Birmanie>Net Hebdo n° 21-22
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie


Sommaire

  • Rapport sur la situation des droits de l'homme en Birmanie


Conseil économique et social des Nations Unies


Distr. GÉNÉRALE
E/CN.4/2003/41
27 décembre 2002

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME
Cinquante-neuvième session
Point 9 de l’ordre du jour provisoire

QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES, OÙ QU’ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE

Rapport sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, présenté par M. Paulo Sérgio Pinheiro, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, en application de la résolution 2002/67 de la Commission



Résumé

Le mandat du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a été établi par la Commission dans sa résolution 1992/58 et a été prorogé très récemment dans la résolution 2002/67. Dans sa résolution, la Commission a prié le Rapporteur spécial de faire rapport à l’Assemblée générale, lors de sa cinquante-septième
session, ainsi qu’à la Commission, à sa cinquante-neuvième session. En conséquence, le Rapporteur spécial a présenté un rapport intérimaire à l’Assemblée générale (A/57/290 et Corr.1). Le présent rapport se fonde sur les constatations de la troisième mission d’enquête au Myanmar qu’il a effectuée en octobre 2002 et sur les informations qu’il a reçues jusqu’au
10 décembre 2002; il doit être lu en parallèle avec son rapport intérimaire. Le Rapporteur spécial évalue la situation de la manière suivante:

a) L’espace politique s’ouvre peu à peu de nouveau à la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). Il devrait en être de même pour d’autres partis politiques autorisés, qui n’ont pas encore repris leurs activités. Les restrictions à la liberté d’expression et d’information et
à la liberté de la presse n’ont toutefois pas encore été levées;

b) Il semble y avoir désormais un consensus au sein du Conseil d’État pour la paix et le développement (SPDC) au sujet du nombre des détenus politiques et de la catégorie dont ils relèvent et les libérations de ces détenus se sont poursuivies. Globalement, les conditions de
détention se sont améliorées au cours des dernières années, quoique progressivement. Il a été mis un terme aux mauvais traitements physiques, tels que les passages à tabac que les prisonniers politiques ont eu à subir par le passé, et les prisonniers âgés ont bénéficié de soins médicaux réguliers. Toutefois, à plusieurs égards, les prisonniers politiques sont toujours dans une situation plus défavorable que les détenus de droit commun. Parmi les questions sur lesquelles il conviendrait de se pencher davantage figurent la qualité de la nourriture, les brutalités dont les prisonniers de droit commun feraient l’objet et l’accès à des soins et à des traitements médicaux
de qualité, particulièrement en cas d’urgence;

c) Les arrestations politiques opérées depuis juillet 2002 s’inscrivent dans un système de "non-droit", caractérisé notamment par des arrestations arbitraires, des détentions prolongées à l’isolement et des interrogatoires par les services de renseignements de l’armée, l’extorsion d’aveux ou d’informations, bien souvent par la violence ou la torture, suivis de procès sommaires, de condamnations et d’emprisonnement;

d) Dans un contexte général de respect de la pratique religieuse, on observe des variations locales ou régionales. Le respect de la liberté de religion semble être plus grand dans les endroits proches des autorités centrales que dans les régions reculées ou dans les régions
où sont menées des opérations anti-insurrectionnelles;

e) Le recrutement volontaire ou forcé d’enfants dans les forces armées et les différentes façons dont ils sont utilisés par ces forces armées sont un réel problème au Myanmar;

f) Il apparaît que la façon dont l’armée traite les civils dans les zones où se déroulent des opérations anti-insurrectionnelles pose de réels problèmes. Il ne suffit pas de nier ces problèmes pour qu’ils disparaissent; si l’on veut les résoudre, il convient de reconnaître leur  existence et de s’y attaquer de façon appropriée. Des allégations continueront d’être formulées tant que des violations des droits de l’homme continueront d’être perpétrées. La meilleure façon de traiter cette question consisterait à mener des enquêtes crédibles sur ces allégations, à établir les faits, à prendre des mesures contre les auteurs des violations, à mettre en place des procédures destinées à empêcher qu’elles ne se reproduisent, à contrôler les unités de l’armée et à indemniser les victimes. Le Rapporteur spécial a pris note d’un communiqué du SPDC daté du 4 novembre, dans lequel ce dernier réagit de façon positive à sa proposition de mener une
enquête sur les allégations de violations des droits de l’homme, y compris les allégations de viol dans l’État Chan, commises dans les régions où vivent des communautés ethniques. Il a demandé des précisions quant aux conditions de l’invitation faite à l’ONU de visiter la région et a réaffirmé qu’il était disposé à réaliser une évaluation indépendante dans le cadre de son mandat;

g) Pour répondre à la situation humanitaire précaire qui prévaut au Myanmar, l’équipe de l’ONU affectée au pays est en train d’établir un rapport qui devrait servir de base à l’élaboration d’un programme de mesures directes. C’est l’option politique de l’engagement fondé sur les principes du dialogue, de l’aide au changement, de la participation de la communauté au processus de décision, du renforcement de la société civile et de l’accroissement de la présence et des capacités des institutions spécialisées des Nations Unies, notamment, qu’il conviendrait de choisir. Pour accélérer le processus de paix, il est nécessaire, plus que jamais, de tenir un discours rationnel sur les alternatives politiques et stratégiques. Il est grand temps de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les relations entre
le SPDC et la NLD. Un renforcement des progrès dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l’homme contribuera à créer l’atmosphère voulue pour sortir de cette impasse. Les États membres et les organisations internationales doivent emboîter le pas aux acteurs nationaux en ce qui concerne la transition politique. Le Rapporteur spécial continue donc à inviter instamment la communauté internationale à s’engager aux côtés du Myanmar, même avant l’introduction de réformes démocratiques par le SPDC.


TABLE DES MATIÈRES

Introduction 

I. ACTIVITÉS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. Mission d’enquête
B. Autres activités

II. EXERCICE DES LIBERTÉS FONDAMENTALES ET DES DROITS DE L’HOMME
A. Libertés d’association
B. Liberté d’expression, d’information et de la presse
C. Prisonniers politiques
D. Conditions carcérales
E. Arrestations politiques récentes
F. Liberté de religion
G. Enfants soldats 

III. ENQUÊTE INDÉPENDANTE SUR LES ALLÉGATIONS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS
LES RÉGIONS OÙ VIVENT DES MINORITÉS ETHNIQUES

IV. AUTRES QUESTIONS
A. Défis de la transition et du développement.
B. Aide humanitaire 

V. OBSERVATIONS FINALES

Annexe
Liste des personnes entendues par le Rapporteur spécial lors de ses visites dans les prisons d’Insein et de Thayarwaddy


Introduction

1. Le mandat du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme chargé d’examiner la situation des droits de l’homme au Myanmar a été établi par la Commission dans sa résolution 1992/58 et a été prorogé très récemment dans la résolution 2002/67 (approuvée par le Conseil économique et social dans sa décision 2002/269).

2. Dans sa résolution 2002/67, la Commission prie le Rapporteur spécial de faire rapport à l’Assemblée générale, lors de sa cinquante-septième session, ainsi qu’à la Commission, à sa cinquante-neuvième session, en adoptant une démarche sexospécifique dans la recherche et l’analyse de l’information [par. 8 a)]. En conséquence, le Rapporteur spécial a présenté à l’Assemblée générale un rapport intérimaire (A/57/290 et Corr.1). Le présent rapport se fonde sur les constatations de la troisième mission d’enquête qu’il a effectuée au Myanmar en octobre 2002 et sur les informations qu’il a reçues jusqu’au 10 décembre 2002; il doit être lu en parallèle avec son rapport intérimaire.

I. ACTIVITÉS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. Mission d’enquête

3. Le Rapporteur spécial a effectué une troisième mission d’enquête au Myanmar du 17 au 28 octobre 2002. Comme lors de ses précédentes missions, il a bénéficié de la plus totale coopération de la part du Gouvernement du Myanmar, ce dont il lui sait particulièrement gré. Il a pu se conformer entièrement au programme qu’il s’était fixé, a bénéficié d’une liberté de mouvement totale et a pu rencontrer toutes les personnes, particuliers ou autres, qu’il souhaitait rencontrer.

4. Pendant son séjour à Yangon, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec le Premier Secrétaire du Conseil d’État pour la paix et le développement (SPDC), le Ministre des affaires étrangères et son adjoint, le Ministre de l’intérieur, le Chef du Bureau du renseignement
militaire, le Chef du Bureau d’enquête spéciale, le Directeur général des prisons, le Directeur général de la police, le Chef du Département de la sûreté nationale, le Chef du Département des enquêtes criminelles et les membres du Comité des droits de l’homme. Il a visité la prison centrale d’Insein, où il a eu des entretiens confidentiels avec 16 prisonniers, dont des prisonniers politiques récemment incarcérés et des détenus avec lesquels il s’était entretenu au cours de sa précédente visite en février 2002. Le Rapporteur spécial s’est également entretenu avec la Secrétaire générale et des membres du Comité exécutif central de la Ligue nationale pour la
démocratie (NLD), ainsi qu’avec des responsables de partis représentant des minorités ethniques et d’autres partis politiques, avec l’équipe de l’ONU affectée dans le pays, avec des représentants de la communauté diplomatique et d’organisations internationales de la société civile, avec des membres du monde international et local des affaires, avec des responsables religieux et avec des prisonniers politiques récemment libérés.

5. Le Rapporteur spécial s’est rendu à Hpa-an (capitale) et dans la commune de Kya-in-seikkyi dans l’État Kayin (Karen) du 23 au 25 octobre; il y a rencontré les autorités civiles et militaires locales et a visité le tribunal d’État et les commissariats de police du district
et de la commune, y compris les cellules. Il a également rencontré des représentants de deux groupes qui ont signé le cessez-le-feu, ainsi que des responsables religieux bouddhistes et chrétiens. Sur le chemin du retour à Yangon, le Rapporteur spécial s’est arrêté à Mawlawmyine, capitale de l’État Môn, où il s’est entretenu avec le commandant des Forces du Sud-Est chargé des États Môn et Kayin et a visité les bureaux de la section locale de la NLD. Enfin, le 27 octobre, il s’est également rendu dans la division de Bago pour visiter la prison de Thayarwaddy, où il s’est entretenu avec 11 prisonniers.

6. À l’issue de sa mission au Myanmar, le Rapporteur spécial a séjourné quatre jours en Thaïlande (du 29 octobre au 1 er novembre). Il s’est entretenu à cette occasion avec le Secrétaire permanent adjoint du Ministère des affaires étrangères, avec des fonctionnaires de l’ONU ainsi qu’avec des représentants de la communauté diplomatique, des médias et des organisations non gouvernementales (ONG). Le Rapporteur spécial s’est également rendu à Chiang Mai, afin de prendre connaissance des résultats préliminaires de l’étude réalisée par son équipe dans le cadre de sa mission pour recueillir directement et systématiquement des témoignages de première main
émanant de victimes et de témoins de violations des droits de l’homme, ainsi que d’autres personnes susceptibles d’avoir une connaissance directe des circonstances ou du contexte dans lesquels de telles violations se produisent dans les régions où vivent les minorités ethniques chan, kayin (karen), kayah (karenni) et môn du Myanmar. L’objet de ce projet de recherche est de donner au Rapporteur spécial des éléments d’information solides fondés sur une enquête concrète et directe afin de lui permettre de se faire sa propre idée de la situation qui règne dans ces régions.

7. Avant de se rendre au Myanmar, ainsi qu’à son retour, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec l’Envoyé spécial du Secrétaire général au Myanmar.

B. Autres activités

8. Au terme de sa mission, le Rapporteur spécial s’est rendu à New York pour établir son rapport intérimaire et présenter ses premières impressions et constatations à l’Assemblée générale, dans sa déclaration du 6 novembre 2002. Le présent rapport développe les points
évoqués dans la déclaration, compte tenu des renseignements reçus pendant et après la mission.

9. Alors qu’il se trouvait au Siège de l’ONU, le Rapporteur spécial a rencontré plusieurs représentants du Gouvernement du Myanmar, de gouvernements d’autres pays, d’ONG, ainsi que des particuliers, qui lui ont fait part de leurs vues et lui ont communiqué des renseignements sur la situation des droits de l’homme au Myanmar.

10. Le Rapporteur spécial a adressé quatre lettres (datées des 13, 19 et 28 novembre et du 10 décembre) au Gouvernement du Myanmar au sujet du concours qui lui a été apporté dans l’exécution de son mandat, notamment des questions relatives à l’enquête qu’il se propose de mener dans le cadre de son mandat sur les allégations de violences sexuelles commises contre des femmes dans l’État Chan et sur les conditions d’arrestation, de détention et de libération des détenus, notamment en ce qui concerne les cas récents d’arrestation et de détention politiques.

11. Au cours de la période qui fait l’objet du présent rapport, le Rapporteur spécial a envoyé cinq appels urgents (dont deux appels conjoints avec les Rapporteurs spéciaux sur la torture et sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression) et deux lettres relatives à des allégations envoyées conjointement avec les Rapporteurs spéciaux sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur les droits de l’homme des migrants et sur le droit à l’alimentation.


II. EXERCICE DES LIBERTÉS FONDAMENTALES ET DES DROITS DE L’HOMME

A. Libertés d’association

12. La libération de Daw Aung San Suu Kyi, inconditionnelle selon elle, a constitué une mesure très importante du Conseil d’État pour la paix et le développement (SPDC). À la suite de cette libération, qui a eu lieu le 6 mai 2002, la Secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) et les membres de son parti ont bénéficié d’une certaine liberté de circulation, de réunion et d’expression au sein de leurs locaux et dans le cadre des activités du parti. La Secrétaire générale a pu largement se déplacer dans le pays, sans restriction. Elle a commencé à réorganiser le parti, a rencontré ses partisans, a prononcé des discours en public et a ouvert
de nouvelles sections (à ce jour, 66 sections locales de la NLD ont été ouvertes dans l’ensemble du pays). Jusqu’à présent, aucun de ses partisans, qu’il s’agisse de responsables du parti, de militants ou de sympathisants, n’a été victime d’intimidation ou de harcèlement, même si la surveillance se poursuit sans relâche, quoique de façon plus courtoise et sans pression directe. Les services de renseignements de l’armée exercent un contrôle systématique sur les activités de la NLD et sur toutes les autres activités politiques. Des agents de ces services sont ostensiblement présents devant les bureaux de la NLD, contrôlent toutes les personnes qui y entrent et qui en sortent, photographient les visiteurs et se rendent souvent chez eux pour les interroger au sujet des contacts qu’ils ont eus et des discussions auxquelles ils ont participé. Il semble que ces services veuillent savoir ce qui se passe afin de garder le contrôle total de la
situation et d’éviter toute activité susceptible de "déraper". Ils semblent être hantés par le spectre de l’agitation sociale.

13. Même s’il apparaît clairement qu’une ouverture politique est en train de se redessiner et que la NLD va pouvoir reprendre ses activités, l’ampleur de cette ouverture reste à déterminer. Le Rapporteur spécial suppose que le régime qui s’applique à la NLD est également valable pour les huit autres partis politiques qui, outre le Parti de l’unité nationale progouvernemental, n’ont
pas été radiés après les élections de 1990. Le Rapporteur spécial a rencontré des représentants de plusieurs de ces partis, et tous ont invoqué la peur pour expliquer qu’ils n’avaient pas repris leurs activités légitimes.

14. Le Rapporteur spécial a également rencontré des représentants des partis qui ont été radiés et qui se présentent eux-mêmes comme des "politiciens nationaux", afin d’être autorisés à participer à ce que le SPDC appelle la "vie politique nationale". Le Rapporteur spécial a également rencontré des représentants de l’Alliance des nationalités unies, confédération officieuse fondée en juillet 2002 par huit partis représentant des nationalités qui ont participé aux élections de 1990 (1) .

(1) Parmi ceux-ci, seule la Ligue des nationalités chan pour la démocratie (SNLD) fait partie des 10 partis qui sont restés autorisés. Tous les autres sont des partis radiés, parmi lesquels la Ligue arakanaise pour la démocratie (ALD), la Ligue nationale chin pour la démocratie (CNLD), le Congrès national de l’État Kachin pour la démocratie (KSNCD), le Congrès national karen pour la démocratie (KNCD), la Ligue de toutes les nationalités de l’État Kayah pour la démocratie (KNLD), le Front national démocratique môn (MNDF), la Ligue des nationalités chan pour la démocratie (SNLD) et le Congrès national zomi (ZNC).


B. Liberté d’expression, d’information et de la presse

15. Les restrictions à la liberté d’expression et d’information demeurent. La NLD n’a toujours pas reçu l’autorisation de détenir du matériel d’imprimerie pour publier et diffuser les informations du parti ou d’autres informations politiques, alors qu’elle en a fait la demande en mai 2002. À l’heure actuelle, Daw Aung San Suu Kyi a uniquement l’autorisation, renouvelable tous les six mois, de faire fonctionner les deux imprimantes d’ordinateurs auxquelles elle a accès au siège de la NLD. À Mawlawmyine (capitale de l’État Môn), le Rapporteur spécial a visité la section de la NLD dont le président et son fils ont été libérés en début d’année. Avant leur arrestation, ils géraient une imprimerie professionnelle qui a été fermée pour ce qui semble bien être un prétexte ridicule. Le Rapporteur spécial a été informé du fait que, bien que le tribunal ait ordonné il y a longtemps la réouverture de l’imprimerie, celle-ci est toujours sous scellés.

16. Au Myanmar, la liberté de la presse n’est toujours pas une réalité sociale. Toute publication est soumise à la censure par le biais du Conseil d’enregistrement des imprimeurs et des éditeurs du Ministère de l’intérieur. La libération de Daw Aung San Suu Kyi n’a pas été
annoncée dans la presse, sauf dans l’hebdomadaire privé The Myanmar Times, qui tire à environ250 000 exemplaires. Le Rapporteur spécial estime que la liberté de la presse pourrait contribuer à renforcer la confiance de l’ensemble des parties. L’accès à l’information constitue également un élément essentiel de la réussite des stratégies de développement. Pour réduire la pauvreté, il est essentiel de libérer l’accès à l’information et d’améliorer la qualité de l’information. Une presse libre et indépendante permet aux citoyens d’être entendus et contribue à la réconciliation nationale, même s’il est primordial de garder à l’esprit que l’information est, par essence, un commerce et que sa survie dépend de l’activité économique globale. L’une des questions clefs qui se posent au SPDC consiste à définir les mesures qui pourraient être prises pour mettre en place des médias libres et indépendants.

C. Prisonniers politiques

17. Le SPDC semble avoir accepté les chiffres établis par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui dénombrait 1 448 "détenus de sécurité", dont la détention est liée à des raisons politiques ou de sécurité, même s’ils ont été condamnés pour des infractions pénales, au 21 octobre 2002. Le consensus qui semble régner au sein du SPDC au sujet du nombre des détenus en question et de la catégorie dont ils relèvent permet de disposer d’une base plus précise aux fins de compréhension mutuelle. Le Rapporteur spécial a demandé que ces personnes soient libérées avant la fin de l’année ou, au plus tard, avant sa prochaine mission. Selon les informations dont il dispose, il est peu probable que son appel soit entendu mais les remises en liberté vont se poursuivre. Le Rapporteur spécial a également réitéré son appel à la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes qui ont été emprisonnées pour des opinions ou des activités pacifiques, réelles ou supposées (et qui semblent constituer la grande majorité des détenus de cette catégorie). La libération des personnes contre lesquelles il existe des charges crédibles de participation à des actions violentes pourrait être envisagée dans le cadre d’une amnistie s’inscrivant dans un contexte de réconciliation nationale.

18. Le 21 novembre 2002, un premier groupe de 115 prisonniers, y compris des membres de la NLD et d’autres "détenus de sécurité", a été libéré; le Rapporteur spécial s’est félicité de cette information dans sa déclaration à la presse. Selon lui, cette libération prouve que le SPDC continue de vouloir alléger l’atmosphère politique et constitue la plus importante libération d’un groupe de prisonniers depuis le début du processus de rétablissement de la confiance entre le SPDC et la NLD en octobre 2000. La libération de ces 115 prisonniers porte à environ 950 le nombre de détenus libérés au cours des deux dernières années, dont environ 550 prisonniers politiques et 401 femmes enceintes ou mères de jeunes enfants.

19. La libération de tous les prisonniers politiques est l’un des critères qui permettra de mesurer à quel point le processus de transition politique et de réconciliation nationale est sérieux. Au taux actuel moyen de 27 libérations par mois, il faudra environ quatre ans pour libérer les prisonniers encore détenus. Le Rapporteur spécial sait qu’il existe une interprétation selon laquelle la lenteur du rythme des libérations démontre que les prisonniers politiques sont des otages du dialogue politique et que leur libération est utilisée comme monnaie d’échange pour retarder le processus de réconciliation nationale. Tel est peut-être le cas. Cela étant, en dépit de l’existence de contacts permanents entre le SPDC et la NLD, il n’y a pas encore eu d’amorce de dialogue politique structuré et concret. Dans ce cas, à quoi peut bien servir la détention de ces personnes? La seule façon d’infirmer de telles interprétations, pour autant qu’elles soient fausses,
consiste à prendre des mesures convaincantes et à procéder à de nouvelles libérations massives dans un avenir proche, ce qui contribuerait à rendre crédible le processus d’évolution du climat politique et de la situation des droits de l’homme dans le pays, facteur essentiel pour l’avènement de la réconciliation nationale.

20. Ces libérations devraient également être inconditionnelles. À l’heure actuelle, les prisonniers politiques sont libérés sous condition, en vertu de l’article 401 1) du Code de procédure pénale qui prévoit la suspension de la peine dans la mesure où le condamné s’engage
à ne pas exercer d’activité considérée comme constituant une menace pour "l’ordre public". Plusieurs détenus avec lesquels le Rapporteur spécial s’est entretenu ont refusé d’être libérés dans ces conditions. Le Rapporteur spécial a également appris que, avant leur libération, plusieurs membres de la NLD ont été informés par des membres des services de renseignements de l’armée qu’ils pourraient reprendre leurs activités politiques s’ils le souhaitaient mais qu’ils étaient tenus de leur faire un rapport sur tout contact avec des mouvements d’opposition "souterrains" (c’est-à-dire illégaux), ainsi que sur les activités de ces mouvements dont ils
auraient connaissance. En cas de refus, ils auraient à purger le reste de leur peine, additionné d’une nouvelle peine. Cette pratique est contraire aux normes en matière de droits de l’homme et est de nature à miner la détente politique à laquelle le SPDC s’efforce d’aboutir.

D. Conditions carcérales

21. Comme au cours des précédentes missions, tous les prisonniers avec lesquels le Rapporteur spécial s’est entretenu (voir annexe) ont confirmé que, globalement, leurs conditions de détention s’étaient améliorées au cours des dernières années. Cette amélioration atteste de
l’engagement positif des autorités et de la coopération constructive engagée avec le CICR depuis mai 1999. Le Rapporteur spécial a été heureux d’apprendre par les prisonniers eux-mêmes que les personnes avec lesquelles il s’était entretenu au cours de ses précédentes missions n’avaient pas subi de représailles, conformément aux assurances reçues du SPDC. Il reste toutefois préoccupé par le fait que certaines des personnes avec lesquelles il s’est entretenu ont ensuite été interrogées par les services de renseignements de l’armée sur les motivations et le contenu de ces entretiens. On pourrait considérer que cette pratique constitue une tentative d’intimidation de ces
personnes, visant à décourager certaines d’entre elles, voire d’autres personnes, de poursuivre leur coopération avec le Rapporteur spécial.


22. Le Rapporteur spécial se félicite également du fait qu’il a été mis un terme aux mauvais traitements physiques, tels que les passages à tabac, que les prisonniers politiques ont eu à subir par le passé et que les prisonniers âgés, tels que U Win Tin et Salai Than Tun, ont bénéficié de soins médicaux réguliers et de la visite quotidienne de médecins. Le Rapporteur spécial a pris note du fait que l’administration pénitentiaire envisage sérieusement d’autoriser les prisonniers politiques à avoir accès au matériel nécessaire pour écrire et à de la lecture autre que religieuse et de faciliter l’accès à des matériels pédagogiques aux détenus qui souhaitent poursuivre leurs études. De toute évidence, la libération de ces personnes résoudrait ce type de problème.

23. Parmi les questions sur lesquelles il conviendrait de se pencher davantage figurent la qualité de la nourriture, les brutalités dont les prisonniers de droit commun feraient l’objet et l’accès à des soins et à des traitements médicaux de qualité, particulièrement en cas d’urgence. Depuis juillet 2002, quatre prisonniers politiques sont morts en détention (Mai Aik Pan, U Aung May Thu, U Sai Pa et U Maung Ko). Ces décès seraient dus à des retards observés dans l’obtention des autorisations nécessaires pour avoir accès à une aide médicale d’urgence. Cela porte à 74 le nombre total de prisonniers politiques morts en détention depuis 1988.
Le Rapporteur spécial a cru comprendre que la situation est encore pire dans le cas des prisonniers de droit commun et que le taux de mortalité de ces détenus en prison et dans les camps de travail est anormalement élevé. Il s’agit d’une question qu’il a l’intention de suivre au cours de sa prochaine mission. Le Rapporteur spécial a également été informé du fait que, à plusieurs reprises, des détenus de droit commun très souffrants ont été provisoirement extraits des prisons juste avant l’une de ses visites ou une visite du CICR, de façon à ne pas attirer l’attention sur leur état de santé. Cette pratique aurait eu lieu dans les prisons de Myitkyina, d’Insein et de Thayarwaddy.

24. À plusieurs égards, les prisonniers politiques sont toujours dans une situation plus défavorable que les détenus de droit commun. Ainsi, il semble qu’ils soient souvent délibérément envoyés dans des prisons éloignées de leur domicile. Cela rend les visites des familles très difficiles, voire impossibles, et a des conséquences négatives sur leurs conditions de détention, étant donné que les prisonniers dépendent considérablement de l’aide de leur famille pour pourvoir à leur subsistance en prison. En outre, plusieurs d’entre eux sont toujours détenus à l’isolement ce qui a, sans aucun doute, des conséquences négatives pour leur santé. Par ailleurs, ils ne bénéficient d’aucune intimité lors des visites de leur famille et ne peuvent espérer de remise de peine en vertu des lois en vigueur. Le fait que des prisonniers politiques continuent d’être maintenus en détention administrative pour une durée indéterminée à l’expiration de la
peine prononcée en vertu de l’article 10 a) de la loi sur la protection de l’État de 1975 est un autre sujet de grave préoccupation. D’après les informations dont dispose le Rapporteur spécial, au 20 novembre 2002, 26 personnes au moins se trouvaient dans ce cas. Toutes ces situations sont contraires aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Elles seraient réglées une fois pour toutes si toutes ces personnes étaient libérées. En outre, leur libération bénéficierait aux autres détenus et à l’administration pénitentiaire, qui pourrait alors concentrer ses efforts sur les seuls détenus de droit commun.

E. Arrestations politiques récentes

25. Le nombre limité d’arrestations politiques d’octobre 2000 à juin 2002 avait donné l’impression que la répression des activités politiques pacifiques s’était quelque peu atténuée. Il semble que cette situation était due, dans une large mesure, au climat d’espoir politique engendré par le processus entamé il y a deux ans. Elle était également due à l’efficacité du système de surveillance, à la crainte largement répandue que ce dernier inspirait à la population et à la prudence observée par ceux qui exerçaient leurs droits limités à se livrer à des activités politiques. La déclaration faite le 6 mai 2002 par le SPDC a été interprétée par de nombreux citoyens du Myanmar comme un signe indiquant que la page avait été effectivement tournée et qu’un espace s’ouvrait à nouveau pour l’exercice d’activités politiques. Cette interprétation a mené à la création, parmi les étudiants actifs et d’autres personnes instruites, de groupes et
d’associations littéraires, religieux, sociaux et autres, ayant pour objet de participer de façon pacifique au processus de transition. Ces groupes ont également commencé à publier et à diffuser des brochures, des bulletins et des journaux. Ces activités ont abouti, à partir du mois de juillet, à une série d’arrestations, qui ont concerné environ 50 étudiants, enseignants, avocats et autres militants pacifiques.

26. Le Rapporteur spécial a déjà fait part de son étonnement et de sa préoccupation au SPDC en ce qui concerne ces nouvelles arrestations et détentions politiques, qui s’inscrivent dans un tableau, décrit dans son rapport à l’Assemblée générale (A/57/290), d’arrestations arbitraires, de détentions prolongées à l’isolement et d’interrogatoires par les services de renseignements de l’armée, d’extorsions d’aveux ou d’informations, bien souvent par la violence, et de procès, de condamnations et d’emprisonnement sommaires. Plusieurs des personnes arrêtées depuis le mois de juillet ont été victimes de diverses formes de mauvais traitements au moment de leur
arrestation ou pendant leur interrogatoire. Ces pratiques sont constitutives d’actes de torture étant donné qu’elles correspondent à trois éléments clefs de la définition de la torture: souffrances aiguës, intentionnellement infligées aux fins d’obtenir des renseignements ou des aveux ou de punir par un agent de la fonction publique agissant à titre officiel.

27. Toutes ces personnes sauf cinq ont été libérées après plusieurs jours de garde à vue au cours desquels des membres des services de renseignements de l’armée ou de la police les ont interrogées sur leurs activités, leurs contacts et les relations qu’elles étaient soupçonnées d’avoir. On les a encouragées à mettre un terme à leurs activités en les menaçant d’emprisonnement et obligées à signer un engagement à ne pas exercer d’activités susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à la stabilité du pays. Parmi les cinq personnes qui ont été accusées au titre de l’article 5 j) de la loi sur l’état d’urgence figurent les étudiants Thet Naung Soe et Khin Maung Win. Ils ont été arrêtés au mois d’août dernier pour avoir distribué des brochures appelant à la libération de condisciples arrêtés auparavant et exprimant leur soutien au processus de transition politique et de réconciliation nationale. Thet Naung Soe a également organisé une manifestation individuelle et silencieuse. Comme d’autres personnes, ils se sont engagés dans ces activités pacifiques après avoir entendu la déclaration du 6 mai du SPDC. Le Rapporteur spécial a évoqué leur cas et celui d’autres personnes auprès du SPDC à plusieurs reprises depuis son appel urgent du 2 septembre et les a rencontrés en prison le 20 octobre. Il a été choqué d’apprendre qu’ils avaient été condamnés à des peines de 14 et 7 ans d’emprisonnement, respectivement.

28. Ces arrestations portent atteinte à l’exercice pacifique des droits de l’homme fondamentaux, indispensable à la réussite de la transition. La transition a besoin d’être soutenue à l’intérieur du pays et à l’échelon international, ce qui exige la confiance. Ces arrestations minent la confiance que le processus avait suscitée. Elles font naître de sérieux doutes quant à la volonté du SPDC de "tourner la page".


F. Liberté de religion

29. Le Rapporteur spécial a l’impression que, dans un contexte général de respect de la pratique religieuse, on observe des variations locales ou régionales. Le respect de la liberté de religion semble être plus grand dans les endroits proches des autorités centrales que dans les régions reculées ou dans les régions où sont menées des opérations anti-insurrectionnelles. Le Rapporteur spécial ne dispose d’aucune réponse claire quant aux raisons qui expliquent ce phénomène. Peut-être cette différence est-elle due à un contrôle insuffisant des autorités locales par le gouvernement central ou à un certain désintérêt pour le respect dû à certaines croyances. On continue de faire état de problèmes chroniques impliquant des musulmans, en particulier mais pas uniquement dans l’État Rakhine. Le Rapporteur spécial sait que des fonctionnaires du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’intéressent particulièrement
à cette question et il envisage de se pencher plus attentivement sur le problème lors de sa prochaine mission.

30. Au cours de sa mission, le Rapporteur spécial a rencontré des prêtres et des chefs communautaires de plusieurs Églises chrétiennes, ainsi que des moines bouddhistes. Il a appris que pour bâtir une église ou un centre communautaire les chrétiens devaient obtenir l’autorisation des autorités. Il semble que, même s’ils obtiennent cette autorisation de l’administration centrale, ils doivent encore passer par les différents échelons de l’administration, jusqu’à la municipalité, où les difficultés sont fréquentes; en cas de refus, ils doivent alors suivre la plainte qu’ils ont déposée en remontant tous les échelons de l’administration.

G. Enfants soldats

31. À l’issue du débat du 20 novembre 2001 sur les enfants et les conflits armés, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a adopté à l’unanimité la résolution 1379 (2001), qui contient des dispositions très claires prévoyant d’intégrer les questions relatives à la protection des enfants dans les travaux des organes créés en vertu d’instruments internationaux et des mécanismes de l’ONU. Le Rapporteur spécial estime qu’il est nécessaire de commencer à examiner, dans le cadre de son mandat, la question du recrutement et de l’utilisation d’enfants au Myanmar tant par l’armée régulière que par des groupes armés. Parmi les groupes armés non étatiques qui recruteraient des enfants soldats figurent: l’Armée unie de l’État Wa, l’Armée-sud de l’État Chan, l’Armée de libération nationale karen, l’Armée karenni, l’Armée bouddhiste démocratique karen, l’Armée indépendantiste kachin et l’Armée de libération
nationale môn.

32. De l’avis du Rapporteur spécial, le recrutement volontaire ou forcé d’enfants dans les forces armées et les différentes façons dont ils sont utilisés par ces forces armées est un réel problème au Myanmar. Il a continué à recevoir des rapports sur cette question, parmi lesquels le rapport intitulé "Child Soldiers 1379" de la Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats (novembre 2002) et le rapport intitulé "My Gun Was As Tall As Me" de Human Rights Watch (octobre 2002), qui ont été publiés après sa mission. L’attitude du Rapporteur spécial à l’égard de ces rapports est la même que pour des rapports similaires: ils contiennent tous deux des allégations de recrutement forcé d’enfants soldats et le Rapporteur spécial entend enquêter sur ces allégations comme sur celles qui concernent d’autres violations des droits de l’homme.

33. Au cours de sa mission, le Rapporteur spécial a pu recueillir des informations qui tendent à signaler l’existence d’enfants soldats au Myanmar mais il n’a pas encore été en mesure dedéterminer avec exactitude l’ampleur du problème. Il estime que les nombreuses recommandations qui figurent dans les rapports susmentionnés constituent des pistes utiles pour un examen sérieux de cette question par toutes les parties au conflit. Certaines des suggestions pourraient permettre d’entreprendre un examen calme et objectif de la meilleure
façon de mettre en oeuvre les droits de l’enfant dans cette région difficile et, par exemple, de mettre au point des systèmes fiables de vérification de l’âge des individus recrutés ou de mettre en place un système global d’enregistrement des naissances. À cet égard, le Rapporteur spécial sera extrêmement heureux de collaborer avec les autorités du Myanmar pour demander une assistance internationale auprès des institutions compétentes, telles que l’UNICEF, et d’ONG. Une initiative du SPDC en ce sens constituerait une avancée très positive.

34. Le Rapporteur spécial estime très important que le SPDC admette l’existence de ce problème et commence à explorer les moyens à mettre en oeuvre pour s’y attaquer, y compris par l’adhésion au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant qui traite de ce problème et à la Convention sur les pires formes de travail des enfants de 1999 de l’OIT, qui définit le recrutement forcé ou obligatoire des enfants comme l’une des pires formes de travail des enfants. Dans le même temps, le SPDC pourrait engager un débat constructif avec le Comité des droits de l’enfant dans le cadre de l’examen du deuxième rapport périodique du Myanmar sur l’application de la Convention et envisager de prendre toute autre mesure nécessaire.

III. ENQUÊTE INDÉPENDANTE SUR LES ALLÉGATIONS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LES RÉGIONS OÙ VIVENT DES COMMUNAUTÉS ETHNIQUES

35. L’apparition de personnes déplacées dans leur propre pays est l’une des principales conséquences des troubles à la frontière entre le Myanmar et la Thaïlande depuis les années 80. L’insurrection implique la population dans son entièreté. Ce type de conflit touche les civils dans la mesure où il est très difficile de faire la distinction entre combattants et non-combattants. Le fait que la population civile qui vit dans les régions d’insurrection ethnique au Myanmar est inévitablement mêlée au conflit, quels que soient ses choix individuels, est particulièrement dramatique. L’armée a tendance à considérer les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays comme des ennemis et les camps de réfugiés comme des bases arrières, à partir desquelles des attaques sont lancées contre le pays. En conséquence, toute enquête sur les violations des droits de l’homme commises dans ces zones de guerre est considérée comme une agression contre le SPDC.

36. Le Rapporteur spécial estime qu’il est temps de sortir de cette impasse où l’examen d’allégations fondées de violations des droits de l’homme fait automatiquement l’objet de soupçons et est considéré comme une accusation à l’encontre du SPDC. Il estime que la dénonciation pacifique de violations est susceptible de contribuer à la réconciliation nationale et à la paix et d’ouvrir la voie à l’obligation de rendre des comptes, condition fondamentale à l’édification d’un État de droit.

37. Il ne fait aucun doute que des violations graves des droits de l’homme ont été commises et continuent d’être commises dans les régions où opèrent des groupes armés. Ces violations ont essentiellement été attribuées à l’armée. Il existe également des preuves que certains groupes qui opèrent à partir de pays voisins et grâce à un soutien extérieur font preuve de peu de respect pour la vie et la sécurité des civils. Leurs activités armées incessantes dans ces régions sont à l’origine d’opérations anti-insurrectionnelles menées par l’armée, qui ont eu des conséquences dramatiques pour la population locale.

38. Au cours de la période qui fait l’objet du présent rapport, le Rapporteur spécial s’est notamment intéressé à la possibilité de mener une enquête indépendante sur les allégations de violations des droits de l’homme commises dans les régions où vivent des communautés
ethniques. Une attention particulière été accordée aux allégations selon lesquelles des femmes chan auraient été victimes de viols systématiques commis par des soldats du Myanmar, qui figurent dans le rapport intitulé "License to Rape" édité par la Chan Human Rights Foundation (SHRF) et le Chan Women’s Action Network (SWAN) en mai 2002. À cet égard, au cours de sa dernière mission, le Rapporteur spécial a reçu des informations détaillées sur trois enquêtes menées par les autorités du Myanmar au cours d’une période de trois mois au sujet des allégations récentes de viols dans l’État Chan. Il a également été invité à se rendre dans l’État Chan, proposition qu’il a déclinée, considérant qu’un court séjour ne lui permettrait pas de réaliser une évaluation sérieuse des allégations relatives aux violations qui auraient pu être commises dans cet État. Lorsqu’il a quitté le Myanmar, le Rapporteur spécial a rencontré les
auteurs du rapport susmentionné et les enquêteurs qui ont participé à sa rédaction; par ailleurs son équipe a interrogé, en Thaïlande, un certain nombre de victimes et de témoins des viols.

39. Lors de la préparation de sa mission, le Rapporteur spécial a suivi cette question avec attention. Il a constaté que, dans un premier temps, le SPDC a rejeté les allégations, sans même les examiner, les considérant comme des témoignages fabriqués de toutes pièces, lors de conférences de presse qui ont eu lieu les 12 et 30 juillet. Une réunion de presse qui a eu lieu le 23 août a permis d’avoir un exemple de "double langage", dans la mesure où le Vice-Ministre des affaires étrangères a conclu que l’enquête "préliminaire" avait démontré que les allégations avaient été fabriquées de toutes pièces par les auteurs du rapport, qui étaient de connivence avec l’Armée révolutionnaire unie chan (SURA), tout en affirmant qu’aucun indice ne serait ignoré au cours de cette enquête. Enfin, les deux membres du Groupe de travail national sur la condition féminine qui ont été reçus au Haut-Commissariat aux droits de l’homme le 11 octobre ont déclaré ne pas avoir pris connaissance du rapport original sur ces viols.

40. Les renseignements relatifs aux trois enquêtes effectuées, qui ont été donnés au Rapporteur spécial au cours de sa mission, sont les suivants:

a) Le premier rapport d’enquête (établi par une "Équipe spéciale de personnel de sécurité") conclut (après audition de 94 officiers et soldats appartenant à 24 bataillons différents, de 27 membres de la magistrature, de la police et du personnel hospitalier, de 6 ONG et de
195 villageois) que "l’enquête préliminaire et les premières constatations montrent que la quasi-totalité des allégations sont extrêmement exagérées et que leur principal objet est de porter atteinte au prestige du Myanmar et des forces armées du Myanmar";

b) Le deuxième rapport, établi par le Président du "Comité national des femmes du Myanmar chargé de la lutte contre la traite des femmes" (Vice-Ministre de l’intérieur) sous "la direction du général Khin Nyunt", conclut qu’aucune preuve ne vient étayer les "allégations des narcoterroristes de la SURA" à l’issue d’une mission d’enquête de cinq jours menée dans "43 localités";

c) Le troisième rapport [établi par une équipe du Groupe de travail national du Myanmar sur la condition féminine, qui est dirigé par Daw Khin Win Shwe (l’épouse du général Khin Nyunt)] conclut, après une mission de cinq jours au cours de laquelle l’équipe a rencontré 650 fonctionnaires de deux districts et 250 à 300 anciens de deux secteurs ruraux, "que les accusations sont manifestement infondées". "Il n’y a eu aucun cas de viol commis par du personnel militaire entre 1996 et 1999 ou en 2002"; en revanche "il y a eu trois cas de viol en 2000 et 2001" et les auteurs de ces agressions ont été condamnés à des peines de cinq à dix ans de prison.

41. Le Rapporteur spécial a également reçu des informations concernant des enquêtes portant sur deux allégations précises, à savoir celle qui a trait à l’exécution de cinq habitants du village de Kalein Padaw, dans la municipalité de Thanbyuzayat (État Môn), et celle qui a trait à l’exécution de 12 habitants du village de Htee Law Bler, dans la municipalité de Kya-in-seikkyi (État Kayin), menées par le SPDC de juillet à octobre 2002.

42. Tout en reconnaissant l’importance des efforts déployés, le Rapporteur spécial a expliqué au SPDC que, étant donné que les enquêtes avaient été menées par des militaires et par des personnes appartenant au SPDC, elles n’avaient pas l’indépendance voulue pour être
convaincantes et crédibles. Les investigations en question ont apparemment été menées par des personnels qui ne sont pas dotés de compétences particulières et qui n’ont pas l’expérience voulue pour mener des enquêtes sur des allégations de violations des droits de l’homme et qui ne connaissaient même probablement pas les conditions minimales requises pour qu’une enquête soit crédible. Si l’on se fonde sur les rapports, on peut supposer que ces enquêtes ont été menées de telle manière que très peu de personnes auront probablement osé témoigner par peur de représailles contre elles ou contre leur famille (grandes réunions publiques et collectives, avec des responsables locaux, des anciens et d’autres villageois, organisées à l’avance par des membres de la sécurité ou des militaires, accompagnés d’une escorte militaire; il aurait été demandé aux anciens de rassembler les villageois sous peine d’amende; il a été demandé aux villageois de signer un document démentant les allégations de viol). D’après les informations dont dispose le Rapporteur spécial, très peu d’efforts ont été déployés pour interroger chaque villageois d’une manière qui garantisse la confidentialité de l’interrogatoire et la protection des
témoins par la suite. Sauf dans un cas, il n’est pas sûr que des services adéquats d’interprétation aient été fournis pour garantir une bonne communication. Les problèmes de langue, y compris la traduction des noms de lieux et des noms de personnes (tant des victimes que des soldats) ont peut-être compliqué la situation. La méthodologie utilisée et les preuves matérielles exposées ne
confirment pas les conclusions des enquêtes.

43. Après avoir donné ces explications, le Rapporteur spécial a proposé au SPDC d’examiner plusieurs options visant à mettre en place un mécanisme crédible pour enquêter sur ces allégations et sur d’autres allégations nombreuses de violations des droits de l’homme dans les régions où vivent des minorités ethniques, et il a souligné à quel point il était important de prendre un engagement immédiat à cet égard. Les options en question, classées par ordre de préférence, sont les suivantes:

a) Une équipe indépendante d’évaluation relevant du mandat du Rapporteur spécial, dont la tâche précise ferait l’objet d’un examen approfondi et devrait être acceptée. Cette équipe se pencherait sur les allégations récentes de violations des droits de l’homme commises à l’encontre de femmes chan. Elle pourrait également examiner la question du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats, ainsi que d’autres allégations de violations des droits de l’homme dans les régions où vivent des minorités ethniques;

b) Une commission internationale d’enquête, ce qui exigerait un nouveau mandat de l’ONU;

c) Un mécanisme national d’enquête équilibré, auquel participeraient le SPDC et les autres parties intéressées au Myanmar. La NLD a exprimé sa volonté de participer, le cas échéant, aux travaux d’un tel mécanisme. L’ONU pourrait au besoin fournir une assistance
technique pour contribuer à la mise en place de ce mécanisme.

44. Outre qu’il est nécessaire de procéder à une évaluation indépendante des allégations de violations des droits de l’homme dans les régions où vivent des minorités ethniques, le Rapporteur spécial a proposé au SPDC d’envisager, en priorité, d’autoriser une présence
adéquate du CICR dans toutes les régions du pays actuellement en conflit. Le CICR pourrait ainsi évaluer la situation en permanence, établir des rapports confidentiels destinés aux autorités et collaborer avec elles pour mettre en oeuvre les mesures appropriées destinées à garantir la sécurité et la protection de la population civile, selon les besoins. Le fait que le CICR a accès aux lieux de détention a contribué à améliorer les conditions carcérales et le traitement des détenus. La présence du CICR dans les régions en conflit contribuerait à régler les problèmes évoqués dans les allégations récentes, mais aussi dans d’autres allégations de violations des droits de
l’homme et permettrait également de commencer à donner des notions de droit international humanitaire aux combattants. Le CICR a à la fois le mandat voulu et les ressources nécessaires au Myanmar (40 expatriés et 220 employés locaux) pour s’acquitter de cette tâche.

45. Le Rapporteur spécial a pris note d’un communiqué du SPDC daté du 4 novembre, dans lequel ce dernier réagit de façon positive à ces propositions. Le Rapporteur spécial s’est félicité de l’invitation lancée par le SPDC au CICR "de visiter la région de l’État Chan en présence des responsables compétents". Il espère que les premiers contacts pris par le CICR avec les autorités et la population locales dans ces régions à la suite de cette invitation prépareront le terrain pour un renforcement de la coopération et pour la mise en oeuvre de son mandat humanitaire dans la région. Le Rapporteur spécial a également écrit deux lettres aux autorités du Myanmar pour
demander des précisions quant aux conditions de l’invitation faite à l’ONU dans le même communiqué.

46. Comme le Rapporteur spécial l’a dit dans son exposé à l’Assemblée générale en novembre dernier, il apparaît, à l’issue de l’examen de la situation des droits de l’homme dans les régions où vivent des minorités ethniques auquel il a procédé, que la façon dont l’armée traite les civils dans les zones où se déroulent des opérations anti-insurrectionnelles pose de réels problèmes. Il ne suffit pas de nier ces problèmes pour qu’ils disparaissent; il convient de reconnaître leur existence et de s’y attaquer de façon appropriée. Aussi longtemps que des violations des droits de l’homme continueront d’être perpétrées, elles feront l’objet d’allégations. La façon la plus raisonnable de traiter cette question consisterait à mener des enquêtes crédibles sur ces allégations, à établir les faits, à prendre des mesures contre les auteurs des violations, à mettre en place des procédures destinées à empêcher qu’elles ne se reproduisent, à contrôler les unités
de l’armée et à indemniser les victimes. Le Rapporteur spécial demande au SPDC de collaborer avec lui pour lui permettre de réaliser une évaluation indépendante dans le cadre de son mandat. Il réaffirme qu’il est disposé à débattre du mandat de cette mission d’évaluation en ce qui concerne l’indépendance, le calendrier des travaux et la composition de l’équipe qui en sera chargée, la transparence des procédures, les méthodes d’investigation et la protection des témoins au cours de l’enquête. Il est primordial que le SPDC accepte clairement un mode opératoire fondé sur les normes internationales; il est également crucial que le SPDC accepte que
les violences sexuelles commises contre des femmes chan relèvent de ce mandat, y compris dans le cadre de l’examen des conclusions de l’équipe du Rapporteur spécial en Thaïlande et des allégations d’autres violations des droits de l’homme commises dans les régions où vivent des minorités ethniques. Ces travaux pourraient débuter au cours de la prochaine mission du Rapporteur spécial au Myanmar au début de 2003 et l’ONU pourrait fournir une assistance technique, par l’intermédiaire du HCDH, pour contribuer à former l’équipe d’enquêteurs du Rapporteur spécial.

IV. AUTRES QUESTIONS

A. Défis de la transition et du développement

47. Il est essentiel de bien saisir la structure pyramidale de la hiérarchie militaire et de la société au Myanmar pour comprendre comment les responsables militaires appréhendent la situation; ce n’est qu’ainsi que la communauté internationale pourra contribuer à la réalisation de progrès vers l’instauration de la démocratie longtemps attendue et le développement du pays. Les membres du SPDC estiment qu’ils ont fait beaucoup depuis 1989: cessez-le-feu conclu avec de nombreux groupes rebelles, développement des infrastructures, ouverture à l’économie de marché et à l’investissement étranger, initiatives diplomatiques (par exemple: adhésion à l’ANASE), progrès dans le domaine des droits de l’homme mentionnés par le Rapporteur spécial dans ses rapports précédents (E/CN.4/2002/45). Selon les observateurs neutres, il est vrai que l’on a observé des progrès en termes de développement, de paix et de stabilité dans un plus grand
nombre de régions qu’auparavant, ainsi qu’en ce qui concerne les libertés (en termes relatifs).

48. Le Rapporteur spécial estime que la communauté internationale, en particulier les États qui ont des liens historiques avec le Myanmar, doit abandonner ses illusions selon lesquelles des solutions rapides pourraient être imposées pour régler les problèmes structurels et culturels extrêmement complexes qui ont bloqué tout progrès politique et économique au Myanmar au cours des 50 dernières années. Le Rapporteur spécial estime que l’International Crisis Group a parfaitement mis en évidence cette exigence, à laquelle il souscrit totalement, lors de sa réunion asiatique (27 septembre 2002): "… le but serait de débloquer les comportements et les modes de pensée figés à l’intérieur du pays en encourageant de nouveaux acteurs, de nouvelles politiques et de nouvelles idées – ainsi que l’ouverture à la démocratie, le professionnalisme militaire, une économie de marché forte et un développement social plus large, éléments susceptibles de contribuer à aboutir à cet objectif. Il est nécessaire d’abandonner le mode de pensée qui consiste à considérer que tout progrès réalisé par le régime militaire constitue un obstacle à la démocratisation et ne doit en conséquence ni être appuyé ou encouragé ni même être reconnu. Que cela plaise aux responsables politiques occidentaux ou non, le fait est que le régime militaire est davantage enclin à faire des compromis dans une atmosphère de progrès que s’il se sent assiégé. En définitive, ce sont cinq décennies d’isolement
volontaire qui ont créé l’état d’esprit contre lequel l’opposition nationale et ses soutiens internationaux luttent actuellement.".

B. Aide humanitaire

49. Pour répondre à la situation humanitaire précaire qui prévaut au Myanmar, l’équipe de l’ONU affectée au pays est en train d’établir un rapport intitulé "Examen de la situation humanitaire et cadre d’action au Myanmar" (titre provisoire) afin de définir la meilleure façon de répondre aux besoins de la population. Le document permettra à l’équipe affectée au pays de parler d’une seule voix en ce qui concerne l’analyse de la situation dans le pays et de proposer un cadre d’action. Ce cadre devrait servir de base à un programme de mesures directes destinées à avoir un impact maximum. Les objectifs du cadre stratégique sont les suivants: sensibilisation à la situation actuelle; influence sur les politiques; mobilisation de ressources et renforcement des partenariats avec les parties prenantes. Ce document devrait proposer l’analyse la plus à jour des besoins fondamentaux de la population à ce stade de transition politique et devrait inviter la
communauté internationale à envisager de s’engager plus activement, ce qui pourrait aboutir à une évolution politique positive. Un rapport final devrait être publié au cours du premier semestre 2003.

50. En ce qui concerne la question du VIH/sida, le Myanmar a collaboré avec l’ONUSIDA. En mars 2002, un séminaire conjoint a été organisé pour évaluer la situation au regard du VIH/sida dans le pays. Le Gouvernement a informé le Rapporteur spécial du fait que, selon l’ONUSIDA, il y avait au Myanmar, à la fin de 2001, un total de 177 279 personnes vivant avec le VIH/sida, dont la plupart appartenaient aux groupes à haut risque et vivaient dans les régions frontalières.

V. OBSERVATIONS FINALES

51. Le Rapporteur spécial est convaincu que pour contribuer à renforcer le dialogue entre tous les acteurs politiques du Myanmar afin d’accélérer le processus de paix, il est nécessaire, plus que jamais, de tenir un discours rationnel sur les alternatives politiques et stratégiques qu’il est réellement possible de mettre en oeuvre. Il est peut-être nécessaire de garder à l’esprit que, pour définir des politiques internationales susceptibles de changer un monde où, après le 11 septembre 2001, les droits de l’homme ont tendance à être relégués au second plan, il faut tenir compte du fait que la volonté et la capacité de la communauté internationale sont très
limitées.

52. Il est temps de remplacer les espoirs que l’on avait placés dans le scénario idéal de l’établissement de modèles constitutionnels par un débat concret sur des exigences moins dogmatiques qui permettront de favoriser un changement réel. Il est primordial de suivre,
de comprendre et de renforcer les forces présentes au Myanmar, étant donné qu’en définitive seules ces dernières seront en mesure de susciter d’éventuels changements. À cette fin, plutôt que de continuer à déplorer que peu de choses aient changé au cours des 14 dernières années en termes de pouvoir et d’influence au sein du SPDC, de l’armée et de la société, il est temps de prendre la mesure des effets des changements progressifs qui ont été introduits et de les reconnaître. À tous les égards, il a été possible de constater une évolution en termes de contacts et d’échange d’information entre le SPDC et la NLD au cours des deux dernières années.
Toutefois, il reste important d’insister sur la nécessité pour les deux parties de définir la marche à suivre pour ouvrir un dialogue de fond et fixer les objectifs si l’on veut avancer vers une transition démocratique.

53. La communauté internationale doit garder les yeux ouverts pour voir les éléments de changement. Elle devrait poursuivre son dialogue avec l’ensemble des parties – le SPDC, la NLD, les autres partis politiques et les groupes qui ont accepté le cessez-le-feu. L’influence qu’elle peut avoir sera en grande partie déterminée par des facteurs intérieurs et elle ne doit négliger aucun effort pour mettre en place un environnement favorable. Les États membres et les organisations internationales doivent emboîter le pas aux acteurs nationaux en ce qui concerne la transition politique. Alors que la Secrétaire générale de la NLD et ses collègues commencent à agir, il est capital de rester pragmatique et de travailler dans le cadre des compromis acceptés et des négociations engagées par la NLD avec les autres partis politiques, groupes ethniques et groupes de la société civile. Même si, à première vue, ces arrangements ne permettront pas
encore de répondre aux exigences de base des démocraties bien établies, cette évolution a également eu lieu dans le cadre du processus de démocratisation qui a donné naissance à bon nombre des nouvelles démocraties. Ne refusons pas de reconnaître les progrès accomplis parce que les changements ne s’inscrivent pas dans un scénario maximaliste.

54. Par ailleurs, il est temps d’abandonner l’illusion que l’appareil et les agents de l’État disparaîtront comme par magie à l’issue de la transition politique. Comme dans toute transition démocratique au XX e siècle, y compris après des régimes autoritaires, bon nombre des
bureaucrates qui dirigent le pays en qualité de juges, de procureurs ou d’officiers de l’armée, resteront en place. Dans de nombreux cas, dans les pays d’Asie du Sud-Est, le dialogue politique s’est achevé avant que les exigences de démocratie participative, à savoir l’organisation d’élections et le respect des normes du travail et des droits de l’homme soient satisfaites. En conséquence, le Rapporteur spécial estime que les changements seront d’autant plus adaptés et d’autant plus harmonieux au Myanmar que la communauté internationale sera disposée à apporter rapidement son soutien à ce pays. Il continue donc à inviter instamment la communauté
internationale à s’engager aux côtés du Myanmar, avant même l’introduction de réformes démocratiques par le SPDC. Il estime que les peuples de ce pays ne doivent pas être les otages de la transition politique. Partout dans le monde, la transition politique est un processus, quelquefois tortueux et lent, et il serait irréaliste et naïf de croire à un changement de régime instantané au Myanmar.

55. C’est l’option politique de l’engagement aux côtés du pays qu’il conviendrait de choisir et non celle de l’isolement. Comme il l’a indiqué à de nombreuses reprises, par engagement fondé sur certains principes, le Rapporteur spécial entend notamment le dialogue, l’aide au changement, la participation de la communauté au processus de décision, le renforcement de la société civile et l’accroissement de la présence et des capacités des institutions spécialisées des Nations Unies. En insistant sur la nécessité d’un renforcement de l’engagement de la communauté internationale, le Rapporteur spécial ne demande pas d’accroître l’aide financière
au SPDC ou d’envisager de suspendre les sanctions économiques ou politiques; conseiller les États membres à ce sujet ne relève pas de son mandat.

56. Par ailleurs, si le SPDC souhaite sincèrement promouvoir la cause de la paix, du développement et de la justice dans ces régions, il doit examiner sérieusement les allégations relatives aux viols dont des femmes auraient été victimes dans l’État Chan et à d’autres violations des droits de l’homme contre des civils résidant dans des régions où vivent des minorités ethniques touchées par le conflit armé. Le Rapporteur spécial estime urgent que le SPDC mette en place des mécanismes efficaces visant à obliger les membres des forces
armées à assumer leurs responsabilités en ce qui concerne les violations des droits de l’homme qui auraient été commises, afin de garantir la protection des populations civiles dans les régions où vivent des minorités ethniques. Il est temps d’en finir avec la guerre des mots. La négation de la réalité est la pire méthode qui soit pour aboutir à la réconciliation nationale: les allégations doivent faire l’objet d’enquêtes, les violations doivent être examinées en justice et leurs auteurs doivent être condamnés. Le Rapporteur spécial estime que le SPDC pourrait saisir cette occasion pour aboutir à une solution pacifique et engager le dialogue avec les minorités ethniques, et les inclure dans le processus de réconciliation nationale, de façon à assurer ainsi au pays la paternité du processus et à démontrer que le Myanmar est véritablement déterminé à découvrir la vérité, à protéger la population contre tout abus de pouvoir et à traduire les auteurs de ces violations en justice. Pour soutenir cette initiative, il est important que l’Organisation des Nations Unies et la communauté internationale appliquent une politique cohérente en matière de violations des droits de l’homme: il ne peut y avoir un ensemble de règles ou de conditions pour le SPDC et un autre pour les groupes armés.

57. Le Rapporteur spécial estime que l’ouverture d’un bureau de l’OIT à Yangon et la nomination, en octobre 2002, d’un fonctionnaire de liaison de l’OIT pour toutes les activités pertinentes visant à assurer l’élimination rapide et effective du travail forcé dans le pays
constituent une avancée importante. Il serait à présent particulièrement bienvenu que le SPDC confirme sa volonté de mettre un terme au travail forcé en renforçant sa collaboration avec l’OIT et en lui donnant libre accès au pays.

58. Il est grand temps de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent manifestement les relations entre le SPDC et la NLD. Le Rapporteur spécial est convaincu que le renforcement des progrès dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l’homme contribuera à créer l’atmosphère voulue pour sortir de cette impasse. Comme il l’a indiqué dans ses précédents
rapports, il ne peut y avoir de transition politique crédible au Myanmar sans la mise en oeuvre de mesures concrètes. Certaines de ces mesures, telles que la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques, y compris dans le cadre d’une amnistie générale, sont liées à l’exercice des droits civils et politiques. La levée des restrictions qui empêchent les partis politiques et les groupes qui ont conclu des accords de cessez-le-feu avec le Gouvernement de mener des activités politiques pacifiques ouvertement et sans aucun risque de représailles ou de sanctions relève également de cette catégorie de mesures. Le Rapporteur spécial estime que c’est particulièrement important compte tenu du fait que, en l’absence de règlement politique digne de ce nom et en l’absence de croissance économique, les accords de cessez-le-feu n’ont pas permis à eux seuls de changer la situation sur le terrain pour la plupart des victimes des conflits
précédents. Il est urgent de lancer un processus de dialogue structuré sur des questions politiques de fond avec la participation d’autres acteurs de la réconciliation nationale (représentants des minorités ethniques et autres partis politiques). Ce processus doit s’accompagner d’une réforme de l’appareil d’État, ce qui pourrait contribuer progressivement à faire prévaloir l’état de droit sur le système de "non-droit" dont pâtit, à l’heure actuelle, la majorité de la population du Myanmar. Avec la collaboration de la communauté internationale et des organisations multilatérales, il faut continuer à prendre des mesures audacieuses pour réformer le système d’administration de la justice et pour mettre en place des mécanismes de contrôle des obligations liées aux responsabilités en ce qui concerne les violations commises par des agents de l’État. Il va de soi que le processus de transition ne sera pas achevé tant que n’auront pas eu lieu des élections libres. S’agissant des droits économiques et sociaux, il est impératif de mettre en place une forme "d’aide humanitaire" à laquelle participeraient l’Organisation des Nations Unies et les acteurs nationaux, le SPDC et la NLD, ainsi que, le cas échéant, d’autres acteurs concernés.


Annexe

Liste des personnes entendues par le Rapporteur spécial lors de ses visites dans les prisons d’Insein et de Thayarwaddy

Les entretiens que le Rapporteur spécial a eus avec les personnes dont les noms suivent ont été strictement confidentiels (c’est-à-dire qu’aucun gardien ou membre de l’administration pénitentiaire n’était présent): Personnes détenues dans la prison d’Insein (entendues le 20 octobre 2002)

Cas récents [depuis la visite de février 2002]

1. Aung Thein
2. Kyaw Naing Oo
3. Thet Naung Soe
4. Khin Maung Win
5. Ko Hla Htut Soe
6. Maung Maung Aye aka Ko Baydar
7. U Aye Zaw Win
8. Aye Ne Win
9. Kyaw Ne Win
10. Zwe Ne Win

Personnes entendues pendant la visite de février 2002
11. M. Salai Tun Than
12. U Win Tin
13. Daw May Win Myint

Autres prisonniers politiques
14. U Naing Naing
15. Ma Khin Khin Leh
16. U Aung Myint

Personnes détenues dans la prison de Thayarwaddy (entendues le 27 octobre 2002)
1. Iqbal
2. Zaw Thet Tun
3. Kyaw San (aka Cho Sein)
4. Jimmy (Kyaw Nain Min Yu)
5. Pyinnyar Zaw Ta (Myint Maung Maung)
6. Soe Moe Maung
7. Htay Kywe
8. Soe Moe Hlaing
9. Ma Nilar Thein
10. U Win Myint
11. Lay Mon Mon

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