Birmanie>Net Hebdo n° 47 - 10 décembre 2003
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie


Sommaire

  • Edito
  • Interview de Htoo Chit
  • Kouchner fait écran Total sur le travail forcé en Birmanie
  • Le gazoduc de Yadana, cicatrice dans la région sauvage du Tenasserim
  • La junte birmane travaille à sa "feuille de route"

Edito

La nouvelle du moment, celle qui court sur toutes les lèvres du microcosme "birman", c'est un rapport de BK Conseil, autrement dit de Bernard Kouchner, qui a pour principale vocation de "blanchir" Total en Birmanie (d'après Libération, ce rapport lui a été payé 25 000 euro).

Ce rapport, d'une bien piètre qualité (le seul nombre de fautes de typographie et d'orthographe suffit à voir avec quel soin il a été rédigé), donnera évidemment lieu à une réaction approfondie de notre association, dans un futur proche. D'ici là, nous vous donnerons dans les numéros 47, 48 et 49 de Net Hebdo un certain nombre d'éléments de réflexion autour de la présence de Total en Birmanie.

Pour commencer, une interview de Htoo Chit, porte parole des plaignants contre Total, que nos lecteurs connaissent bien: nous vous avons déjà parlé de lui dans les numéros 32 et 33 de Net Hebdo.

Il est important de noter que cette agitation autour de Total intervient au moment où s'ouvre aux Etats-Unis le procès contre Unocal. Vous trouverez tous les détails sur
http://www.earthrights.org/

Par ailleurs, une réunion intergouvernementale se tiendra à Bangkok la semaine prochaine pour discuter de l'avenir politique de la Birmanie. De cela aussi, nous vous reparlerons bientôt.

Mael Raynaud

Interview de Htoo Chit
Source: Rouge, 9 octobre 2003

Après avoir participé aux manifestations d’août 1988 en faveur de la démocratie en Birmanie, Htoo Chit, 39 ans, a d’abord rejoint un mouvement d’opposition armé, avant de militer pour la défense des droits de l’Homme et d’enquêter sur les conséquences de l’arrivée de Total dans son pays. En 1996, Htoo Chit a présidé le comité de coordination des organisations birmanes pour la solidarité et l'entraide de la région du Sud-Est. Cette organisation apporte un soutien direct à tous les réfugiés sur la frontière birmano-thaïlandaise, ainsi qu'à l'intérieur de la Birmanie auprès des personnes déplacées. Clandestin pendant quinze ans, il a demandé à la France le statut de réfugié politique l’année dernière. Aujourd’hui, il est porte-parole des plaignants contre Total dans le dossier du travail forcé utilisé dans le chantier du gazoduc de Yadana, construit par le groupe pétrolier dans le Sud de la Birmanie.

Travail forcé

Quelle est la raison de ta présence en France?

Htoo Chit – En août 2002, une plainte pour "séquestration" a été déposée par deux de mes compatriotes1 au tribunal de Nanterre contre la compagnie pétrolière Total. La raison de cette plainte est que Total a bénéficié de la pratique du travail forcé de paysans rafflés par l’armée birmane dans la zone du chantier du gazoduc de Yadana, construit par le pétrolier dans le Sud de la Birmanie. La compagnie a notamment profité du travail forcé pour les travaux d'aménagement préliminaires à la pose du gazoduc, par exemple lors de la construction des casernes pour les 10000 soldats chargés d’assurer la sécurité du chantier et d'un hélipad [plates-formes d’hélicoptères]. Pour la sécurisation de la zone, les populations se trouvant sur le tracé du pipeline ont été déplacées de force par l’armée. [Sur la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande, l’armée de Bangkok fait la chasse aux clandestins birmans, des paysans qui ont fui l’enrôlement forcé sur le chantier du gazoduc construit par TotalFinaElf. Le périmètre du gazoduc construit par TotalFinaElf est une "zone noire" – autrement dit de tir à vue. Dans ce "corridor de sécurité" créé par l’armée de la junte birmane, ont été déployés près de 10000 hommes – cent fois plus qu’avant l’arrivée de Total –, qui veillent au grain, avec les méthodes d’une armée d’occupation, NDLR.] Si je suis en France, c'est parce que j'ai été convoqué par le juge qui enquête. Mais au-delà de la justice française qui doit passer, je voudrais que l'opinion publique française écoute mon témoignage sur les violations des droits de l'Homme en Birmanie, et plus particulièrement celles dont Total est responsable.

Quels sont tes objectifs?

Htoo Chit – D'abord, je souhaite que le gouvernement français mette la pression sur le PDG de Total, Thierry Desmarest, en lui demandant de se retirer de Birmanie. Ensuite, j'aimerais que les actionnaires de Total agissent pour que Total sorte du piège birman. On peut toujours rêver... Ce qu'il faut savoir, c'est que l'implantation de Total est le plus gros investissement réalisé en Birmanie, le groupe pétrolier a donc une responsabilité particulière dans le soutien au pouvoir militaire.

À propos de la situation en Birmanie, que souhaites-tu?

Htoo Chit – Mes compatriotes vivent dans des conditions dramatiques: ils n'ont pas le droit de se réunir, pas le droit de s'exprimer, pas le droit de faire librement des affaires... Comment imaginer des syndicalistes en Birmanie lorsque le travail forcé y est organisé de manière systématique? Que penser de la situation faite à notre leader, Aung San Suu Kyi – membre de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) et prix Nobel de la paix réduite au silence – pour la troisième fois en quinze ans assignée à résidence? La logique du Conseil d'État pour la paix et le développement (SPDC), nom de la junte militaire, est de se maintenir au pouvoir aussi longtemps qu'il pourra y rester. Il y a plus de 1300 prisonniers politiques: des leaders étudiants, des syndicalistes, des journalistes, des universitaires, des représentants des minorités ethniques et ceux des autres partis en faveur de la démocratie, y compris des membres élus au Parlement lors des élections de 1990.
J'aimerais que les Français soutiennent avec force notre lutte (avec tous les moyens qu'ils jugeront nécessaires). Au-delà, je souhaite que les Nations unies et le Conseil de sécurité prennent d'urgence des mesures contre la clique de militaires accrochée au pouvoir. Je ne souhaite pas un dénouement à l'afghane ou l'irakienne, je ne souhaite pas d'intervention militaire... mais il est possible de s'interposer afin d’imposer un calendrier qui fixerait un processus de transition démocratique et garantirait des élections libres.

Quel type de soutien as-tu trouvé en France?

Htoo Chit – Au cours des derniers mois, j'ai été invité à plusieurs endroits pour témoigner de la situation dans mon pays, et particulièrement sur Total. Le plus grand meeting s'est tenu sur le Larzac: quelle riche expérience! J'y ai rencontré beaucoup de gens qui m'ont énormément sollicité. J'y ai aussi beaucoup appris sur d'autres sujets. J'en garde un souvenir impérissable. Voyez-vous, me retrouver avec José Bové et d'autres sur une estrade devant près de 3000 personnes attentives et concernées, cela fait chaud au coeur. Dans un futur proche, j'espère participer au Forum social européen.
Dans l'immédiat, j'apprécie le travail et l'aide que m'apporte Info Birmanie2. L’association vient d’accueillir une délégation de représentants des parlementaires élus lors des élections de 1990 en Birmanie qui n’ont jamais siégé. L’un d’entre eux, membre de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), avait participé à la convention nationale pour la rédaction d’une nouvelle Constitution mise en place par la junte militaire entre 1993 et 1995, avant de claquer la porte en 1994. Cette délégation arrive au moment où, en réponse aux pressions internationales, le trio au pouvoir (Than Shwe, Maung Aye, Khin Nyunt) veut resservir le plat de la convention nationale pour une nouvelle Constitution. Ils viennent d’annoncer une road map [sorte de "feuille de route"] en sept points, dont le premier évoquerait une nouvelle Constitution. Le tout sans définir ni calendrier, ni lieu précis, ni partenaires… Aucun doute possible, il n'y a aucun signe positif du côté des militaires.

Propos recueillis par Farid Ghèhiouèche,
président d’Info Birmanie

1. témoins dans la procédure ouverte contre la compagnie française TotalFinaElf en août dernier par deux avocats parisiens, Bernard Dartevelle et William Bourdon). Le premier, victime d’un recrutement forcé, a été en outre témoin d’un viol imputé à un employé de Total. Le second en saurait long sur les relations nouées entre l’armée et le pétrolier lors de la construction du gazoduc dans le Sud birman.


Kouchner fait écran Total sur le travail forcé en Birmanie
Source: Libération, 10 décembre 2003
Par Philippe GRANGEREAU

Auteur d'un rapport payé par Total, l'ancien ministre blanchit le géant pétrolier.
Kouchner fait écran Total sur le travail forcé en Birmanie

 "Ce programme socio-économique est la meilleure publicité pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show-room..." Bernard Kouchner 

Total, qui depuis août 2002, fait l'objet en France d'une plainte pour travail forcé en Birmanie, a appelé Bernard Kouchner, l'ex-ministre de la Santé du gouvernement socialiste et "French Doctor" fondateur de MSF, à la rescousse. En mars, le géant pétrolier a commandé un rapport à sa société, BK Conseil . "...Médecin humanitaire spécialiste des problèmes de santé publique et des situations d'urgence", écrit Total sur son site internet ( http://birmanie.total.com/ ) où figure en bonne place ce rapport de 19 pages, "homme politique engagé connaissant personnellement Mme Aung San Suu Kyi (l'opposante birmane, prix Nobel de la paix en résidence surveillée, ndlr) , Bernard Kouchner avait toute l'expérience requise pour être un observateur critique et impartial de l'action de Total en Birmanie".

Bernard Kouchner s'est donc rendu sur place pendant quelques jours, afin de voir le site du gazoduc construit par Total et achevé en 1998. Il a visité sept "villages modèles" du projet Yadana installés par le pétrolier dans cette zone dotée d'hôpitaux et d'orphelinats. Il n'en dit que du bien. "Ce programme socio-économique, note-t-il, est la meilleure publicité pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show-room..."

Sur l'essentiel, c'est-à-dire le travail forcé des populations locales dont Total est accusé d'avoir profité vers 1995, Kouchner reprend l'argumentaire bien rodé du pétrolier : "Le chantier a employé 2 500 personnes (...) . Toutes bénéficièrent d'un contrat écrit, de salaires réguliers, d'une protection sociale et de normes reconnues." Des travaux forcés ? Il ne s'agissait que d'une confusion avec le chantier voisin d'une voie ferrée où "il est probable que des travaux forcés aient malmené les populations". "N'oublions pas, ajoute Kouchner pour ponctuer son paragraphe , que pour détestable qu'il soit, le recours au travail forcé est une coutume ancienne, qui fut même légalisée par les Anglais en 1907." "Plus tard, au début du chantier, concède l'ancien ministre en se contredisant quelque peu , des villageois avaient été raflés par l'armée pour défricher la forêt et se livrer à d'autres besognes aux services des militaires (...). Ayant été prévenue de cette violation des droits de l'homme, la compagnie Total exigea que ces exactions cessent. Elle s'en ouvrit à Rangoon, aux dirigeants qui promirent d'intervenir et le firent. Deux décrets abolissant le travail forcé furent publiés en mai 1999 et octobre 2000." L'auteur du rapport explique donc que Total, contrairement à ce que certains esprits "mal informés" ont pu supputer, a en réalité lutté contre le travail forcé. "Il oublie de dire, commente Farid Ghehioueche du collectif Info Birmanie, que ces décrets n'ont jamais été appliqués." "En fait, ajoute le militant, Total a su que du travail forcé avait lieu sur son chantier, et lorsque l'entreprise s'est aperçu du danger que cela comportait en terme d'image, elle a changé de politique."

Nombreux sont les témoignages accréditant le recours au travail forcé au profit de Total. Il y a le rapport confidentiel "L'action de Total en Birmanie", commandité par Total en juin 1996, dont Libération s'est procuré une copie. L'ancien responsable des questions de sécurité du pipe-line relate que "les unités affectées à la protection du projet Yadana ont déjà utilisé les services des local helpers (recrues locales) réquisitionnés pour le chemin de fer, pour certaines tâches à leur profit direct ou pour du défrichage au profit de Total, alors que la société ne cesse de leur expliquer qu'elle dispose de ses propres moyens pour effectuer des travaux".

La compagnie française a opéré un certain nombre de glissements sémantiques. En novembre 2002, le PDG Thierry Desmarest, affirmait que Total n'avait "jamais recouru, directement ou indirectement, au travail forcé". Mais en novembre 2003, Jean du Rusquec, chargé de mission de Total en Birmanie, déclarait à l'AFP : "Il y a eu des problèmes au démarrage du chantier. Strictement du travail forcé, vers décembre 1995, pour la construction de baraquements et pour du portage (...). Nous avons indemnisé les villageois, 400 environ. Il a fallu se bagarrer." Malgré ce demi-aveu, la ligne de défense de Total demeure la même, précise l'avocat des plaignants birmans, William Bourdon, à savoir qu'"il n'y a jamais eu de travail forcé sur le chantier".

Total, s'il n'a pas profité sciemment de ce travail forcé, pouvait-il penser qu'il échapperait à ces pratiques ? Une étude confidentielle, commandée dès 1992 par Unocal, le partenaire américain de Total, à Control Risks Information Services, dont Libération s'est procuré une copie, avertissait le pétrolier : "Dans toute la Birmanie, le gouvernement utilise habituellement des travailleurs forcés pour construire les routes (...). Dans de telles circonstances Unocal et ses partenaires n'auront qu'une marge de manoeuvre très réduite."

Dans son rapport, payé selon lui 25 000 euros par Total, Kouchner se prononce pour l'engagement constructif avec la dictature : "Fallait-il répondre aux appels d'offre et installer ce gazoduc en Birmanie ? Je le crois." Et de conclure : "L'époque n'est plus à l'embargo et au boycott." Position en totale contradiction avec ses convictions d'antan. Dans la préface de Dossier noir Birmanie (Ed. Dagorno, 1994), où il qualifiait la junte de "narcodictature", il reprenait à son compte l'idée selon laquelle "il faut imposer à la junte birmane des sanctions économiques" . Ajoutant que de telles sanctions "heurtent bien souvent l'intérêt des Etats, dont la France qui, comme beaucoup d'autres, commerce avec les généraux via ses industries pétrolières". Pour justifier son revirement, Kouchner explique qu'à l'époque : "Je n'avais pas fait d'enquête. Mais un certain nombre de prix Nobel, dont mon ami Elie Wiesel, prétendaient l'avoir menée pour moi."

Les explications de l'ex-ministre

 "Total m'a demandé un rapport sur la situation sanitaire et la façon dont ils géraient la situation dans la zone du gazoduc. J'ai reçu 25 000 euros pour deux mois de travail... Comment croyez-vous que je gagne ma vie moi ? (...) Les Birmans que j'ai vus sont absolument heureux de la présence de Total, trop à mon avis par rapport au reste de la population. Personne ne connaît les "victimes de Total", à ma connaissance (...). Je ne crois pas qu'il ait été besoin pour les gens de Total, qui sont couverts d'or et qui gagnent bien leur vie, de recourir à des travailleurs forcés."


Le gazoduc de Yadana, cicatrice dans la région sauvage du Tenasserim
Par Pascale TROUILLAUD
Source: AFP, 27 novembre 2003

"Total nous a protégés du travail forcé imposé par l'armée", des habitants du village de Thechaung, dans le sud de la Birmanie, réunis dans une maison de thé, n'hésitent pas une seule seconde et disent tous la même chose. La question est au coeur de l"'affaire" Total en Birmanie. Le groupe pétrolier français est sous le coup d'une information judiciaire en France à la suite d'une plainte déposée par des Birmans affirmant avoir été forcés de travailler sur le chantier du gazoduc de Yadana au milieu des années 90. Le procès de
l'Américain Unocal, partenaire de Total lui aussi accusé de graves violations des droits de l'Homme, s'ouvre dans quelques semaines aux
Etats-Unis. Yadana, avec un milliard de dollars, est le premier investissement étranger en Birmanie, où sévit l'un des régimes militaires
les plus durs au monde. Le gazoduc qui achemine le gaz extrait offshore est enterré sur un parcours ouest-est accidenté et, vu d'hélicoptère, n'a laissé qu'un étroit serpentin de 63 km de long où la végétation est très clairsemée, entre la côte birmane du golfe de
Martaban et la frontière de son seul client, la Thaïlande. Un serpentin en forme de cicatrice sur la région sauvage du Tenasserim qui n'est
pas prêt de se refermer vraiment avec les procédures en cours. Un investissement aux "retombées judiciaires et médiatiques" jamais vues
pour Total. D'un côté, le groupe nie farouchement les allégations, et s'estime victime de "confusions" avec d'autres projets voisins --tel
le chemin de fer Ye-Tavoy qui coupe le "corridor" du gazoduc-- ou de "campagnes d'organisations militantes". De l'autre, ses accusateurs, dont certains s'appuient sur des témoignages de réfugiés birmans en Thaïlande, évoquent des "déplacements forcés de populations", "la militarisation de la zone", du travail forcé, des tortures et des viols par l'armée birmane chargée de garantir la sécurité du chantier. Il sera difficile de faire la lumière sur des faits anciens, dans un pays probablement hors d'accès aux juges et dans le cadre de procédures menaçant de durer des années. C'est la parole de Total contre celle de ses accusateurs. L'opérateur de Yadana a recommencé à amener des petits groupes de journalistes sur place, pour "mieux communiquer". "Il y a eu des problèmes au démarrage du chantier", concède Jean du Rusquec, chargé de mission Myanmar (Birmanie), "strictement du travail forcé, vers décembre 1995, pour la construction de baraquements, du portage". "Nous avons indemnisé les villageois, 400 environ. Il a fallu se bagarrer".
Pour le reste, "l'armée n'a pas sécurisé la zone", affirme-t-il, "il n'y a eu aucun déplacement de village dans notre secteur qui soit lié à la
construction du gazoduc, même si la politique de déplacement des villages est assez systématique près des frontières en Birmanie". A
Thechaung, les villageois évoquent l'époque, "jusqu'en 1994", où la Tatmadaw, l'armée redoutée, réquisitionnait de force les habitants, par groupes de 15 et rotations d'une semaine, pour le chemin de fer. "Si quelqu'un nous protège, on apprécie ce protecteur", déclare le propriétaire d'une maison de thé interrogé sur la présence de Total et qui paraît s'exprimer librement. D'autres villageois énumèrent les bénéfices apportés par le gazoduc à la petite collectivité de 23 villages et 43.000 personnes -dont des Môns et des Karens-- du "corridor" par les programmes de développement durable: adduction d'eau, scolarisation de tous les enfants, dispensaires, fermes pilote, micro-crédits et même camions de pompiers. Avec seulement 800.000 dollars par an, la démarche socio-économique du consortium -- où Total détient 31%, Unocal 28%, le Thaïlandais PTTEP 25,5% et la compagnie étatique birmane MOGE 15%-- a atteint sans doute son but: "faciliter sa relation avec les populations locales". Total se défend d'avoir mis en place ces programmes pour tenter de racheter des fautes passées : ils ont démarré en même temps que le chantier.


La junte birmane travaille à sa "feuille de route"

Source: AFP, 2 décembre 2003  

En dépit de l'apparente impasse politique en Birmanie, illustrée par la nouvelle détention de l'opposante Aung San Suu Kyi, la junte au pouvoir semble travailler à sa "feuille de route" en vue d'une amorce de démocratisation avant 2006, estiment des experts à Rangoun.

Ces efforts ne déboucheront certes pas sur un état démocratique, avertissent les mêmes experts, mais au moins pourraient-ils dessiner une transition qui verrait l'armée au pouvoir depuis plus de 40 ans en Birmanie enfin consentir à un dosage de pluralisme.

Le général Khin Nyunt, numéro trois du régime, avait, dès sa nomination surprise au poste de Premier ministre fin août, rendu publique une feuille de route en sept points aboutissant à des élections.

Cette initiative avait été saluée par quelques capitales asiatiques soucieuses d'encourager Rangoun, mais rejetée en Occident comme étant un catalogue de voeux pieux ne comportant ni échéancier ni mention de Mme Suu Kyi, leader incontesté de l'opposition.

De plus, la feuille de route avait été présentée dans un contexte de brutale dégradation d'une situation déjà mauvaise, avec l'arrestation du prix Nobel de la paix et de l'état-major de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) après des heurts meurtriers.

Mais six mois après les "événements" du 30 mai, des experts estiment que Khin Nyunt est bien celui qui est chargé de faire évoluer la Birmanie --même si cela doit être au pas de l'escargot-- sous la discrète pression de ses voisins asiatiques.

"Je suis convaincu que ce gouvernement prend (la feuille de route) très au sérieux et que Khin Nyunt a réellement l'intention de mener à bien le processus de la convention nationale et des élections", déclare un chercheur spécialiste du régime birman.

"Le gouvernement pourrait organiser la convention nationale tôt l'an prochain", ajoute-t-il, "et Khin Nyunt viser une constitution, et même des élections, avant 2006".

L'Association des Nations d'Asie du Sud-Est a demandé à la Birmanie, l'un de ses dix membres, de montrer un visage plus présentable lorsqu'elle accèdera à la présidence tournante de l'ASEAN. Le secrétaire-général de l'ONU, Kofi Annan, a lui aussi fait de cette échéance une date butoir pour des réformes démocratiques en Birmanie.

"Bien sûr cela ne veut pas dire nécessairement une démocratie au sens occidental, (les militaires) eux-mêmes parlent d'une 'démocratie disciplinée'", relève le chercheur.

Un autre expert estime aussi que la "date butoir (de l'ASEAN) va forcer Rangoun à bouger".

Première étape de cette feuille de route, la convention nationale, instance chargée de rédiger une constitution, a apparemment déjà donné lieu à des travaux préparatoires.

Une première convention nationale, convoquée en 1993, avait été suspendue en 1996: la LND, qui l'estimait non représentative, avait claqué la porte.

La question de la future représentation de l'opposition et des incontournables minorités ethniques au sein de cette instance est donc cruciale. On ignore si la junte offrira à l'opposition des conditions de participation acceptables.

A ce jour, elle a simplement fait savoir que pour y être intégrée, la LND devrait ... en faire la demande.

Mais "visiblement la junte travaille déjà à rassembler le plus possible de partis et de minorités ethniques pour pouvoir présenter quelque chose qui ait l'air de se tenir", estime un diplomate.

Assignée à résidence, Mme Suu Kyi n'en discute pas moins avec les généraux par l'intermédiaire d'un officier de liaison qu'elle voit aussi souvent qu'elle le souhaite, et notamment de la participation de la LND à cette convention, estiment des diplomates.

Le vice-ministre des Affaires étrangères Khin Maung Win a expliqué que "le gouvernement avait des contacts réguliers" et "positifs" avec elle.

"Certains des généraux voudraient laisser Suu Kyi de côté mais d'autres ont compris qu'elle doit faire partie du processus" de démocratisation, estime le chercheur.


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