Edito
La nouvelle du moment, celle qui court sur toutes les lèvres du microcosme
"birman", c'est un rapport de BK Conseil, autrement dit de Bernard Kouchner,
qui a pour principale vocation de "blanchir" Total en Birmanie (d'après
Libération, ce rapport lui a été payé 25 000 euro).
Ce rapport, d'une bien piètre qualité (le seul nombre de fautes de typographie
et d'orthographe suffit à voir avec quel soin il a été rédigé), donnera
évidemment lieu à une réaction approfondie de notre association, dans un
futur proche. D'ici là, nous vous donnerons dans les numéros 47, 48 et 49
de Net Hebdo un certain nombre d'éléments de réflexion autour de la présence
de Total en Birmanie.
Pour commencer, une interview de Htoo Chit, porte parole des plaignants
contre Total, que nos lecteurs connaissent bien: nous vous avons déjà parlé
de lui dans les numéros 32 et 33 de Net Hebdo.
Il est important de noter que cette agitation autour de Total intervient
au moment où s'ouvre aux Etats-Unis le procès contre Unocal. Vous trouverez
tous les détails sur
http://www.earthrights.org/
Par ailleurs, une réunion intergouvernementale se tiendra à Bangkok la
semaine prochaine pour discuter de l'avenir politique de la Birmanie. De
cela aussi, nous vous reparlerons bientôt.
Mael Raynaud
Interview de Htoo Chit
Source: Rouge, 9 octobre 2003
Après avoir participé aux manifestations d’août 1988 en faveur de la démocratie
en Birmanie, Htoo Chit, 39 ans, a d’abord rejoint un mouvement d’opposition
armé, avant de militer pour la défense des droits de l’Homme et d’enquêter
sur les conséquences de l’arrivée de Total dans son pays. En 1996, Htoo
Chit a présidé le comité de coordination des organisations birmanes pour
la solidarité et l'entraide de la région du Sud-Est. Cette organisation
apporte un soutien direct à tous les réfugiés sur la frontière birmano-thaïlandaise,
ainsi qu'à l'intérieur de la Birmanie auprès des personnes déplacées. Clandestin
pendant quinze ans, il a demandé à la France le statut de réfugié politique
l’année dernière. Aujourd’hui, il est porte-parole des plaignants contre
Total dans le dossier du travail forcé utilisé dans le chantier du gazoduc
de Yadana, construit par le groupe pétrolier dans le Sud de la Birmanie.
Travail forcé
Quelle est la raison de ta présence en France?
Htoo Chit – En août 2002, une plainte pour "séquestration" a été déposée
par deux de mes compatriotes1 au tribunal de Nanterre contre la compagnie
pétrolière Total. La raison de cette plainte est que Total a bénéficié de
la pratique du travail forcé de paysans rafflés par l’armée birmane dans
la zone du chantier du gazoduc de Yadana, construit par le pétrolier dans
le Sud de la Birmanie. La compagnie a notamment profité du travail forcé
pour les travaux d'aménagement préliminaires à la pose du gazoduc, par exemple
lors de la construction des casernes pour les 10000 soldats chargés d’assurer
la sécurité du chantier et d'un hélipad [plates-formes d’hélicoptères].
Pour la sécurisation de la zone, les populations se trouvant sur le tracé
du pipeline ont été déplacées de force par l’armée. [Sur la frontière entre
la Birmanie et la Thaïlande, l’armée de Bangkok fait la chasse aux clandestins
birmans, des paysans qui ont fui l’enrôlement forcé sur le chantier du gazoduc
construit par TotalFinaElf. Le périmètre du gazoduc construit par TotalFinaElf
est une "zone noire" – autrement dit de tir à vue. Dans ce "corridor de sécurité"
créé par l’armée de la junte birmane, ont été déployés près de 10000 hommes
– cent fois plus qu’avant l’arrivée de Total –, qui veillent au grain, avec
les méthodes d’une armée d’occupation, NDLR.] Si je suis en France, c'est
parce que j'ai été convoqué par le juge qui enquête. Mais au-delà de la
justice française qui doit passer, je voudrais que l'opinion publique française
écoute mon témoignage sur les violations des droits de l'Homme en Birmanie,
et plus particulièrement celles dont Total est responsable.
Quels sont tes objectifs?
Htoo Chit – D'abord, je souhaite que le gouvernement français mette la
pression sur le PDG de Total, Thierry Desmarest, en lui demandant de se
retirer de Birmanie. Ensuite, j'aimerais que les actionnaires de Total agissent
pour que Total sorte du piège birman. On peut toujours rêver... Ce qu'il
faut savoir, c'est que l'implantation de Total est le plus gros investissement
réalisé en Birmanie, le groupe pétrolier a donc une responsabilité particulière
dans le soutien au pouvoir militaire.
À propos de la situation en Birmanie, que souhaites-tu?
Htoo Chit – Mes compatriotes vivent dans des conditions dramatiques: ils
n'ont pas le droit de se réunir, pas le droit de s'exprimer, pas le droit
de faire librement des affaires... Comment imaginer des syndicalistes en
Birmanie lorsque le travail forcé y est organisé de manière systématique?
Que penser de la situation faite à notre leader, Aung San Suu Kyi – membre
de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) et prix Nobel de la paix réduite
au silence – pour la troisième fois en quinze ans assignée à résidence? La
logique du Conseil d'État pour la paix et le développement (SPDC), nom de
la junte militaire, est de se maintenir au pouvoir aussi longtemps qu'il
pourra y rester. Il y a plus de 1300 prisonniers politiques: des leaders
étudiants, des syndicalistes, des journalistes, des universitaires, des représentants
des minorités ethniques et ceux des autres partis en faveur de la démocratie,
y compris des membres élus au Parlement lors des élections de 1990.
J'aimerais que les Français soutiennent avec force notre lutte (avec tous
les moyens qu'ils jugeront nécessaires). Au-delà, je souhaite que les Nations
unies et le Conseil de sécurité prennent d'urgence des mesures contre la
clique de militaires accrochée au pouvoir. Je ne souhaite pas un dénouement
à l'afghane ou l'irakienne, je ne souhaite pas d'intervention militaire...
mais il est possible de s'interposer afin d’imposer un calendrier qui fixerait
un processus de transition démocratique et garantirait des élections libres.
Quel type de soutien as-tu trouvé en France?
Htoo Chit – Au cours des derniers mois, j'ai été invité à plusieurs endroits
pour témoigner de la situation dans mon pays, et particulièrement sur Total.
Le plus grand meeting s'est tenu sur le Larzac: quelle riche expérience!
J'y ai rencontré beaucoup de gens qui m'ont énormément sollicité. J'y ai
aussi beaucoup appris sur d'autres sujets. J'en garde un souvenir impérissable.
Voyez-vous, me retrouver avec José Bové et d'autres sur une estrade devant
près de 3000 personnes attentives et concernées, cela fait chaud au coeur.
Dans un futur proche, j'espère participer au Forum social européen.
Dans l'immédiat, j'apprécie le travail et l'aide que m'apporte Info Birmanie2.
L’association vient d’accueillir une délégation de représentants des parlementaires
élus lors des élections de 1990 en Birmanie qui n’ont jamais siégé. L’un
d’entre eux, membre de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), avait
participé à la convention nationale pour la rédaction d’une nouvelle Constitution
mise en place par la junte militaire entre 1993 et 1995, avant de claquer
la porte en 1994. Cette délégation arrive au moment où, en réponse aux pressions
internationales, le trio au pouvoir (Than Shwe, Maung Aye, Khin Nyunt) veut
resservir le plat de la convention nationale pour une nouvelle Constitution.
Ils viennent d’annoncer une road map [sorte de "feuille de route"] en sept
points, dont le premier évoquerait une nouvelle Constitution. Le tout sans
définir ni calendrier, ni lieu précis, ni partenaires… Aucun doute possible,
il n'y a aucun signe positif du côté des militaires.
Propos recueillis par Farid Ghèhiouèche,
président d’Info Birmanie
1. témoins dans la procédure ouverte contre la compagnie française TotalFinaElf
en août dernier par deux avocats parisiens, Bernard Dartevelle et William
Bourdon). Le premier, victime d’un recrutement forcé, a été en outre témoin
d’un viol imputé à un employé de Total. Le second en saurait long sur les
relations nouées entre l’armée et le pétrolier lors de la construction du
gazoduc dans le Sud birman.
Kouchner fait écran Total
sur le travail forcé en Birmanie
Source: Libération, 10 décembre 2003
Par Philippe GRANGEREAU
Auteur d'un rapport payé par Total, l'ancien ministre blanchit le géant
pétrolier.
Kouchner fait écran Total sur le travail forcé en Birmanie
"Ce programme socio-économique est la meilleure publicité pour Total.
Une sorte de bureau en ville, un show-room..." Bernard Kouchner
Total, qui depuis août 2002, fait l'objet en France d'une plainte pour
travail forcé en Birmanie, a appelé Bernard Kouchner, l'ex-ministre de la
Santé du gouvernement socialiste et "French Doctor" fondateur de MSF, à
la rescousse. En mars, le géant pétrolier a commandé un rapport à sa société,
BK Conseil . "...Médecin humanitaire spécialiste des problèmes de santé
publique et des situations d'urgence", écrit Total sur son site internet
(
http://birmanie.total.com/
) où figure en bonne place ce rapport de 19 pages, "homme politique engagé
connaissant personnellement Mme Aung San Suu Kyi (l'opposante birmane, prix
Nobel de la paix en résidence surveillée, ndlr) , Bernard Kouchner avait
toute l'expérience requise pour être un observateur critique et impartial
de l'action de Total en Birmanie".
Bernard Kouchner s'est donc rendu sur place pendant quelques jours, afin
de voir le site du gazoduc construit par Total et achevé en 1998. Il a visité
sept "villages modèles" du projet Yadana installés par le pétrolier dans
cette zone dotée d'hôpitaux et d'orphelinats. Il n'en dit que du bien. "Ce
programme socio-économique, note-t-il, est la meilleure publicité pour Total.
Une sorte de bureau en ville, un show-room..."
Sur l'essentiel, c'est-à-dire le travail forcé des populations locales
dont Total est accusé d'avoir profité vers 1995, Kouchner reprend l'argumentaire
bien rodé du pétrolier : "Le chantier a employé 2 500 personnes (...) .
Toutes bénéficièrent d'un contrat écrit, de salaires réguliers, d'une protection
sociale et de normes reconnues." Des travaux forcés ? Il ne s'agissait que
d'une confusion avec le chantier voisin d'une voie ferrée où "il est probable
que des travaux forcés aient malmené les populations". "N'oublions pas,
ajoute Kouchner pour ponctuer son paragraphe , que pour détestable qu'il
soit, le recours au travail forcé est une coutume ancienne, qui fut même
légalisée par les Anglais en 1907." "Plus tard, au début du chantier, concède
l'ancien ministre en se contredisant quelque peu , des villageois avaient
été raflés par l'armée pour défricher la forêt et se livrer à d'autres besognes
aux services des militaires (...). Ayant été prévenue de cette violation
des droits de l'homme, la compagnie Total exigea que ces exactions cessent.
Elle s'en ouvrit à Rangoon, aux dirigeants qui promirent d'intervenir et
le firent. Deux décrets abolissant le travail forcé furent publiés en mai
1999 et octobre 2000." L'auteur du rapport explique donc que Total, contrairement
à ce que certains esprits "mal informés" ont pu supputer, a en réalité lutté
contre le travail forcé. "Il oublie de dire, commente Farid Ghehioueche du
collectif Info Birmanie, que ces décrets n'ont jamais été appliqués." "En
fait, ajoute le militant, Total a su que du travail forcé avait lieu sur
son chantier, et lorsque l'entreprise s'est aperçu du danger que cela comportait
en terme d'image, elle a changé de politique."
Nombreux sont les témoignages accréditant le recours au travail forcé au
profit de Total. Il y a le rapport confidentiel "L'action de Total en Birmanie",
commandité par Total en juin 1996, dont Libération s'est procuré une copie.
L'ancien responsable des questions de sécurité du pipe-line relate que "les
unités affectées à la protection du projet Yadana ont déjà utilisé les services
des local helpers (recrues locales) réquisitionnés pour le chemin de fer,
pour certaines tâches à leur profit direct ou pour du défrichage au profit
de Total, alors que la société ne cesse de leur expliquer qu'elle dispose
de ses propres moyens pour effectuer des travaux".
La compagnie française a opéré un certain nombre de glissements sémantiques.
En novembre 2002, le PDG Thierry Desmarest, affirmait que Total n'avait
"jamais recouru, directement ou indirectement, au travail forcé". Mais en
novembre 2003, Jean du Rusquec, chargé de mission de Total en Birmanie,
déclarait à l'AFP : "Il y a eu des problèmes au démarrage du chantier. Strictement
du travail forcé, vers décembre 1995, pour la construction de baraquements
et pour du portage (...). Nous avons indemnisé les villageois, 400 environ.
Il a fallu se bagarrer." Malgré ce demi-aveu, la ligne de défense de Total
demeure la même, précise l'avocat des plaignants birmans, William Bourdon,
à savoir qu'"il n'y a jamais eu de travail forcé sur le chantier".
Total, s'il n'a pas profité sciemment de ce travail forcé, pouvait-il penser
qu'il échapperait à ces pratiques ? Une étude confidentielle, commandée
dès 1992 par Unocal, le partenaire américain de Total, à Control Risks Information
Services, dont Libération s'est procuré une copie, avertissait le pétrolier
: "Dans toute la Birmanie, le gouvernement utilise habituellement des travailleurs
forcés pour construire les routes (...). Dans de telles circonstances Unocal
et ses partenaires n'auront qu'une marge de manoeuvre très réduite."
Dans son rapport, payé selon lui 25 000 euros par Total, Kouchner se prononce
pour l'engagement constructif avec la dictature : "Fallait-il répondre aux
appels d'offre et installer ce gazoduc en Birmanie ? Je le crois." Et de
conclure : "L'époque n'est plus à l'embargo et au boycott." Position en totale
contradiction avec ses convictions d'antan. Dans la préface de Dossier noir
Birmanie (Ed. Dagorno, 1994), où il qualifiait la junte de "narcodictature",
il reprenait à son compte l'idée selon laquelle "il faut imposer à la junte
birmane des sanctions économiques" . Ajoutant que de telles sanctions "heurtent
bien souvent l'intérêt des Etats, dont la France qui, comme beaucoup d'autres,
commerce avec les généraux via ses industries pétrolières". Pour justifier
son revirement, Kouchner explique qu'à l'époque : "Je n'avais pas fait d'enquête.
Mais un certain nombre de prix Nobel, dont mon ami Elie Wiesel, prétendaient
l'avoir menée pour moi."
Les explications de l'ex-ministre
"Total m'a demandé un rapport sur la situation sanitaire et la façon dont
ils géraient la situation dans la zone du gazoduc. J'ai reçu 25 000 euros
pour deux mois de travail... Comment croyez-vous que je gagne ma vie moi
? (...) Les Birmans que j'ai vus sont absolument heureux de la présence de
Total, trop à mon avis par rapport au reste de la population. Personne ne
connaît les "victimes de Total", à ma connaissance (...). Je ne crois pas
qu'il ait été besoin pour les gens de Total, qui sont couverts d'or et qui
gagnent bien leur vie, de recourir à des travailleurs forcés."
Le gazoduc de Yadana,
cicatrice dans la région sauvage du Tenasserim
Par Pascale TROUILLAUD
Source: AFP, 27 novembre 2003
"Total nous a protégés du travail forcé imposé par l'armée", des habitants
du village de Thechaung, dans le sud de la Birmanie, réunis dans une maison
de thé, n'hésitent pas une seule seconde et disent tous la même chose. La
question est au coeur de l"'affaire" Total en Birmanie. Le groupe pétrolier
français est sous le coup d'une information judiciaire en France à la suite
d'une plainte déposée par des Birmans affirmant avoir été forcés de travailler
sur le chantier du gazoduc de Yadana au milieu des années 90. Le procès
de
l'Américain Unocal, partenaire de Total lui aussi accusé de graves violations
des droits de l'Homme, s'ouvre dans quelques semaines aux
Etats-Unis. Yadana, avec un milliard de dollars, est le premier investissement
étranger en Birmanie, où sévit l'un des régimes militaires
les plus durs au monde. Le gazoduc qui achemine le gaz extrait offshore
est enterré sur un parcours ouest-est accidenté et, vu d'hélicoptère, n'a
laissé qu'un étroit serpentin de 63 km de long où la végétation est très clairsemée,
entre la côte birmane du golfe de
Martaban et la frontière de son seul client, la Thaïlande. Un serpentin
en forme de cicatrice sur la région sauvage du Tenasserim qui n'est
pas prêt de se refermer vraiment avec les procédures en cours. Un investissement
aux "retombées judiciaires et médiatiques" jamais vues
pour Total. D'un côté, le groupe nie farouchement les allégations, et s'estime
victime de "confusions" avec d'autres projets voisins --tel
le chemin de fer Ye-Tavoy qui coupe le "corridor" du gazoduc-- ou de "campagnes
d'organisations militantes". De l'autre, ses accusateurs, dont certains s'appuient
sur des témoignages de réfugiés birmans en Thaïlande, évoquent des "déplacements
forcés de populations", "la militarisation de la zone", du travail forcé,
des tortures et des viols par l'armée birmane chargée de garantir la sécurité
du chantier. Il sera difficile de faire la lumière sur des faits anciens,
dans un pays probablement hors d'accès aux juges et dans le cadre de procédures
menaçant de durer des années. C'est la parole de Total contre celle de ses
accusateurs. L'opérateur de Yadana a recommencé à amener des petits groupes
de journalistes sur place, pour "mieux communiquer". "Il y a eu des problèmes
au démarrage du chantier", concède Jean du Rusquec, chargé de mission Myanmar
(Birmanie), "strictement du travail forcé, vers décembre 1995, pour la construction
de baraquements, du portage". "Nous avons indemnisé les villageois, 400 environ.
Il a fallu se bagarrer".
Pour le reste, "l'armée n'a pas sécurisé la zone", affirme-t-il, "il n'y
a eu aucun déplacement de village dans notre secteur qui soit lié à la
construction du gazoduc, même si la politique de déplacement des villages
est assez systématique près des frontières en Birmanie". A
Thechaung, les villageois évoquent l'époque, "jusqu'en 1994", où la Tatmadaw,
l'armée redoutée, réquisitionnait de force les habitants, par groupes de 15
et rotations d'une semaine, pour le chemin de fer. "Si quelqu'un nous protège,
on apprécie ce protecteur", déclare le propriétaire d'une maison de thé interrogé
sur la présence de Total et qui paraît s'exprimer librement. D'autres villageois
énumèrent les bénéfices apportés par le gazoduc à la petite collectivité
de 23 villages et 43.000 personnes -dont des Môns et des Karens-- du "corridor"
par les programmes de développement durable: adduction d'eau, scolarisation
de tous les enfants, dispensaires, fermes pilote, micro-crédits et même camions
de pompiers. Avec seulement 800.000 dollars par an, la démarche socio-économique
du consortium -- où Total détient 31%, Unocal 28%, le Thaïlandais PTTEP 25,5%
et la compagnie étatique birmane MOGE 15%-- a atteint sans doute son but:
"faciliter sa relation avec les populations locales". Total se défend d'avoir
mis en place ces programmes pour tenter de racheter des fautes passées :
ils ont démarré en même temps que le chantier.
La junte birmane travaille à sa "feuille de route"
Source: AFP, 2 décembre 2003
En dépit de l'apparente impasse politique en Birmanie, illustrée par la
nouvelle détention de l'opposante Aung San Suu Kyi, la junte au pouvoir semble
travailler à sa "feuille de route" en vue d'une amorce de démocratisation
avant 2006, estiment des experts à Rangoun.
Ces efforts ne déboucheront certes pas sur un état démocratique, avertissent
les mêmes experts, mais au moins pourraient-ils dessiner une transition
qui verrait l'armée au pouvoir depuis plus de 40 ans en Birmanie enfin consentir
à un dosage de pluralisme.
Le général Khin Nyunt, numéro trois du régime, avait, dès sa nomination
surprise au poste de Premier ministre fin août, rendu publique une feuille
de route en sept points aboutissant à des élections.
Cette initiative avait été saluée par quelques capitales asiatiques soucieuses
d'encourager Rangoun, mais rejetée en Occident comme étant un catalogue
de voeux pieux ne comportant ni échéancier ni mention de Mme Suu Kyi, leader
incontesté de l'opposition.
De plus, la feuille de route avait été présentée dans un contexte de brutale
dégradation d'une situation déjà mauvaise, avec l'arrestation du prix Nobel
de la paix et de l'état-major de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie
(LND) après des heurts meurtriers.
Mais six mois après les "événements" du 30 mai, des experts estiment que
Khin Nyunt est bien celui qui est chargé de faire évoluer la Birmanie --même
si cela doit être au pas de l'escargot-- sous la discrète pression de ses
voisins asiatiques.
"Je suis convaincu que ce gouvernement prend (la feuille de route) très
au sérieux et que Khin Nyunt a réellement l'intention de mener à bien le processus
de la convention nationale et des élections", déclare un chercheur spécialiste
du régime birman.
"Le gouvernement pourrait organiser la convention nationale tôt l'an prochain",
ajoute-t-il, "et Khin Nyunt viser une constitution, et même des élections,
avant 2006".
L'Association des Nations d'Asie du Sud-Est a demandé à la Birmanie, l'un
de ses dix membres, de montrer un visage plus présentable lorsqu'elle accèdera
à la présidence tournante de l'ASEAN. Le secrétaire-général de l'ONU, Kofi
Annan, a lui aussi fait de cette échéance une date butoir pour des réformes
démocratiques en Birmanie.
"Bien sûr cela ne veut pas dire nécessairement une démocratie au sens occidental,
(les militaires) eux-mêmes parlent d'une 'démocratie disciplinée'", relève
le chercheur.
Un autre expert estime aussi que la "date butoir (de l'ASEAN) va forcer
Rangoun à bouger".
Première étape de cette feuille de route, la convention nationale, instance
chargée de rédiger une constitution, a apparemment déjà donné lieu à des
travaux préparatoires.
Une première convention nationale, convoquée en 1993, avait été suspendue
en 1996: la LND, qui l'estimait non représentative, avait claqué la porte.
La question de la future représentation de l'opposition et des incontournables
minorités ethniques au sein de cette instance est donc cruciale. On ignore
si la junte offrira à l'opposition des conditions de participation acceptables.
A ce jour, elle a simplement fait savoir que pour y être intégrée, la LND
devrait ... en faire la demande.
Mais "visiblement la junte travaille déjà à rassembler le plus possible
de partis et de minorités ethniques pour pouvoir présenter quelque chose qui
ait l'air de se tenir", estime un diplomate.
Assignée à résidence, Mme Suu Kyi n'en discute pas moins avec les généraux
par l'intermédiaire d'un officier de liaison qu'elle voit aussi souvent
qu'elle le souhaite, et notamment de la participation de la LND à cette
convention, estiment des diplomates.
Le vice-ministre des Affaires étrangères Khin Maung Win a expliqué que
"le gouvernement avait des contacts réguliers" et "positifs" avec elle.
"Certains des généraux voudraient laisser Suu Kyi de côté mais d'autres
ont compris qu'elle doit faire partie du processus" de démocratisation, estime
le chercheur.