Après l'article de la semaine dernière sur le
sort des réfugiés Birmans en Thailande, nous publions
cette semaine et la semaine prochaine un point sur la situation
à l'ouest du pays. Nous remercions l'ONG Forum Asia qui
a bien voulu mettre ce texte à notre disposition.
Situation
sur la frontière entre la Birmanie et le Bangladesh
Forum Asia, Bangkok, 11 décembre 2002
1) A l'intérieur de la Birmanie - Etat Arakan
Depuis un an, la situation a continué à se dégrader
en Arakan. Les conséquences des attentats du 11 septembre
2001 et de la campagne anti-terroriste engagée au niveau
mondial ont été très lourdes pour les communautés
musulmane de Birmanie, et sur la minorité Rohingya du
Nord de l'Arakan en particulier. Le premier août 2002,
le SPDC signait la déclaration commune Etats-Unis/ASEAN
de coopération dans la lutte internationale contre le
terrorisme. Le nettoyage ethnique que subit la minorité
Rohingya semble avoir récemment été consacré
comme étant une "lutte contre le terrorisme".
De nouvelles politiques sont mises sur pied par le régime
militaire pour consolider la frontière avec le Bangladesh,
officiellement pour protéger le pays d'une éventuelle
infiltration de militants islamistes et pour contrôler
les activités et les mouvements de Rohingya en Arakan.
Les premières conséquences directes de cette politique
ont été le renforcement des forces armées
dans la région et la construction de nouveaux "villages
modèles". Dans les deux cas, le travail forcé
a augmenté, et les confiscations de terres se sont accélérées.
Renforcement militaire et expansion
La présence des camps déjà existant de
l'armée et de la NaSaKa (la police aux frontières)
est devenue, du fait du comportement des soldats eux-mêmes,
une véritable plaie pour les villageois. De plus la dernière
mode semble être à l'établissement de nouvelles
bases de ces deux corps, pour lesquelles les villageois doivent
non seulement fournir du travail, mais aussi des matériaux
de construction, alors même que la saison sèche
est en cours, et qu'ils sont occupés par les travaux
des champs. Les femmes elles aussi sont réquisitionnées,
ce qui est inhabituel dans la communauté Rohingya.
Mise en place de la politique des "Villages Modèles"
La conséquence visible de la visite du Général
Khin Nyunt dans le nord de l'Arakan à la fin de l'année
dernière a été la création de nouveaux
"Villages modèles" pour déplacer des
bouddhistes et les installer dans les zones musulmanes. Le but
de ces déplacements de population est visiblement de
mieux contrôler la zone frontalière. Cette politique
n'est pas nouvelle - il y a déjà 26 villages de
ce type dans la partie musulmane de l'Arakan, composés
d'à peu prés 100 maisons chacun - mais les installations
avaient diminué depuis quelques années. Depuis
mai 2002, la " colonisation " à repris, et
des témoignages citant des lieux de construction nous
parviennent régulièrement.
A ce jour, nous avons réuni des preuves importantes que
deux villages de 50 maisons chacun ont été construits
pendant l'été 2002, en faisant appel à
un travail forcé intensif des Rohingya locaux. L'un de
ces villages a été construit pour réhabiliter
plus de 220 membres (et leurs familles) d'une faction rebelle,
l'Arakan Army, ayant signé un cessez-le-feu avec la junte
en avril 2002. L'autre, tout proche de la frontière avec
le Bangladesh, a été lui aussi construit par des
travailleurs forcés, et des familles y ont été
installées. Parmi elles, 13 familles de Birmans déplacés
de la plaine centrale, et, apparemment, des Kachin issus d'un
autre groupe ayant signé un cessez-le-feu, peut-être
pour les utiliser comme force paramilitaire de surveillance
de la frontière. En plus du travail forcé, la
construction de ces villages à entraîné
la confiscation des terres et a exacerbé les tensions
entre les communautés.Racket
Des villageois se sont également plaints d'une augmentation
significative du racket et des taxes illégales. La tactique
consistant à arrêter des gens pour des fais mineurs
tels que la présence, de nuit, dans la rue, et de leurs
demander ensuite de l'argent pour les libérer semble
être devenue une pratique courante.
Atteintes à la liberté de circulation
Les atteintes graves à la liberté de circulation
sont resté le lot quotidien des Rohingya depuis février
2001. Ils ne peuvent par exemple toujours pas obtenir de visas
pour se rendre à Sittwe, la principale ville de l'Arakan.
Expropriations
Le nouveau commandant de zone du nord de l'Arakan, en poste
depuis le mois d'avril a mis en place une politique foncière
très stricte, menant notamment à un certain nombre
d'expropriations. A cause de l'augmentation de la population,
certaines familles se sont installées sur des terres
répertoriées comme rizières il y a plusieurs
dizaines d'années. Elles ont été récemment
reçus des avis d'expulsion et été forcées
de détruire leur maison. De la même façon,
certaines fermes ont été détruites, car
construites sur des zones répertoriées pour d'autres
usages.
Crise économique
La Birmanie a fait face à un important manque de riz
pendant l'automne, particulièrement dans le nord de l'Arakan.
Cette région, déjà touchée par une
pénurie alimentaire, souffre d'autant plus que les importations
en provenance du reste du pays y sont interdites. Le prix du
riz a explosé ces derniers mois, mettant des familles
vulnérables dans une situation difficile, et augmentant
encore le flux de migrants vers le Bangladesh.
Ailleurs en Arakan
Le travail forcé a également augmenté dans
les autres régions de l'Arakan. Il concerne des villageois
Arakanais bouddhistes. Les habitants des villages longeant la
route Sittwe-Rangoun ont été particulièrement
sollicités pour la réparer, et pour construire
des écoles. De leur coté, les habitants de Sittwe
ont été forcés à construire des
trottoirs et à creuser des fossés devant leurs
maisons.
2) Sur la frontière
A l'heure actuelle, 21 500 réfugiés Birmans se
partagent entre deux camps au Bangladesh. Les nouveaux arrivants
se sont vu refuser l'entrée du camp depuis 1995 et on
estime entre 100 000 et 200 000 le nombre de réfugiés
Rohingya vivants en dehors des camps. Comme en Birmanie, la
situation s'est dégradée au Bangladesh depuis
septembre. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des
Nations Unies a annoncé un plan visant à réactiver
le retour des réfugiés et se retirer à
partir de juin 2003, alors même que le nouveau gouvernement
du Bangladesh, qui souhaite pourtant améliorer les relations
de son pays avec la junte brmane, a également déclaré
son intention de renvoyer les Rohingya chez eux. Le SPDC semble
prêt à les recevoir.
Rapatriement forcé
Un total de 253 personnes ont été rapatriées
en Birmanie en octobre, alors qu'elles avaient été
324 entre janvier et septembre. Dans le même temps, des
manœuvres de rapatriement de force ont été
signalées dans les camps. Le Bangladesh met une forte
pression sur les Birmans pour qu'ils repartent. On ne permet
plus aux réfugiés de cultiver un petit jardin
autour de leur maisons, les marchés qui s'etaient ouverts
ont du fermer, et les réfugiés se plaignent d'être
mis en prison quand ils refusent de rentrer chez eux. Et dans
ce cas, ils ne sont libérés que s'ils acceptent
le rapatriement. Des réfugiés ont été
littéralement mis de force dans des camions qui les ont
reconduit à la frontière. Un certain nombre d'hommes
ont fui, et leurs femmes ont du repartir seules avec leurs enfants.
Certains ont même du laisser derrière eux des membres
de leur famille trop malades pour partir. Les gens ont peur
d'être vu en train de parler aux membres du HCR. Il y
a des plaintes disant que l'équipe locale du HCR elle
même met la pression sur les réfugiés pour
qu'ils repartent. Les officiels arrivent à la dernière
minute quand on renvoie des réfugiés par bateau.
Quand ils demandent à ces derniers s'ils sont d'accord
pour partir, il est trop tard pour dire non. On ne sait toujours
pas ce qu'il advient des réfugiés une fois du
coté birman. Mais les dernières informations semblent
montrer que beaucoup ne sont pas acceptés, et sont renvoyés.
D'autres sont déjà revenus au Bangladesh, et ont
même réintégré les camps. Ils auront
simplement perdu leurs maisons.
Un exode beaucoup plus important en dehors des camps
Pendant la saison des pluies, le flux de réfugiés
a augmenté considérablement. Des sources officielles
reconnaissent que 4 000 nouveaux arrivants se sont installés
dans la seule ville de Teknaf. Nos enquêteurs ont visité
plusieurs points de passages à la frontière et
ont confirmé l'accélération de l'exode,
du à l'explosion du prix du riz combiné au travail
forcé et au sous emploi qui a mené tant de famille
à la famine. Certains se sont installé prés
de Teknaf, d'autres se sont installé illégalement
dans les camps et il apparaît que nombreux sont ceux qui
sont allé au nord de Cox'Bazar, là où la
répression se fait moins sentir.
Evacuation à Teknaf
Le 9 novembre, la police locale a évacué les clandestins
(des Rohingya) de Teknaf et arrêté les propriétaires
qui leur louaient des terres. Des centaines de Rohingya furent
expulsés de leurs maisons et ont été vus
sur la route avec le peu qu'ils possèdent. Entre 3 000
et 4 000 d'entre eux se sont réunis dans un champs et
y campent depuis lors. Il y a parmi eux beaucoup d'enfants,
mal nourris, et qui vivent sous des abris de fortune faits de
toiles en plastique partagées par deux ou trois familles.
Les conditions de survie dans ce camp sont effroyables. Les
autorités ont installé des toilettes portables,
mais la diarrhée fait déjà des dégâts.
L'aide proposée par les ONG n'a pas été
acceptée pour l'instant. Les autorités locales
ont fait savoir que l'on expulserait bientôt tous ces
réfugiés vers la Birmanie, alors même qu'il
est évident qu'ils n'y seront pas acceptés.
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