui et donc que sa mort n'a pas d'importance",
explique Win Naing, membre d'un parti pro-démocratie,
"et d'autres pour qui il exerçait encore quelque
influence et que son décès pourrait amener la
junte à
plus de souplesse vis-à-vis de l'opposition". "Personnellement,
je n'attends aucun changement: depuis au moins cinq ans Ne
Win avait perdu tout contrôle sur les généraux",
conclut-il. Aung Zaw, rédacteur en chef de la publication
birmane Irrawaddy basée en
Thaïlande, partage cet avis: "aucun changement important
n'interviendra: Ne Win n'avait plus de pouvoir, il avait totalement
quitté la politique il y a de nombreuses années".
Certains experts lui avaient prêté un rôle
politique en coulisse après son retrait en 1988, mais
plus nombreux étaient ceux qui estimaient que Ne Win
avait perdu le goût de la politique et préférait
s'adonner à la méditation dans la vie de reclus
qu'il menait dans sa villa ultra-sécurisée au
bord d'un grand lac de Rangoun, sa fille chérie Sandar
Win à ses côtés.Il n'en reste pas moins
qu'après avoir détenu des pouvoirs considérables
sur trois décennies, façonné le destin
d'un pays isolé devenu exsangue et envoyé de nombreux
opposants à la potence ou en prison, Ne Win a connu "une
bien triste fin", comme le souligne Aung Zaw. "Finir
comme ça, comme un paria! Il savait qu'il mourrait dans
la disgrâce et il ne pouvait plus voir ses petits-fils
qu'il aimait vraiment, parce qu'ils étaient en prison.
Il ne voulait sûrement plus vivre encore longtemps".
La chute du patriarche est arrivée après la découverte
d'un complot attribué par la junte à son gendre
et ses trois petits-fils en mars.
Ne Win a été placé en résidence
surveillée avec Sandar Win, épouse et mère
des quatre accusés qui ont été condamnés
à la pendaison et attendent ces jours-ci l'issue de l'appel
qu'ils ont interjeté.Les obsèques de Ne Win expédiées,
il est improbable que le régime militaire
organise les funérailles d'Etat auxquelles sa qualité
d'ancien président lui donnait droit. La disparition
de Ne Win pose la question du traitement que la junte va réserver
à Sandar Win, épargnée tant que le vieillard
était encore en vie, mais qui est perçue comme
le "cerveau" de cette famille devenue gênante
avec son poids dans des secteurs entiers de l'économie,
son association à des scandales de corruption et ses
privilèges exorbitants. La junte avait laissé
entendre après la découverte du complot que le
sort de cette femme ambitieuse serait réglé en
temps voulu."Elle avait été placée
en résidence surveillée avec lui pour s'occuper
de son père", note un analyste, "mais maintenant?.."
Ne Win : la disgrâce à la suite
d'un "complot" contre le régime
Source : AFP, 5 décembre 2002
La disgrâce brutale de Ne Win, mort jeudi, a pris la forme
d'une assignation à résidence en mars de l'ancien
despote, après la découverte d'un "complot"
attribué par le régime à quatre membres
de sa famille et dont l'annonce avait fait l'effet d'une bombe
à Rangoun. Le gendre de Ne Win, Aye Zaw Win, 54 ans,
et ses fils, Aye Ne Win, 25 ans, Kyaw Ne Win, 23 ans, et Zwe
Ne Win, 21 ans, avaient été arrêtés
début mars à la stupéfaction générale
et accusés de haute trahison et de divers crimes économiques
: importation illégale de voitures ou fraudes dans la
téléphonie mobile notamment. Ils avaient été
arrêtés alors qu'ils venaient de rencontrer un
officier pour fomenter, d'après la junte, un complot.
Beaucoup d'analystes sont restés sceptiques sur la réalité
et l'ampleur du complot attribué aux accusés,
mais leur condamnation a permis d'écarter une dynastie
qui était devenue une cause d'embarras croissant. Les
membres du clan Ne Win devaient prendre en otages le généralissime
Than
Shwe, le général Maung Aye et le général
Khin Nyunt, respectivement numéros un, deux, et trois
du régime, et les amener à faire allégeance
devant Ne Win, selon le scénario présenté
officiellement. Ne Win et sa fille Sandar Win, femme puissante
et ambitieuse, étaient depuis
mars confinés dans leur résidence de Rangoun "pour
leur sécurité". Le 26 septembre, les quatre
membres de la famille de Ne Win ont été condamnés
à la pendaison. Ils ont interjeté appel de leur
condamnation et leur sort devrait être connu dans les
jours à venir. Les analystes estiment que les peines
seront commuées. Leur procès s'est déroulé
pendant quatre mois dans l'indifférence générale,
apportant à peine une diversion à la myriade de
problèmes, notamment économiques, auxquels est
confronté le peuple. Mais les Birmans n'ont pas pleuré
à l'énoncé du verdict. Au contraire. Trafics
économiques divers et variés, mainmise sur des
secteurs entiers de
l'économie, passe-droits, abus de pouvoir et frasques
des rejetons semant la terreur dans Rangoun, les excès
et l'arrogance des descendants de Ne Win étaient devenus
par trop voyants. La découverte du complot s'était
soldée par une série d'arrestations,
notamment dans l'armée, et avait mis fin d'une manière
spectaculaire à l'ère de l'ancien autocrate qui
avait régné d'une main de fer sur la Birmanie
pendant 26 ans.
Ne Win, ou l'impasse de la "voie birmane
vers le socialisme"
Source
: AFP, 5 décembre 2002
Ne Win, l'ancien autocrate décédé jeudi
à Rangoun, a incarné la "voie birmane vers
le socialisme", une expérience désastreuse
qui a conduit la Birmanie à un isolement et une banqueroute
dont elle ne s'est toujours pas relevée.Né en
1910 dans une famille sino-birmane --son véritable nom
est Maung Shu Maung--, il a dirigé l'Union birmane d'une
poigne de fer de 1962 à 1988 et, selon les analystes,
serait resté influent dans les coulisses après
son retrait et en dépit de sa mauvaise santé.
Derrière le médiocre étudiant, qui sera
un temps employé des postes, apparaît
dans les années 1930 un jeune homme ambitieux, ultra-nationaliste
et féru de discipline. Il fait ses premières armes
avec le groupe dit des "Trente Camarades", mouvement
anticolonial qui combat la tutelle britannique sous les ordres
d'Aung San (le père d'Aung San Suu Kyi), l'artisan de
l'indépendance birmane. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
il devient chef d'état-major de l'Armée
nationale birmane (BNA), sous le nom de guerre de Bo Ne Win
("Soleil de Gloire"), et flirtera avec l'occupant
japonais, accueilli au début en libérateur par
nombre de nationalistes. Quand survient l'indépendance
en 1948, quelques mois après l'assassinat d'Aung San,
Ne Win tient l'armée sous sa coupe.Dix ans plus tard,
il est appelé à la tête d'un gouvernement
militaire "intérimaire" afin de rétablir
l'ordre menacé par des rébellions ethniques, une
guérilla communiste et l'anarchie à Rangoun. Il
cède le pouvoir aux civils en 1960, mais le reprend,
à la suite d'un coup d'Etat militaire du "Conseil
révolutionnaire" qu'il dirige, en mars 1962, sous
prétexte d'"activités séparatistes"
des nationalistes de l'Etat Shan (nord-est). Le parlement est
aboli. La Birmanie tombe sous la férule du général
Ne Win pour près de trente ans.
Il crée le Parti du Programme Socialiste de Birmanie
(BSPP), parti unique à partir de 1974, et devient chef
d'Etat la même année (jusqu'en 1981).
Homme fort, et de l'ombre, il s'emploie à appliquer une
idéologie d'inspiration "marxiste-bouddhiste"
--fondée sur l'autosuffisance-- qui se traduit par des
nationalisations, y compris des commerces privés, et
à l'extérieur par un strict non alignement (il
était ami du despote indonésien Suharto) et la
fermeture des frontières. Les résultats sont catastrophiques,
"criminels", dit aujourd'hui un diplomate en poste
à Rangoun.
La liquidation des magasins de détail met au chômage
des centaines de milliers de petits commerçants indiens
et chinois qui sont expulsés sans ménagement du
pays. L'économie et le niveau de vie continuent de décliner
dans les années 1970 et 1980, tandis que les insurrections
ethniques se multiplient et s'intensifient.Le pays, dont le
budget est grevé par les dépenses militaires,
ne survit que grâce à "la planche à
billets". A la fin 1987, après trois démonétisations,
la Birmanie est ruinée, en proie à des troubles
estudiantins.
Devant l'ampleur de la contestation, Ne Win démissionne
de la présidence du Parti de l'Unité Nationale
(NUP, ex-BSPP) lors d'un congrès extraordinaire en juillet
1988.Le 18 septembre, une junte militaire --le Conseil de Restauration
de la Loi et de l'Ordre (Slorc)-- prend le pouvoiraprès
avoir écrasé le mouvement démocratique.
Le coup d'Etat aurait été organisé par
Ne Win, selon certains historiens, et deux des généraux
dirigeant la junte, le président Than Shwe et le premier
secrétaire Khin Nyunt, furent ses féaux.La date
même, le 18/9, est apparue comme un symbole de Ne Win
car le "Vieil Homme" fantasque et autoritaire était
aussi épris de numérologie, et terriblement superstitieux,
comme beaucoup de Birmans.Le 9 (8 + 1) était son chiffre
fétiche, multiple du 3 qui signifie l'union du ciel,
du monarque et de la terre.
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