Birmanie>Net Hebdo n° 28
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie


Sommaire

  • Interview de Frederic Debomy

Birmanie, la peur est une habitude

Interview réalisée pour le Journal de Bord de l'association Khiasma, partenaire d'Info Birmanie pour le projet "Birmanie, la peur est une habitude" dont Frederic Debomy est le responsable.

Nous vous rappelons que le 14 avril a paru le livre “Birmanie, la peur est une habitude”, du nom du projet commun à Info Birmanie et Khiasma, une association dont le but est de faire passer des messages politiques via des évènements culturels. Ce livre, dont la parution ouvre un nouveau cycle de rencontres autour de la crise birmane, regroupe textes, témoignages et bandes dessinées d’auteurs. 

Vous pouvez vous procurer ce livre auprés d'Info Birmanie, ou en librairie, au prix de 19 euro.


1) Quand et comment as-tu découvert la situation actuelle de la Birmanie ?

La première fois que j’ai entendu parler de ce qui se passait en Birmanie, c’était lors de la sortie française du film " Rangoon " de John Boorman. Ce film a certainement beaucoup contribué à faire connaître ce qui arrivait à ce pays. C’est néanmoins un film ambigu : le personnage principal est une américaine et c’est surtout elle qu’on voit, le second rôle (et premier rôle birman) étant réduit au schéma habituel du " guide indigène ". Autre remarque, Aung San Suu Kyi, qu’interprète une actrice, n’apparaît qu’une seule fois : lorsqu’on la voit s’avancer sans crainte vers les soldats qui, cependant, la menacent de leurs fusils. Ils l’ont en joue mais ils tremblent ; finalement, un ordre est donné, les soldats baissent leurs armes et la laissent passer, accompagnée de ses partisans. Ceci est inspiré d’une anecdote réelle, mais retenir cet événement particulier, et seulement celui-là, c’est bien sûr présenter Aung San Suu Kyi d’une façon héroïque, presque désincarnée.
Sans critiquer trop le film de Boorman, dont je ne remets en cause ni les intentions ni la portée médiatique, et s’agissant du livre, ce sont là des schémas que nous avons souhaité éviter.
C’est néanmoins la lecture du livre " Birmanie TOTALitaire " publié par L’Esprit Frappeur qui fut, des années plus tard, à l’origine du projet.

2) Cette situation est méconnue en France alors qu’elle implique des intérêts nationaux importants. Comment expliques-tu ce décalage ?

Qu’il n’y ait pas en France de culture du boycott comme dans les pays anglo-saxons (je fais ici allusion au boycott possible de TotalFinaElf pour son action en Birmanie, ou au boycott des tour opérators proposant des voyages en Birmanie) explique peut-être que certaines situations restent relativement peu connues, puisque " non relayées ". Quant à la presse, celle-ci est effectivement restée, je crois, relativement silencieuse sur le cas Total (cela a un peu changé ces derniers temps avec le procès engagé en France contre Total par des plaignants birmans). Par allégeance au pouvoir ? Sans doute faut-il se méfier des théories du complot. Mais peut-être faut-il garder à l’esprit, aussi, la teneur des liens entre pouvoirs politique, économique et médiatique ( liens décrits par un journaliste comme Serge Halimi dans son livre " Les nouveaux chiens de garde "). Comment se fait-il que la presse, qui n’a cessé d’évoquer Total (l’Erika, AZF), ait si peu mentionné l’investissement du pétrolier en Birmanie? Peut-être parce que la Birmanie c’est loin, et qu’il ne s’agit plus de problèmes " intérieurs " ? C’est pourtant au nom de tous les français que l’Etat a permis à Total d’investir en Birmanie. Un investissement qui fait dire à Aung San Suu Kyi que vu de Rangoon , Paris ne défend pas la démocratie.

3) Pourtant on note que les débats sur la Birmanie à La Maroquinerie ont fait salle comble ?

C’est parce qu’un débat sur TotalFinaElf attirera toujours un public important, pour différentes raisons qui ne sont pas toutes en lien avec la question birmane. Et lorsque nous avons fait un débat sur le tourisme, nous avons constaté qu’un bon nombre des gens qui étaient venus avaient plus ou moins la Birmanie pour destination fétiche de leurs vacances. Nous avions posé la question " Faut-il y aller ou pas ? " (particulièrement du point de vue du touriste). Parmi les gens présents dans la salle, certaines personnes avaient je crois une idée très ferme sur la réponse à apporter à cette question, correspondant davantage à leur envie de dépaysement qu’à l’aboutissement d’une réflexion.

4) Comment s’est déroulée la mise sur pied du projet " Birmanie, la peur est une habitude ", quelles ont été les différentes étapes de maturation qui ont mené à la forme actuelle de l’action ?

La rencontre avec Khiasma mais aussi avec Info Birmanie, notre partenaire sur ce projet, a été la première étape.
Mon ambition initiale était de produire un livre que relaierait une exposition. Il y avait aussi un projet d’affiche. D’emblée le projet s’est élargi à la mise en place d’un site Internet, à la réalisation de cartes postales, à l’organisation de projections publiques accompagnées de débats (la première sur la situation générale et l’investissement de Total, la seconde sur la question du tourisme). De manière générale, il y a un gros travail à faire pour faire connaître ou mieux connaître ce qui se passe en Birmanie et agir sur cette situation. On pourrait se satisfaire d’avoir fait un beau livre " sur cette situation douloureuse ". Tout le monde trouverait ça très " noble ". Ce serait néanmoins douteux car finalement nous serions, sinon les seuls, du moins les premiers à tirer les fruits d’un tel travail. La question abordée ne serait alors plus que prétexte. Et la démarche douteuse.
Nous essayons de garder à l’esprit ce qui peut être utile (nous souhaitons que la Birmanie connaisse la démocratie). Par exemple, l’exposition est là pour donner plus de portée au livre, et nous espérons que l’exposition elle-même sera porteuse d’autre chose.

5) Lors du débat d’Avril 2002, à la Maroquinerie, autour de la thématique du tourisme, nous avons été surpris de la teneur des échanges. Malgré la demande de boycott du gouvernement en exil, beaucoup défendent l’idée que le touriste peut être un témoin privilégié des atteintes à la liberté en Birmanie. Suite à ce débat, tu as rassemblé une série de prises de positions publiées sur le site www.birmanie.org . Un chapitre du livre enfonce le clou en mettant en relation tourisme et travail forcé…

Il est utile de préciser que ce sont les démocrates birmans eux-mêmes qui demandent que les touristes ne se rendent pas dans leur pays avant que la démocratie n’y soit restaurée. Car ils estiment que le tourisme, loin de profiter vraiment à la population, participe de ce qui maintient le régime en place. Quelle relation avons-nous à la notion de démocratie (une réalité dont nous bénéficions) si nous ne jugeons pas nécessaire de respecter une demande faite par les représentants élus du peuple birman ?
Ensuite, si je me défie de toute position dogmatique, je n’ai pas rencontré jusqu’à présent les arguments qui sauraient me convaincre que leur position est erronée.
Sur cette perpétuelle histoire du témoin, enfin, je reprendrais les arguments de l’association Transverses (qui œuvre à la promotion d’un tourisme responsable) : la qualité de témoin exige " une information préparatoire très documentée, le courage de prendre des risques et, avant tout un " métier " qui ne s’improvise pas. En outre, être témoin doit pouvoir s’appuyer sur un réseau d’informateurs sûrs qui ne se constitue que par un long travail de mise en confiance. Cela n’est pas compatible avec des activités passagères de vacances. (…) Le mot grec pour témoin est " marturos ", qui a donné en français " martyr " : celui qui prend des risques personnels désintéressés pour son témoignage (…) Pour en finir avec l’argument du " témoin ", on peut demander : témoin vis-à-vis de qui ? La qualité de témoin exige que l’on ait à son retour des interlocuteurs (ou des lecteurs ou des spectateurs), c’est-à-dire que le témoin a ou se donne un accès à des médias de quelque nature que ce soit "
Bref, comme le dit un membre du collectif Actions Birmanie, il s’agit d’un argument à bon compte mais pas plus.

6) Le livre qui paraît le 14 Avril prochain est le résultat de longs mois de travail. Comment ont été rassemblés les documents qui le constituent ?

Il existe d’abord une importante documentation tant sur papier que sur Internet. Mais il nous a été possible d’obtenir par d’autres biais des documentations moins ordinaires. Par exemple, près d’une centaine de photos du camp de Manerplaw, QG de la résistance armée à la junte militaire birmane dont la chute remonte à maintenant plusieurs années. Ces photos m’ont été remises par celui qui les a prises (un français qui, pour certaines raisons, fréquentait le camp).
Le lien établi avec l’ensemble de ce que j’appellerais le " réseau Birmanie " (c’est à dire l’ensemble de ceux qui ont pris part à la problématique birmane, en premier lieu desquels les démocrates birmans en exil et les structures diverses qui relaient leurs actions) est certainement l’une des forces du projet. Il permet par exemple de lancer un appel à documentation ou de vérifier, auprès d’une personne qui travaille auprès des birmans réfugiés au Bangladesh, certaines informations relatives à ces personnes. Nous avons eu accès à plus qu’une documentation conventionnelle.


7) Comment les auteurs de bandes dessinées, invités ici à produire des fictions courtes de 8 pages, ont-ils travaillé ?

Le choix des auteurs s’est fait selon les critères suivants : nous tenions à ce que les auteurs ne se contentent pas de faire " œuvre solidaire " mais investissent réellement les thèmes. Connaître ce dont on parle c’est le minimum, ne serait-ce qu’en termes d’éthique.
Nous avons sollicité des auteurs qui paraissaient susceptibles de faire œuvre personnelle à partir d’un tel matériau ; de tirer la situation à eux, pour renvoyer à elle.
J’ai moi-même déterminé et distribué un certain nombre de thèmes et tenté de répondre aux besoins et questions des auteurs. Nous leur avons en outre fourni la documentation necessaire.

8) Ce livre a ainsi une double ambition, un défi artistique et politique…

Oui. Les bandes dessinées ne sont pas là pour tenter de convaincre de telle ou telle chose, mais pour tenter de porter une réflexion sur certains aspects de la situation. Il me paraissait insuffisant de se contenter d’informer, insuffisant aussi de se contenter d’un travail de bande dessinée. En caricaturant à gros traits, l’idée présidant à l’articulation du livre se résumait ainsi : par les témoignages nous exposons des choses, par les bandes dessinées nous tentons de les comprendre (en vérité les rôles ne sont pas partagés de manière si systématique). Les bandes dessinées sont autant de regards différents portés sur la situation. C’est pour cela qu’il me paraissait pertinent de solliciter différents auteurs  : ce sont autant de tentatives différentes de comprendre cette situation qui nous est, à bien des titres, étrangère.

9)  C’est une vision assez noire de la Birmanie qui est proposée au lecteur, bien loin des carnets de voyages remplis de portraits colorés de " ce peuple docile, accueillant et mystérieux "

Il ne s’agit pas d’un livre sur la Birmanie, mais d’un livre sur la situation politique de la Birmanie. Celle-ci sans doute peut être qualifiée de " noire ". Je considère les notions de paradis perdu, de sagesse millénaire etc. que l’on retrouve tant dans les brochures d’agences de voyage et ailleurs comme des obscénités. Beaucoup de gens qui prétendent aimer la Birmanie ne recherchent qu’un fantasme – on prétend être très attaché à un pays qu’en réalité on ne cherche même pas à voir. C’est une attitude d’un égoïsme consternant.

10) Dans son texte d’introduction, Nadia K. Nambo insiste sur les enjeux des bandes dessinées de création dans ce contexte. Par ce biais, le livre ne cherche-t-il pas également à toucher un autre public que le milieu militant ou celui des spécialistes ?

C’est évident. L’une des ambitions du projet est de porter cette situation à la connaissance d’un public élargi. Il y a bien des livres sur le sujet mais ceux qui les recherchent, qui les lisent, ne sont-ils pas dans la plupart des cas des gens qui sont déjà informés ? Les milieux militants notamment connaissent mieux que le grand public cette problématique.
Sans doute faut-il réinventer les manières de faire pour parvenir à faire parler de certaines situations. C’est ici une question / un enjeu de communication / Nous avons ici un enjeu très clair de communication


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