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Quels leviers de RSE
: la justice ?
Etude de cas : Total et Unocal en Birmanie – (2ème partie)
19 novembre 2003
Marion Cohen
Au début des années 90, dans un contexte de multiplications des condamnations
et des sanctions internationales à l’encontre du régime militaire birman,
deux compagnies pétrolières l’américaine Unocal et la française Total décident
de réaliser le plus gros investissement qu’aie connu le pays. Elles s’associent
dans une joint venture aux sociétés nationales de la Birmanie, la MOGE (Myanmar
oil and gas enterprise) et de la Thaïlande, la PTT-EP (Petroleum authority
of Thaïland exploration and production public Co. ltd), afin d’exploiter le
gisement gazier de la région de Yadana. Cet investissement a donné lieu à
de nombreuses campagnes d’opposition car il apporterait un soutien politique
et financier au régime. De plus, les compagnies sont accusées d’être complices
des violations des Droits de l’Homme perpétrées par l’armée birmane lors de
la construction du gazoduc reliant le gisement de Yadana à la Thaïlande (acheteur
du gaz). Ces accusations ont donné lieu depuis 1996 à plusieurs actions en
justice : Unocal fait aujourd’hui face à quatre procédures (deux au niveau
fédéral et deux au niveau de l’Etat de Californie) ; après avoir échappé
à deux mises en cause, l’une aux Etats-Unis, l’autre en Belgique, Total est
appelé devant la justice française.
Première étape : la Cour Fédérale du District Central de Californie accorde
à Unocal un ‘jugement express’ - summary judgement (1).
Après 7 ans de procédure, Unocal qui doit aujourd'hui faire face à quatre
procès n’a toujours pas été mené devant un jury. Cependant, il semblerait
que cette éventualité soit désormais à considérer.
Tout commence à l’automne 1996,quand deux procès sont intentés auprès de
la Cour Fédérale du District Central de Californie.
En septembre, le premier (‘Ncgub v. Unocal’) est intenté par quatre villageois
de la région du gazoduc, le NCGUB (National Coalition Government of the Union
of Burma), la FTUB (Federal Trade Unions of Burma) représentés notamment par
l’ILRF (International Labor Rights and Education Fund) et le Center for Human
Rights and Constitutional Law contre Unocal et le projet Yadana. L’un des
4 plaignants affirme avoir été forcé par l’armée birmane à travailler le
long de la ligne du gazoduc sans compensation et sous menace de mort. Les
trois autres soutiennent avoir été dépossédés de leurs biens situés le long
de la route du gazoduc. La FTUB et le NCGUB allèguent des mêmes préjudices
subis par les membres et les citoyens qu’ils représentent respectivement.
En octobre, 11 autres habitants de la région du Tenasserim représentés par
le Center for Constitutional Rights, EarthRights International, et Hadsell
& Stormer intentent un second procès (‘Doe and al v. Unocal and al’) contre
Unocal, Total, la MOGE, le gouvernement birman, John Imle, Président d’Unocal
et Roger C. Beach, DG d’Unocal. Ils allèguent que le comportement des défendeurs
en relation avec le projet leur a causé les torts suivants : décès de membres
de leur famille, assauts, viols, tortures, perte de leurs maisons et de leurs
propriétés. Ils cherchent à représenter l’ensemble des habitants de la région
du Tennasserim ayant souffert ou étant amenés à souffrir des mêmes préjudices.
Dans les deux cas, la responsabilité est surtout fondée sur la violation
de l’Alien Tort Claims Act (ATCA), loi fédérale de 1798 qui dispose que “Les
cours fédérales ont la compétence pour juger toute action intentée au civil
par un étranger pour un tort subi en violation de la loi des nations ou d’un
traité signé par les Etats-Unis. "(2) Cette loi, tombée dans l’oubli depuis
près de deux cents ans, est réapparue à la fin des années 70 (3) quand les
victimes d’abus commis par des gouvernements ou des militaires étrangers l’utilisèrent
avec succès contre leurs bourreaux vivants ou de passage sur le territoire
américain.
En mars 1997, dans l’affaire ‘Doe and al v. Unocal and al’ le juge Richard
Paez rejette et accède en partie à la motion d’Unocal demandant un non lieu.
Il accorde l’immunité souveraine à l’armée birmane et à la MOGE. Il ajoute,
ensuite, que l’ATCA lui confère la compétence pour entendre l’affaire et que
les plaignants ont apporté suffisamment d’éléments pour que le procès survive
à la demande de non lieu. Par la suite, la cour accorde un non lieu à Total
(1998) pour absence de compétence sur cette compagnie étrangère et rejette
en 1999 l’allégation des plaignants selon laquelle ils représenteraient l’ensemble
des victimes de la région de Tenasserim.
En novembre 1997, dans l’affaire ‘NCGUB v. Unocal’ la cour détermine que
le NCGUB et la FTUB n’ont pas l’autorité suffisante pour intenter une action
par contre il autorise les 4 plaignants à poursuivre en réaffirmant la compétence
conférée par l’ATCA. (4)
Ces deux décisions sont très importantes car c’est la première fois qu’une
cour fédérale américaine statue qu’en vertu des lois nationales et internationales,
une compagnie américaine peut être jugée responsable d’abus commis par ses
partenaires dans d’autres pays. Jusqu’à ce moment l’ATCA n’avait été utilisé
que contre des individus responsables de violations des droits de l’homme.
D’autres procès ont été depuis intenté contre des multinationales (5) pour
leur collaboration avec des régimes violents.
Après avoir accepté de donner suite aux deux procès le juge autorise la
communication des pièces du dossier : en 2 ans, Unocal produit près de 70
000 pages de documents et 58 dépositions de plaignants, de défendeurs et
de témoins tiers appelés à témoigner lors du procès ont lieu.
En août 2000, le juge Ronald Lew, qui a remplacé le juge Paez après sa nomination
en mars à la Cour d’Appel du 9ème Circuit, accorde le ‘jugement express’ aux
défendeurs : Unocal n’ira pas devant un jury.
Cette décision s’appuie sur plusieurs définitions d’ordre juridique qu’il
n’est pas inutile de préciser. Alors que les lois internationales ne s’appliquent
traditionnellement qu’aux Etats, les cours ont permis que des plaintes fondées
sur les lois internationales soient émises contre des acteurs privés sous
la juridiction conférée par l’ATCA. Elles ont, cependant, posé comme condition
l’établissement par le plaignant de ‘l’action d’Etat’ (‘state action’) : le
plaignant doit prouver qu’il existe un lien étroit entre le comportement de
l’acteur privé et celle de l’Etat. Cette exigence a souvent fait barrage à
l’ATCA. De plus, lors de procès précédents, il a été jugé que ‘l’action d’Etat’
n’était pas requise pour certaines violations extrêmes des Droits de l’Homme
: génocide, crimes de guerre et esclavage.
Le juge Lew accorde le ‘jugement express’ à Unocal pour les plaintes nécessitant
‘l’action d’Etat’ (torture, viol, meurtre) car les plaignants n’ont pu prouver
que les défendeurs avaient ‘participé ou influencé’ les militaires, ni qu’ils
avaient ‘contrôlé’ ou ‘conspiré’ avec l’armée. Le juge Lew accepte, par contre,
l’argument des plaignants selon lequel le travail forcé représente la forme
moderne de l’esclavage : il n’est donc pas nécessaire d’établir la preuve
de ‘l’action d’Etat’ mais de prouver que les défendeurs ont participé ou coopéré
à la violation. Sur ce point le juge a statué qu’ " aucun fait ne suggère
qu’Unocal ait eu l’intention d’employer le travail forcé. En fait, les membres
de la joint venture ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le gouvernement
birman utilisait le travail forcé en relation avec le projet. En conséquence,
les militaires essayèrent de cacher leur utilisation du travail forcé. Les
preuves suggèrent qu’Unocal savait que le travail forcé était utilisé et
que les membres de la Joint Venture bénéficiaient de cette pratique. Cependant,
comme cette démonstration est insuffisante pour établir la responsabilité
en se fondant sur les lois internationales, les accusations des plaignants
relatives au travail forcé ne peuvent aboutir " (6)
Après cet échec, les plaignants mènent une double contre-offensive : la
première pour faire appel du jugement au niveau fédéral et la seconde pour
intenter un nouveau procès mais cette fois auprès de la Cour de l’Etat de
Californie.
Le 18 septembre 2002, la Cour d’Appel pour le 9ème Circuit réforme le jugement
de la cour fédérale.
Cette décision est particulièrement importante en matière de jurisprudence
relative à l’ATCA car elle fait état de deux décisions novatrices.
La question centrale repose sur la définition juridique de la ‘responsabilité
pour avoir aidé et assisté’ (‘aidor and abettor liability’) sous la juridiction
conférée par l’ATCA. La Cour a tout d’abord étendu le sous-ensemble des cas
ne requérant pas ‘l’action d’Etat’ : ‘même les crimes comme le viol, la torture
ou les exécutions sommaires qui, par eux même, exigent l’action d’Etat pour
qu’il y ait responsabilité sous l’ATCA, n’exigent pas l’action d’Etat quand
ils sont commis en plus d’autres crimes comme l’esclavage, le génocide ou
les crimes de guerre. " La cour ayant repris la définition du travail forcé
donnée par le juge Lew, les autres accusations portées contre Unocal peuvent
être entendues sans que ‘l’action d’Etat’ soit requise.
La Cour d’Appel a, ensuite, récusé la décision de la Cour de District selon
laquelle les plaignants devaient prouver " la participation active " d’Unocal
à l’utilisation du travail forcé par l’armée birmane afin d’établir la responsabilité
de la société. Elle s’est fondée sur les décisions du tribunal pénal international
pour le Rwanda (TPIR) et du tribunal pénal international pour la Yougoslavie
(TPIY) pour identifier la nature de l’acte (actus reus) et l’état mental (mens
rea) requis pour prouver la ‘responsabilité pour aide et assistance’ sous
l’ATCA. Selon la cour, les tribunaux internationaux ont soutenu que " l’actus
reus ‘d’aide et assistance’ selon la loi pénale internationale requiert une
assistance pratique, un encouragement ou une assistance morale ayant des
effets substantiels sur la perpétration du crime ". Dans le cas cette ‘assistance
pratique’ prend la forme de " l’engagement de l’armée birmane pour la sécurité
et la construction d’infrastructures le long du gazoduc en échange d’argent
et de nourriture " et de " l’utilisation de photos, de vues d’ensembles et
de cartes lors de réunions journalières afin de montrer à l’armée birmane
où assurer la sécurité et construire les infrastructures ". Quant au ‘mens
rea’ le TPIY a statué qu’était requis " la connaissance réelle ou constructive
du fait que les actions (du complice) assisteraient l’auteur dans la commission
des crimes ". En se fondant sur ces définitions la Cour a statué que l’assistance
d’Unocal à l’armée birmane " a eu un ‘effet substantiel’ sur la perpétration
du travail forcé qui le plus probablement ne se serait pas passé de la même
façon si personne n’avait employé l’armée birmane pour la sécurité et sans
personne pour leur montrer où le faire " De même, pour le mens rea la cour
a jugé que suffisamment d’éléments permettaient de décider lors d’un jugement
si Unocal savait ou aurait dû savoir que ces actions " assisterait l’auteur
dans la commission des crimes ".
La Cour a ensuite conclu qu’au vu des éléments apportés par les plaignants
un jury pourrait reconnaître Unocal responsable d’avoir aidé et assisté l’armée
birmane selon les standards développés ci-dessus. (7)
Suite à une requête d’Unocal, la Cour d’Appel a décidé en février 2003,
de réentendre l’appel. L’affaire a été entendue le 17 juin dernier devant
les 11 juges (au lieu de trois dans l’appel précédent) et la décision est
encore à venir.
Un procès qui soulève beaucoup d’opposition.
Cette évolution de l’interprétation de l’ATCA n’est pas sans susciter de
nombreuses oppositions.
En provenance des milieux économiques tout d’abord. Le 29 avril 2003, divers
représentants des intérêts économiques américains (la National Foreign Trade
Council, USA*Engage, la National Association of Manufacturers, le U.S. Council
for International Business, la Chamber of Commerce of the United States, et
l’Organization for International Investment) ont déposé un amici curiae auprès
de la Cour d’Appel du 9ème Circuit lui demandant de reconsidérer son interprétation
de l’ATCA et de confirmer la décision de la Cour de District dans les deux
procès intentés contre Unocal.
Ces organisations se disent " gravement préoccupées par le nombre croissant
de procès intentés en vertu de l’ATCA. Comme dans ce cas (Unocal), des multinationales
se trouvent entraînées dans des litiges intentés par des plaignants non américains
qui allèguent de préjudices commis en dehors du territoire des Etats-Unis,
non par les compagnies, mais par des entités souveraines ou quasi souveraines
sur lesquelles les sociétés n’ont aucun contrôle. Cette prolifération de plaintes
est le résultat d’une interprétation erronée de l’ATCA. L’ATCA ne fournit
pas de base légale pour de tels procès. Il définit simplement une juridiction
pour les cours fédérales mais ne crée pas de fondement à une action en justice
(‘cause of action’). En ignorant cette distinction critique, les cours sont
entrain d’élaborer une jurisprudence de plus en plus sophistiquée de l’ATCA
à partir d’une fondation légale inexistante " (8). A cette position légale
s’ajoute un certain nombre d’arguments relevant des intérêts économiques des
Etats-Unis.
Ces inquiétudes d’ordre économique sont relayées par une étude réalisée
par l’Institute for International Economics. Selon Awakening Monster: The
Alien Tort Statute of 1789, jusqu’en 2003 des plaignants utilisant l’ATCA
ont poursuivi en justice plus de 50 multinationales implantées dans les pays
en développement et ont demandé plus de 200 milliards de $ de dommages et
intérêts. Même si les multinationales parviennent généralement à obtenir
un non lieu avant de passer devant un jury, le nombre croissant des procès
ne laisse pas de les inquiéter et pourrait avoir des conséquences sur leurs
choix d’investissement. L’étude prévoit sous forme de scénario catastrophe
la perturbation de 300 000 emplois aux Etats-Unis et 2 millions dans le monde
entier, la perte de plus de 300 milliards de USD en terme de commerce et
d’investissement si le Congrès ne formule pas une nouvelle législation afin
de clarifier les limites et l’envergure de l’ATCA.
Enfin, l’ATCA est attaqué par le gouvernement américain lui-même. Appelé
à intervenir dans l’affaire Unocal, le département d’Etat, qui avait déjà
demandé pendant l’été 2002 de renvoyer une affaire du même type intentée contre
le géant ExxonMobil, avait préparé une lettre affirmant qu’il ne voyait pas
d’objection à l’action en cours. Mais, le Département de justice a pris les
devants en déposant le 8 mai dernier un ‘amicus curiae’ (ami de la cour) n’en
tenant pas compte. Ce document ne se limite pas à défendre Unocal, il invite
la cour à réinterpréter l’ATCA de façon à ce que les plaignants ne puissent
plus poursuivre aux USA les responsables d’abus commis ailleurs.
L’ATCA " a été réquisitionné et transformé en fondement d’action en justice
permettant à des étrangers d’intenter des procès sur les droits de l’homme
devant les cours américaines, même lorsque ces conflits ne concernent que
des étrangers et quand les préjudices allégués se sont déroulés dans un autre
pays, souvent sans lien avec les Etats-Unis. "
Pour justifier la ré interprétation de l’ATCA le département de la Justice
se fonde sur deux types d’arguments. Les arguments d’ordre politique, tout
d’abord, sont présentés dans l’introduction. Le rôle donné à l’ATCA par les
cours américaines " n’a non seulement pas de fondement historique, mais encore,
et c’est plus important, soulève un potentiel significatif d’interférence
avec les importants intérêts de politique extérieure des Etats-Unis et est
contraire à notre cadre constitutionnel et à nos principes démocratiques "
(9) Ainsi, des procès de ce type ont déjà été intentés contre des étrangers
ayant aidé les Etats-Unis à arrêter des criminels à l’extérieur. " L’approche
de l’ATCA développé par cette cour a des conséquences sérieuses pour notre
guerre en cours contre le terrorisme " De telles accusations ont d’ailleurs
déjà été portées contre les Etats-Unis eux-même en relation avec ces efforts
pour combattre le terrorisme.(10)
Le département de justice a surtout utilisé des arguments légaux pour contrer
l’interprétation actuelle de l’ATCA. Selon ces arguments, l’ATCA ne fournirait
pas de fondement à une action en justice permettant à la cour de faire appliquer
le droit international issu de documents tels que des traités non ratifiés,
sans force exécutive et des résolutions non liantes. De plus, aucun fondement
d’action en justice ne saurait être impliqué par l’ATCA pour des comportements
se déroulant sur le territoire d’autres nations. Il s’agit bien là d’une ré
interprétation fondamentale de l’ATCA.
Il n’est pas sûr, cependant, que les cours américaines en tiennent compte.
En effet, le 3 juin dernier les 11 juges de la Cour d’Appel du 9ème Circuit
ont ignoré l’administration Bush en jugeant à 6 contre 5 qu’un docteur dont
des agents américains avaient ordonné le kidnapping et la conduite aux Etat-Unis
pour être jugé pour meurtre pouvait poursuivre les Etats-Unis en se fondant
sur l’ATCA.
Deux nouveaux procès en cours devant la cour Supérieure de l’Etat de Californie.
Fin 2000, les plaignants ont intenté deux procès devant la cour Supérieure
de l’Etat de Californie contre Unocal, Jonh Imle et Roger Beach pour avoir
subi de sérieuses violations des Droits de l’Homme en violation des lois de
l’Etat de Californie.
Le 7 juin 2002, le juge Victoria Chaney s’est prononcée en faveur de la
multinationale sur plusieurs points. Comme les plaignants n’ont pu prouver
qu’Unocal " avait l’intention de faciliter le comportement de l’armée birmane
et a assisté ou encouragé de façon substantielle la commission des faits
" la Cour a jugé que l’entreprise n’était pas directement responsable des
torts subis par les plaignants. La cour a également accordé le jugement express
à Unocal pour les cinq accusations portant sur sa responsabilité pour négligence
car les plaignants n’ont pu prouver que la société avait un devoir vis-à-vis
d’eux, condition nécessaire à la reconnaissance de l’accusation de négligence.
La Cour a, enfin, accordé le jugement express à Imle et Beach car " les
dirigeants d’entreprise ne peuvent être tenu responsable des torts imputés
à une entreprise sur leur seule position de dirigeant " Les plaignants n’ont
en effet pu prouver que les deux dirigeants avaient spécifiquement participé,
autorisé ou dirigé les faits reprochés ou qu’ayant connaissance des actes
commis, il avaient fait preuve de négligence en ne prenant pas de mesures
pour éviter ces dommages.
La Cour a, par contre, accordé aux plaignants de poursuivre leur accusation
de mauvaises pratiques des affaires en violation du ‘California Business &
Professions Code §§ 17200 et seq’ Il est, en effet, possible de porter ce
genre d’accusation sur des pratiques effectuées hors de Californie à partir
du moment où une partie des conduites erronées se sont produites sur le territoire
de l’Etat. Enfin, l’accusation d’enrichissement injuste n’ayant pas été l’objet
de demande de ‘jugement express’ reste valide. (11)
Trois jours plus tard, la cour a rendu une autre décision refusant d’accorder
à Unocal le ‘jugement express’ pour les accusations relevant de la théorie
de " vicarious liability " (responsabilité par association) développée par
les plaignants. Cette théorie repose sur le fait qu’en tant que principal
les membres de la joint venture seraient responsables pour les actes commis
par leur agent, l’armée birmane. La cour a en effet statué que les éléments
matériels présentés par les plaignants permettraient à un jury de conclure
que les militaires étaient contractuellement responsables de la sécurité ou
qu’ils étaient des agents ou des fournisseurs de service indépendants engagés
par les membres de la joint venture. Unocal pourrait donc être jugé ‘responsable
par association’ pour les abus commis par les militaires.
Enfin, en août dernier, le juge a refusé d’accéder à la demande d’Unocal
de traiter l’affaire selon la loi birmane ou la loi des Bermudes ( car deux
filiales situées aux Bermudes appartenaient au consortium qui a planifié et
construit le gazoduc).
Le procès doit être entendu en décembre prochain.
Total face à la justice française.
Pour Total, tout ne fait que commencer. Après avoir été mis hors de cause
dans le cadre du procès Unocal grâce à l'intervention active de l'Etat français
se fondant sur une question d'extraterritorialité et les intérêts de la France,
le groupe français et son PDG Thierry Desmarest ont dû faire face à la justice
belge. Le 25 avril une plainte pour crime contre l'humanité pour le soutien
qu'ils auraient apporté à la dictature birmane, a été déposée par quatre plaignants
birmans. Elle se base sur la loi belge dite de "compétence universelle", qui
permet d'engager des poursuites pour des crimes de guerre, de génocide ou
des crimes contre l'humanité commis hors du territoire belge. Cependant les
débats ouverts à propos de la loi de ‘compétence universelle’ ont entraîné
la suspension de toutes les procédures. Et depuis son abolition le 5 août
2003 Total ne court plus de risques chez notre voisin.
Le 9 octobre 2002, une information judiciaire avec constitution de partie
civile a été déposée au parquet de Nanterre à la suite d’une plainte déposée
en août par William Bourdon représentant deux Birmans qui affirment avoir
été contraints de travailler sur le chantier du gazoduc Yadana contre Le PDG
de Total Thierry Desmarest et Hervé Madéo, directeur de Total Birmanie de
1992 à 1999.
William Bourdon, avocat et ancien secrétaire général de la FIDH (Fédération
internationale des droits de l'Homme), a créé en mars 2002 l’association Sherpa
rassemblant des juristes européens afin de mobiliser des savoir-faire pour
lancer des procédures à l'encontre de multinationales ne respectant pas les
conventions internationales comme celles de l'OIT (Organisation Internationale
du Travail) dans leurs filiales à l'étranger. Il s’agit de faire condamner
les entreprises qui profitent des législations laxistes en termes sociaux
et environnementaux dans les pays en voie de développement.
Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur du 29 août 2002 il a expliqué
les modalités des faits reprochés. " Il est reproché par les plaignants aux
dirigeants de TotalfinElf et de sa filiale d'avoir recruté et payé des bataillons
de l'armée birmane, d'avoir favorisé une situation de travail forcé sur le
chantier du gazoduc, en parfaite connaissance de cause, et d'avoir continué
à le faire malgré les dénonciations répétées de l'existence du travail forcé
en Birmanie par des organismes comme l'Organisation internationale du Travail.
Il existe en France un texte, publié en 1944, qui assimile le travail obligatoire
imposé par les Allemands aux Français au crime de séquestration. Le travail
forcé ne correspondant à aucune infraction du droit français, nous avons retenu
le crime de séquestration, qui implique d'avoir participé activement au fait
que des gens soient déplacés de force, puis privés d'aller et venir. "
La qualification des faits choisie par le tribunal de Nanterre n'est toutefois
pas exactement celle souhaitée par les plaignants et les associations. Selon
Le Monde du 19 octobre 2002, le parquet a en effet estimé que le chef relève
du simple délit et non du crime. Cette nuance pourrait se révéler de taille
puisqu'en matière de délit le délai de prescription est de trois ans et que
la construction du gazoduc remonte à 1995. L'affaire pourrait donc être classée
pour prescription des faits poursuivis.
De plus, un autre problème de taille fait obstacle au bon déroulement de
l’instruction :
Ainsi, W. Bourdon explique dans un entretien accordé au Nouvel Observateur
du 16 janvier 2003 que " quelques semaines seulement après notre récent déplacement
à la frontière birmane, où nous avons rencontré certains de nos clients ainsi
que des témoins, plusieurs de ces personnes, dont deux des plaignants, ont
été arrêtées en Thaïlande au prétexte de leur situation administrative irrégulière.
Nous subissons donc, de fait, une sorte d’entrave à l’action judiciaire que
nous menons au nom de ces victimes, étant précisé qu’elles ne peuvent bénéficier
du statut de réfugiés politiques puisque la Thaïlande n’est pas signataire
de la Convention de Genève. S’il n’est pas possible de sauvegarder la liberté
de nos clients et des témoins, l’action judiciaire risque de s’éteindre. La
solution à cette difficulté n’est évidemment pas exclusivement judiciaire…
"
Début octobre 2002, Henri Madéo a été entendu par un juge d'instruction
de Nanterre, en banlieue parisienne, en tant que témoin assisté pendant environ
deux heures. Le statut de témoin assisté est un statut hybride entre le témoin
simple, contre lequel il n'existe a priori pas d'indice, et le mis en examen
(inculpé), contre lequel il existe "des indices graves ou concordants". L'un
des avocats de M. Madéo, Me Jean Veil, a affirmé à l'AFP que tout ce que reprochent
à son client "des plaignants anonymes est infondé".
Ainsi, les procès qui se déroulent actuellement en France et aux Etats-Unis
représentent peut-être l’une des voies pouvant mener à une plus grande responsabilisation
des multinationales lorsqu’elles investissent dans des pays à risque. Une
question se pose cependant : qu’on juge favorablement ou non ces procédures
visant à faire appliquer le droit international par des juges nationaux, la
mise en place d’une structure internationale ne serait-elle pas plus appropriée
?
Cette étude de cas se poursuivra dans les prochains numéros de sri-in-progress,
notamment à travers :
* La prise en compte du point de vue d’investisseurs responsables
* La prise en compte du point de vue de Total (interview).
Notes :
1. Le summary judgement’ : Afin d’obtenir un ‘summary judgement’, c'est-à-dire
la conclusion de l’affaire avant son passage devant un jury, le défendeur
doit montrer qu’un ou plusieurs éléments des accusations proférées contre
lui ne peuvent être appuyées par des faits matériels ou doit présenter une
défense absolue contre ces accusations. Il revient alors au plaignant de prouver
le contraire. Si le juge estime qu’il y a assez d’éléments matériels permettant
à un jury de se prononcer sur la responsabilité du défendeur au regard des
accusations proférées contre lui il autorise les plaignants à poursuivre.
Dans le cas contraire le ‘jugement express’ est accordé au défendeur.
2. “The district courts shall have original jurisdiction of any civil action
by an alien for a tort only, committed in violation of the law of nations
or a treaty of the United States.” USA code, titre 28 part IV, chapitre 85,
section 1350.
3. Filartiga v. Pena-Irala : en 1980, les plaignants intentent un procès
contre un officier paraguayen pour avoir torturé et assassiné un de leur parent
au Paraguay. Cette affaire constitue le premier procès transnational sur
les Droits de l’Homme a avoir été porté avec succès devant les cours américaines
en se fondant sur les lois internationales. C’est aussi le précédent sur
lequel se fondent les autres affaires utilisant l’ATCA.
4. A partir de ce moment les deux procès (‘Doe and Al v. Unocal and al’
et ‘Roe and al v. Unocal and al’) sont coordonnés, partageant les mêmes motions
et les mêmes jugements.
5. Parmi lesquelles Royal Dutch Petroleum, Chevron, ExxonMobil, Gap, Coca-Cola...
6. Doe v Unocal (CD Cal. 2000) 110 F. Supp.2d 1294, 1310
7. 2002 U.S. App. LEXIS 19263,
8. Amici Curiae déposé auprès de la Cour d’Appel du 9ème Circuit par différents
représentants des intérêts économiques américains le 29 avril 2003
9. Amicus Curiae soumis par le Département de Justice à la Cour d’Appel
du 9ème Circuit le 8 mai 2003.
10. Al Odah v. United States, 321 F.3d 1134, 1144-1145 (D.C. Cir. 2003)
Procès intenté par des parents des prisonniers de la base navale de Guantanamo.
11. Décision de la Cour de justice de l’Etat de Californie du 7 juin 2002
12. Une requête amicus curiae a été soumise au nom de la République française
à la cour fédérale de Los Angeles en 1997, la priant de rejeter la plainte
contre Total
En savoir plus:
* Les documents relatifs au procès Unocal :
http://www.earthrights.org/unocal/index.shtml
* L’ATCA :
http://www.earthrights.org/litigation/index.shtml
http://www.globalpolicy.org/intljustice/atca/atcaindx.htm
* Télécharger l’Amicus Curiae déposé auprès de la Cour d’Appel du 9ème
Circuit par différents représentants des intérêts économiques américains le
29 avril 2003
http://nftc.org/default/usa%20engage/4-29-03%20Brief.pdf
* Télécharger l’Amicus Curiae soumis par le Département de Justice à
la Cour d’Appel du 9ème Circuit le 8 mai 2003
http://www.earthrights.org/atca/dojbrief.pdf#xml=http://earthrights.org.master.com/texis/master/search/mysite.txt?q=amicus+curiae&order=r&id=18305a6a18200e5d&cmd=xml
· Awakening Monster: The Alien Tort Statute of 1789
http://www.iie.com/publications/chapters_preview/367/iie3667.pdf
* La position d’Unocal face aux procès :
http://www.unocal.com/myanmar/suit.htm
* Le nouveau site ouvert par Total à propos de la Birmanie :
http://birmanie.total.com/
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