Une
grande figure de la démocratie birmane est décédée
Daw Hearn Kham est morte vendredi 17 janvier à l’age
de 87 ans, au Canada. Fille, puis sœur d’un roi Shan,
elle avait épousé un prince de Yawnghwe, Sao Shwe
Taik (sao indique le caractère Royal) qui devait devenir
président de l’Union de la Birmanie de 1948 à
1951. Ils avaient participé ensemble aux négociations
de Panglong en 1947, qui restent la pierre angulaire du mouvement
démocratique birman. Elle même fut élue
au parlement de la jeune démocratie de 1956 à
1960. En 1962, lors du coup d’Etat, son mari fut arrêté,
et mourut en détention dans des conditions toujours mystérieuses.
Elle fuit alors en Thaïlande avec ses 5 enfants. C’est
de là qu’elle jouera un rôle déterminant
dans la résistance à la junte, notamment en devenant
présidente du Conseil de Guerre de l’Etat Shan
(SSWC) jusqu’en 1969, date de son exil au Canada. Elle
continuait depuis lors à exercer une autorité
morale sur les mouvements d’opposition. Elle laisse derrière
elle 5 enfants, Tiger, Chao Tzang, Harn, Sao Ying Sita et Sao
Ying Hseng Leun, eux-mêmes impliqués dans le mouvement
démocratique. L’un d’eux, Harn Yawnghwe,
dirige l’Euro Burma Office, et est à ce titre un
interlocuteur privilégié d’Info Birmanie.
C’est aussi un ami. Nous tenons donc à lui présenter,
comme à ses frères et sœurs, nos condoléances,
et à l’assurer de toute notre sympathie.
L’espoir
d’un peuple
Par Sabine Hammer
Doit-on s'attendre à un coup d'Etat ? A une révolution
? Sur les marches des pagodes, l'art divinatoire bat son plein.
Tous les espoirs du peuple birman reposent sur les frêles
épaules de Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix et
fille du héros charismatique de l'indépendance,
Aung San. Appelée en 1988 au chevet de sa mère,
elle était revenue à Rangoon d'un exil librement
consenti. Voyant que des étudiants et des dissidents
se rassemblaient dans la rue pour protester contre la junte,
elle décida de prendre la tête du mouvement démocratique.
L'armée étouffa le mouvement de protestation dans
l'œuf. Il n'y eut jamais d'enquête sur le nombre
des victimes massacrées. L'opposition parle de plus de
dix mille victimes. Des témoins rapportent que les pompiers
ont lavé le sang à la lance à incendie.
D'innombrables dissidents disparurent dans les geôles
ou les camps de travail. Suu Kyi fut assignée à
résidence. Pourtant, son parti, la " Ligue nationale
pour la démocratie " remporta les élections
avec une majorité écrasante, lors du dernier scrutin,
il y a une bonne douzaine d'années. Mais les généraux
refusèrent que le parlement ne se réunit. En mai
2001, l'assignation à résidence de Suu Kyi fut
levée. Sa marge de manœuvre reste néanmoins
étroite ; elle n'est jamais sûre de ne pas trouver
bloqué l'accès à son domicile. Mais Suu
Kyi ne se laisse pas intimider et parcourt le pays, se rendant
même dans les régions les plus reculées.
Un carrefour, à quatre heures de l'après-midi.
La dernière commerçante barricade son magasin.
Quelque 2000 personnes bordent la rue poussiéreuse, le
plus discrètement possible. Dans la touffeur, deux moines
méditent sous une affiche noire vantant les mérites
du whisky d'importation. Des agents secrets aux visages cachés
par des lunettes de soleil prennent des photos : on attend Suu
Kyi.
Quelqu'un fait un signe, serre le poing, le rouvre. Le rassemblement
se disperse, rapidement, mais sans précipitation. "
Allez-vous en ", me chuchote une femme en passant, "
dans la maison à l'angle de la rue, on a aperçu
des tireurs d'élite ".
Récemment, Aung San Suu Kyi s'est rendue dans l'ancienne
ville royale de Myauk-Oo, dans l'ouest du pays. 20 000 personnes
étaient venues la voir mais les autorités ont
délégué les pompiers avec des canons à
eau pour chasser la foule. Suu Kyi s'est hissée sans
hésiter sur un camion citerne et a convaincu les responsables
de ne pas intervenir. Dans la jungle de l'arrière-pays
montagneux, loin des routes et du regard
des observateurs étrangers, la soldatesque ne se montre
pas aussi conciliante envers les minorités qui luttent
pour une plus grande autonomie.
Pour ravir aux partisans réfugiés dans les montagnes
l'appui des paysans, les troupes gouvernementales exercent des
représailles contre la population civile, brûlant
sans discernement villages et greniers à riz. "
Dors, dors ", chantonne la veuve Momo Wa au plus jeune
de ses six
enfants, " ton petit chien à la queue en tire-bouchon
te rapportera une belette pour le repas ". Cette berceuse
est d'une époque heureuse et révolue : le petit
chien est passé depuis longtemps à la marmite.
Pour manger, on gratte le sol à la recherche de tubercules
comestibles, on tire les écureuils à la fronde
et l'on est riche si l'on possède une bâche en
plastique pour se protéger des averses de la mousson.
Depuis 1996, la junte birmane a chassé de leurs terres
au moins 300 000 paysans shan pour qu'ils ne puissent pas donner
refuge aux francs-tireurs. Ils n'ont en général
que quelques heures pour réunir leurs affaires - quelques
ustensiles de cuisine, des couvertures - et se rendre au camp
de travail qu'on leur a assigné. Ils seront désormais
réduits à la famine et aux travaux forcés.
En dehors du camp, point de salut : prétextant que ce
sont des rebelles, les militaires tirent sur n'importe qui.
Pour quitter l'enclos quelques heures, récolter le riz
de son champ ou chercher des légumes sauvages, un
paysan doit graisser la patte d'un gardien. Sans être
sûr de ne pas être quand même abattu ou interrogé.
Les tortures infligées sont barbares : coups de pieds
donnés avec des rangers, coups de ceinturon à
cartouches, clous enfoncés dans l'anus. Viols des hommes,
mais surtout des femmes et des enfants. Des enquêtes officielles
des Etats-Unis ont confirmé les rapports des organismes
de défense des droits de l'homme selon lesquels l'armée
utiliserait la violence sexuelle comme arme de guerre. Les Etats-Unis
ont demandé aux Nations Unies de diligenter une enquête
internationale sur cette accusation relative à la systématisation
des viols par les soldats birmans, et de punir les coupables.
Les observateurs évaluent à un million le nombre
de personnes réfugiées ou déplacées
qui, à l'intérieur du pays, luttent pour leur
survie. Et à un million les Birmans qui ont fui leur
patrie : la plupart d'entre eux ont tenté de passer en
Thaïlande. Malgré les protestations de la communauté
internationale, les réfugiés birmans ne peuvent
se fier à la protection des Thaïs. D'après
les organisations humanitaires religieuses, ils sont 3000 à
4000 par mois à demander asile. On sait qu'il est envisagé
d'expulser le plus rapidement possible quelque 120 000 réfugiés
se trouvant actuellement dans des camps thaïlandais. Le
même sort est dévolu aux 300 à 500 000 "
Travailleurs migrants sans papiers " d'origine birmane.
De l'avis d'un moine réfugié, cette politique
d'extradition n'est pas motivée par la vague massive
du flot migratoire mais bien par de très réels
intérêts économiques. Les Thaïs ont
trouvé dans la junte birmane un partenaire commercial
de tout premier plan, et les rebelles et autres réfugiés
gênent le développement économique de la
région frontalière : il faut qu'ils disparaissent.
Les acteurs économiques sont persuadés qu'il suffirait
d'exercer une pression suffisamment forte sur la population
pour que les groupes d'opposants au régime capitulent
sans condition. Les affaires avec les généraux
birmans pourraient alors prospérer. Le groupe pétrolier
TotalFinaElf, partie prenante dans un gazoduc conduisant de
Birmanie en Thaïlande, profite des travailleurs forcés
- c'est ce qui ressort d'un rapport d'expertise de 350 pages
de la Confédération internationale des syndicats
libres. Mais les échanges avec le pays voisin, c'est
aussi le déboisage des forêts de teck à
nulles autres pareilles, le commerce illicite des espèces
animales en voie de disparition, la contrebande des pierres
fines et précieuses, jade et rubis ; c'est aussi le commerce
des stupéfiants - l'héroïne et, de plus en
plus, les drogues " à la carte " ; c'est enfin
la traite des enfants birmans, enlevés et vendus à
des bordels thaïlandais où ils sont contraints de
se prostituer sans merci.
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