Birmanie>Net Hebdo n° 51 - 26 janvier 2004
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie


Sommaire

  • L'exploitation du tek en Birmanie: un conflit d'interets


L’EXPLOITATION DU TEK EN BIRMANIE: UN CONFLIT D’INTERÊTS
UN RAPPORT DE GLOBAL WITNESS
traduit et adapté par Fanny Guiller pour Info Birmanie

Le texte qui suit est l'adaptation en français d'un rapport de l'ONG anglaise Global Witness daté d'octobre 2003. Ce rapport a été traduit et adapté à la demande de Global Witness, dans le but de toucher un public francophone. Le rapport original est consultable sur le site
http://www.globalwitness.org
sous le titre: "A Conflict Of Interest: The uncertain future of Burma's forests".


Introduction 


     Le contrôle des ressources naturelles en Birmanie est la clé du pouvoir. Le rapport de Global Witness examine dans quelle mesure la junte militaire a instrumentalisé l’exploitation du tek afin de se maintenir au pouvoir et de perpétuer son combat contre les opposants au régime. La signature d’accords de cessez-le-feu avec des groupes d’insurgés en échange de quelques concessions, les arrangements commerciaux conclus avec la Chine et la Thaïlande, sont autant de moyens pour la junte de s’octroyer un soutient politique et financier. Sans ce soutient, elle n’aurait pu faire perdurer la guerre civile et l’oppression des populations, qui sont les raisons évidentes de son existence, face aux diverses pressions de la communauté internationale.
   En effet les réserves mondiales de tek se situent dans le sud est asiatique : Birmanie, Thaïlande, Laos, Indonésie et le sud de l’Inde. Néanmoins, 60% de ces réserves sont en Birmanie qui est le plus grand exportateur, produisant 75% du tek sur le marché international. L’essentiel des forêts de tek est situé en État Kachin (zone frontalière avec la Chine), en État Karen (zone frontalière avec la Thaïlande), et dans la division de Pegu, non loin de Rangoun.
   Le tek est très recherché pour ses qualités esthétiques, sa solidité et la facilité avec laquelle il peut être travaillé ; à cet égard il est l’une des espèces de bois les plus chères. De toute évidence, c’est précisément la qualité du tek birman ainsi que le monopole d’approvisionnement dont bénéficie la junte qui a permis à cette industrie d’être particulièrement résistante aux boycotts et interdictions ; par ailleurs, les compagnies importatrices de tek sont souvent restées silencieuses quant au pays d’origine de leurs marchandises.
   Historiquement, l’exploitation du tek a joué un rôle de catalyseur dans les conflits qui ont déchiré le pays. Tout d’abord, la volonté de contrôler les ressources naturelles birmanes, et en particulier les riches forêts de tek, fut un facteur décisif dans l’annexion du pays à l’empire britannique entre 1824 et1885 ; le tek apparaissait alors comme une ressource cruciale, permettant de maintenir la flotte navale et le réseau de chemin de fer à travers l’empire. Les Britanniques ont alors mis en place un double système d’administration : la Birmanie gouvernementale, au centre, qui devint, dans les années 1920 le plus grand exportateur mondial de riz, doté d’une économie très forte ; et les zones frontalières, en périphérie, majoritairement peuplées de minorités ethniques, et exploitées pour leurs ressources naturelles en échange de peu d’investissements. Dès lors, les divergences entre les différentes ethnies ont été amplifiées dans le but de diviser le pays pour mieux le contrôler, semant ainsi le ressentiment des minorités ethniques, duquel émergera le conflit dès l’indépendance en 1948.
   En 1962, le coup d’état du général Ne Win, instaurant la dictature militaire, place le pays sous la direction du Burma Socialist Programme Party (BSPP). Ce dernier est convaincu que les problèmes birmans sont uniquement imputables aux étrangers et que le pays peut se redresser seul grâce à ses riches ressources naturelles ; il entraîne alors le pays dans une longue période d’isolation et nationalise les secteurs clés de l’économie. Pendant vingt ans, le Communist Party of Burma (CPB) soutenu par la Chine depuis 1968, suivi par le National Democratic Front (NDF) dans les années 1980, ont combattu pour la création d’une Union Fédérale de Birmanie, s’appuyant sur le marché noir et l’exploitation des ressources.
   En 1989, suite à l’effondrement du CPB, le SLORC (State Law and Order Restoration Council) a négocié des accords de cessez le feu avec plusieurs groupes d’insurgés permettant ainsi à l’armée de se déployer plus facilement et accentuant la pression sur les autres groupes non-signataires. Ces accords ont octroyé, aux groupes  qui les ont signés, des concessions d’exploitation en échange d’une certaine coopération avec la junte ; de ces accords résultèrent de nombreuses tensions entre les groupes d’insurgés, détournant leur attention de leurs ambitions politiques premières.
   C’est à cet égard que le tek birman est qualifié, par les observateurs internationaux, de ressource de conflit ; c’est-à-dire, une ressource naturelle dont le commerce nourrit de violents conflits armés et menace la stabilité nationale ou régionale. En effet, depuis près de deux siècles, l’exploitation des ressources naturelles birmanes fait office de cause et de moyen d’oppression des populations (minoritaires ou non), qui, loin de bénéficier des profits engrangés, sont victimes du travail forcé et des conséquences environnementales de cette industrie sauvage, afin de prodiguer à la junte les moyens logistiques pour continuer à les oppresser.
   Par ailleurs, en dehors de toute considération politique, les différents acteurs du conflit, en opérant une exploitation non régulée des forêts de tek, détruisent de manière irréversible un écosystème incomparable et minimisent les chances pour la Birmanie de parvenir, après d’éventuels accords de paix, à un développement durable et donc bénéfique pour les populations.
   Toutefois, il est fondamental de comprendre que sans la collaboration commerciale (licite ou non) et militaire de la Chine et de la Thaïlande, qui ont elle-même interdit ou régulé l’exploitation de leurs réserves nationales, cette exploitation serait beaucoup moins fructueuse pour le régime.




I. L’organisation de l’exploitation

A. L’administration des forêts birmanes

   Le concept d’un système de gestion des forêts birmanes fut introduit par l’administration britannique en 1856 dans la région du Pegu Yomas : à l’époque, le Brandis Selection System, renommé successivement le Burma Selection System (BBS) puis le Myanmar Selection System(MMS). Le BBS fut créé pour maintenir la garantie d’un bois de bonne qualité et améliorer la régénération naturelle des arbres de grande valeur. Les forêts furent alors divisées en unités de gestion, elles-mêmes divisées en concessions.
Le ministère des forêts (MoF) est responsable en premier lieu de la gestion et de la politique des forêts en Birmanie et fait autorité sur la conservation et l’exploitation de ces forêts ; les fonctions ministérielles sont généralement remplies par des militaires en retraite. Cinq départements sont contrôlés par le MoF : Forest Department, Myanmar Timber Entreprise (MTE), Dry Zone Greening Department (DZGD), Planning and Statistics Department, et l’Institute of Forestry.
Le DZGD s’occupe de la reforestation des forêts dégradées et de la restauration de l’environnement dans la zone sèche du centre de la Birmanie.
Le Planning and Statistics Department (département des projets et statistiques) doit coordonner les tâches du DZGD et du Département des Forêts.
L’institut des Forêts, quant à lui, est responsable de l’éducation et de la formation.

1. Le département des Forêts :

   Il est responsable de la protection et de la conservation de la vie sauvage et de la gestion raisonnable des ressources forestières dans tout le pays. Il est également responsable, conjointement avec le Département des projets et des statistiques, de l’organisation et la gestion des forêts ; cela inclus le calcul de l’AAC (Annual allowable Cuts : la quantité de coupe autorisée par année) ainsi que la sélection des arbres devant être coupés en priorité. Par ailleurs, ce département gère la réhabilitation des forêts, met en place des plantations destinées à la production et veille au respect des zones protégées.
Les agents des forêts sont responsables de l’exécution des lois sur les forêts, et de la régulation incluant la supervision des récoltes de bois, la protection des forêts de l’usurpation et du braconnage et la vérification de la légalité de la marchandise aux passages des frontières.
Le département, est supposé étudier les forêts et recueillir des données sur tous les arbres d’un certain diamètre, et maintenir la santé des forêts, par exemple, en coupant les arbres qui empêchent le développement d’espèces plus recherchées. Les agents doivent estimer le type, la densité et la qualité des forêts, incluant la vie sauvage et la biodiversité, et envoyer leur rapport au Conservateur.
En général, les équipes du Département des Forêts sont techniquement compétentes et travaillent très dur, bien qu’elles soient très peu payées.

2. Myanmar Timber Entreprise :

   Théoriquement, le MTE détient le monopole sur la récolte, le traitement et le commerce du tek ; sa tâche est de couper les arbres sélectionnés par le Département des Forêts. Néanmoins, le MTE délègue une partie de son travail à des compagnies d’exploitation privées ; ces contrats très lucratifs sont le plus souvent conclu avec des compagnies ayant des liens étroits avec la junte comme les " national entrepreneurs " qui lui apportent un soutient économique non négligeable.

3. AAC: Annual Allowable Cuts:

   La bonne gestion des forêts par le BBS est garantie par la mise en place de l’AAC, qui n’est autre qu’un quota autorisant l’exploitation annuelle d’une quantité de bois précisément définie. Ces quotas sont censés permettre une exploitation raisonnable, soucieuse de l’environnement. Les quantités fixées sont basées sur les inventaires réalisés par le Département des Forêts mais toujours supérieures au nombre d’arbres sélectionnés pour la coupe, car elles prennent en compte les pertes dues à l’extraction qui sont de l’ordre de 25 à 30%. Ces quotas, restés longtemps inchangés ont été révisés en 1996 puis en 2001.

B. L’économie du tek

1. La situation économique birmane

Pour la junte au pouvoir, la fonction première d’une économie compétitive est de renforcer sa puissance militaire et sa légitimité politique, et non pas d’améliorer le bien être de la population. Si la Birmanie fut un temps le plus grand exportateur mondial d’huile et de riz, son économie s’est considérablement affaiblie ces dernières années. Elle est désormais caractérisée par un déficit budgétaire constant de 5 à 6%, un taux d’inflation avoisinant les 28%, et un cours monétaire surévalué ; la dette totale du pays s’élève aujourd’hui à 5,9 milliards $. Si l’économie birmane ne s’est pas encore effondrée, cela tient uniquement au fait que la population vit de la terre à travers une économie parallèle principalement illégale, comme celle de la production de drogue.
La Birmanie détient le plus faible taux d’industrialisation de tout le sud-est asiatique (moins de 10% du PIB) . L’économie birmane est donc une économie agraire : deux tiers de la population vit de l’agriculture (incluant l’exploitation forestière et la pêche) qui représente 60% du PIB.
L’exploitation forestière est une des principales sources de revenu légales pour le SPDC (State Peace and Development Council) et représente, pour l’année 2001, 11% des revenus issus de l’exportation (42% en 1989-1990).


2. Le troc

Faute de crédits suffisants, les importations d’armes et autres biens manufacturés sont souvent réalisées grâce au troc ; par exemple, en 2000, une délégation s’est rendu à Moscou pour discuter l’acquisition d’un réacteur nucléaire qui pourrait être troquée contre du tek, du riz ou de l’huile. Par ailleurs, le troc a également rendu possible l’acquisition récente par la junte de 10 Mig-29 provenant de Russie, ainsi que la conclusion d’un accord avec l’Irak pour du pétrole (2002).

3. L’exportation illégale

Le Myanmar Central Statistic Organisation (MCSO) enregistre la plupart des données relatives à l’économie forestière officielle ; les échanges officieux ne sont évidemment pas pris en compte dans les statistiques. Pour ce faire une idée de l’importance des exportations officieuses, il faut se référer aux données d’importation des pays concernés. Par exemple, pour l’année 1999-2000, les données du MCSO révèlent une exportation de bois de 806,000m2 alors que les données d’importation établies par les pays limitrophes avoisinent 1,720,000m2, soit presque le double. La différence, qui représente la quantité d’exportation illégale, est plus importante que l’exportation légale, et peut être estimé à 200 millions $.
Il est donc évident qu’une part substantielle des échanges n’est pas enregistrée par les autorités birmanes. De plus, une proportion importante de ces échanges n’est pas non plus enregistrée par les pays importateurs comme la Chine. Par ailleurs, quelques compagnies sont conscientes de la mauvaise publicité que leur apporterait un lien officiel avec la Birmanie et modifient, sur le papier, le pays d’origine du bois qu’elles importent.
Selon Global Witness, la moitié du bois qui quitte le pays par bateau est illégale, malgré les contrôles effectués par les douanes et le département des forêts ; le bois coupé illégalement et accompagné d’un permis d’exporter est plus cher, mais moitié moins que celui exporté par le MTE. La plupart des compagnies opèrent à la fois de manière légale et illégale.
Des mesures énergiques ont été initiées par le SPDC en mai 2000 afin de contrôler tous les containers destinés à l’exportation ; cet ordre aurait été donné par le général Khin Nyunt comme une illustration de sa puissance à l’intention du monde asiatique : plusieurs containers furent saisis temporairement, puis exportés librement suite au paiement de quelque pot-de vin.

En plus des exportations non enregistrées, de grandes quantités de bois circulent sur le marché noir national au vu et au su de tous. Le commerce interne illégal représente au moins la moitié du commerce légal.

Malgré l’existence d’un système d’administration des forêts presque omniprésent, il est difficile d’estimer précisément les revenus dégagés par le SPDC grâce à l’exploitation du tek. Si ce dernier se targue de lutter contre le trafic illégal, la réalité est qu’il en retire un profit non négligeable à travers les taxes imposées aux postes frontaliers et la collaboration officieuse avec les compagnies exploitant dans l’illégalité.

II. Le contrôle de l’exploitation du tek : vecteur du conflit

A. Le contrôle effectif au niveau national : moyen de pression de la junte sur les groupes d’insurgés

1. La réalité du contrôle du SPDC

a. L’application de la loi par le SPDC

L’exploitation réelle dans les zones contrôlées par le SPDC diffère substantiellement de l’exploitation raisonnable dont il fait état ; il faut comprendre que l’exploitation légale peut être destructrice, alors que l’exploitation illégale pratiquée par les populations locales peut être raisonnable et respectueuse de l’écosystème. La peine encourue pour exploitation illégale de tek est de sept ans d’emprisonnement en plus d’une amende de 80$ : actuellement, trois villageois purgent une peine de cinq ans pour avoir coupé du bois pour construire leur maison. Au même moment, de grandes compagnies se rendent coupables du même crime à l’échelle industrielle en accord avec la junte, à qui elles reversent une partie de leurs bénéfices.
De plus, en État Kachin, ainsi que dans les divisions de Pegu et du Tenasserim les agents du Département des forêts, aidés par la police ou l’armée ont monté des barrières douanières, afin de collecter des taxes sur les convois de tek, même s’ils sont apparemment illégaux.

b. Le déclin du Burma Selection System

Les forêts birmanes ont été gérées au regard d’intérêts à court terme, reflétant les besoins politiques et économiques immédiats du régime et ignorant ainsi les données fournies par le BBS. Un facteur important de ce déclin est la faiblesse des moyens politiques et financiers accordés au Département des Forêts comparé à ceux accordés au MTE. En effet, le Département des forêts manque de fonds et de personnel et souffre d’un manque de connaissances scientifiques dû à des décennies d’isolation ; de plus, il est souvent victime de pressions du MTE et du régime en général qui souhaitent augmenter les exportations.
          Allowable annual cuts (AAC)
Jusqu’en 1996, les quotas annuels d’exploitation étaient restés inchangés depuis trente ans ; ils étaient fondés sur des études locales réalisées dans les années 1960, généralisées à l’ensemble du pays et sensées garantir une exploitation raisonnable. Toutefois, comme l’ensemble des réserves du pays n’était pas accessible à cause de la guerre civile, les quotas nationaux furent entièrement récoltés dans les seules forêts sous contrôle du SPDC, conduisant ainsi à une surexploitation locale.
Selon Global Witness, la surexploitation à été institutionnalisée par le MTE dans certaines régions ; un employé explique que l’exploitation effective dépasse les objectifs de 20%, sur ordre du MTE.
De plus, le code des récoltes qui fixe le diamètre minimum pour qu’un arbre puisse être coupé est souvent négligé.
En réalité, l’AAC n’est qu’un repère. Le SPDC fixe lui-même les quotas dans les districts d’exploitation en fonction des revenus qu’il compte retirer de l’exportation du tek.

c. L’exploitation contrôlée par le SPDC dans le centre de la Birmanie

L’industrie du tek est caractérisée par la corruption, le clientélisme, l’illégalité, et les pratiques destructrices à travers l’ensemble de la hiérarchie. Le SPDC mais aussi l’armée sont impliqués dans le trafique de tek, tandis que certains entrepreneurs nationaux, en bon terme avec le régime, s’enrichissent durablement. Les sommes payées aux sous-traitants sont trop faibles pour assumer leurs coûts de production et les contraignent au trafic illégal pour dégager le moindre bénéfice ; ils coupent donc plus de tek, gardent  la meilleure production pour leurs échanges et livrent le tek de basse qualité au MTE.
Quelques forêts bien gérées de la division de Pegu sont souvent citées en exemple par le SPDC. Toutefois, la surexploitation illégale est monnaie courante dans cette région qui s’est terriblement dégradé ces dernières années. Ces pratiques sont l’œuvre de villageois qui n’ont pas d’autres alternatives ou de groupes bien organisés qui travaillent avec l’armée. L’implication des militaires y est quasi systématique puisque ce sont leurs camions qui transportent la marchandise illégale issue de cette division, en échange d’une somme assez conséquente. D’autres agences d’État facilitent ce trafic, comme le Département des Forêts et la police qui prélèvent des taxes sur les convois. Par ailleurs, la Thone Pwint Saing Co. Ltd, une compagnie en bon terme avec le régime et le gouvernement chinois, peut fournir les papiers officiels nécessaires pour le trafic illégal d’autres compagnies.

d. L’exploitation et l’armée

Certaines forêts, auxquelles les villageois n’auraient jamais touché par respect pour les esprits, ont été dévastées afin d’y construire des camps militaires. En effet, tous les niveaux de l’armée sont impliqués dans l’exploitation forestière de manières différentes (transport pour le trafic illégal, taxation des convois ou opérations d’exploitation) ; cette implication peut être institutionnalisée ou motivée par des intérêts personnels. Tous les maillons de la chaîne doivent participer à cette entreprise afin de permettre à l’armée d’être auto suffisante.

2. Le contrôle des groupes ayant conclu un accord de cessez le feu

a. Les groupes de cessez le feu

Suite à l’effondrement du CPB et à des mutineries de troupes issues de minorités ethniques contre leurs chefs birmans, le général Khin Nyunt a initié une nouvelle politique de cessez le feu en 1989. D’après les accords, les groupes ethniques pouvaient conserver leur territoire et leurs armes mais aucune prérogatives politiques ne leur étaient concédées. Ces accords eurent un effet désastreux sur les autres groupes d’insurgés non-signataires qui furent les victimes d’une pression militaire accrue. Dans les années 1990, des alliances conclues au sein des groupes ethniques furent rompues afin que chaque branche du groupe initial puisse conclure ses propres accords.
La nature de ces groupes est très variée : ils ont des capacités et des motivations différentes et la manière dont ils défendent et représentent les minorités dont ils sont issus est très variable ; alors que certains ont établi des services sociaux dans leur zone, d’autre n’ont d’intérêts que dans le commerce et leur profits personnels.
D’autre part, la nature des accords est également variable : certains groupes, comme le KDA (Kachin Defence Army), sont devenus des milices reconnues par le gouvernement et agissent avec son accord, voire son soutient financier.
Ces accords sont considérés par les leaders du SPDC comme leur plus grand succès. Ils sont considérés par certains comme le premier pas vers la paix, et par d’autres comme un moyen par lequel le SPDC a monté les groupes les uns contre les autres. Néanmoins, ces accords n’ont pas mis fin aux exactions perpétrées contre les minorités qui sont toujours des pratiques répandues au sein de l’armée et même au sein des groupes eux-mêmes.

b. L’utilisation de ces accords par le SPDC

En général, les groupes ayant signé ces accords s’engagent à ne plus se procurer d’armes et à ne plus recruter de nouvelles troupes. D’autre part, le SPDC a encouragé les groupes à s’engager dans des activités commerciales et a tenté de promouvoir le développement ; une fois les groupes engagés dans ces diverses activités, ils disposent de moins de temps et de moyens pour mettre en œuvre leurs visées politiques et promouvoir les droits et l’autonomie des minorités.
       Cessez le feu et commerce
Les leaders des groupes ayant conclu des cessez le feu se sont vu octroyer toutes les prérogatives dans le domaine commercial, ainsi que des concessions d’exploitation forestière ou minière, tant qu’ils ne s’engagent pas dans une activité politique y compris le soutient à la NLD. Le SPDC a tenté de lier ces activités commerciales à l’économie nationale qu’il contrôle. Par ailleurs il utilise l’attribution de concessions comme récompense pour les groupes coopératifs ou la révocation des accords pour punir les récalcitrants. De cette manière, certains groupes sont devenus des éléments à part entière du régime.
Tous les groupes impliqués dans les cessez le feu s’engagent dans l’exploitation ; les cas de déforestation les plus sérieux sont constatés dans ces zones. Au-delà des problèmes environnementaux que cela suscite, la destruction des forêts prive les groupes non-signataires d’un refuge primordial. Bien qu’ils soient conscients des conséquences de cette exploitation, la plupart de ces groupes n’ont pas d’alternative et peu d’expérience dans les domaines de la gestion et de l’investissement. De plus, les nombreux check points et la quasi-absence d’infrastructures dans ces zones rendent toute activité commerciale très difficile.
       Cessez le feu et développement
Le SPDC a veillé à associer le développement aux accords de cessez le feu : la paix entraînera le développement pour les minorités, tandis que le développement assurera le maintient de la paix. Néanmoins, il faut déterminer la réelle portée des projets de développement ainsi que leurs véritables motivations.
Le SPDC, en accord avec les négociations des cessez le feu, a mis en place, en 1989, le " Border Area Development Program " (programme de développement dans les zones frontalières), qui insiste sur la construction des infrastructures de base. Cette action améliore considérablement l’image du gouvernement aux yeux de la communauté internationale et des minorités ethniques. De plus, beaucoup de groupes justifient leur existence de par leur association à ces projets de développement.
En réalité, 65% du budget de ce programme est allégué à la construction de routes ou de ponts alors qu’une très faible part est dévolue à la santé ou à l’éducation. La construction de ces infrastructures est évidemment destinée à faciliter le déploiement de l’armée ou le transport de ressources naturelles vers la capitale ou la Chine.
La question des minorités ethniques fut négligée par la communauté internationale qui a concentré son attention sur le développement politique dans la capitale.


B. Cas particuliers : le contrôle du trafic dans l'État Karen et dansl'État Kachin

1. L’État Karen

Selon le KESAN (Karen Environmental and Social Action Network) le régime militaire birman utilise l’exploitation forestière comme une tactique stratégique pour éliminer les Karens afin de bénéficier des mines d’or située sur leur territoire. De nombreuses zones de l’État Karen sont toujours assaillies par de violents conflits. Les principaux protagonistes sont : la DKBA (Democratic Karen Buddhist Army) allié au régime, et la KNU (Karen National Union).
L’exploitation forestière est constamment utilisée par le SPDC pour maintenir l’opposition entre ces deux groupes ; le SPDC promet à la DKBA des accords commerciaux avec la Thaïlande et le contrôle sur les Karens, si ce dernier l’assiste dans le processus d’élimination de la KNU ; dans le même temps, en 1996, le SPDC demandait à la KNU de tuer des soldats de la DKBA qui tentaient de récolter des taxes sans son accord.
L’exploitation dans l'État Karen est anarchique, il est très difficile de savoir de quelle manière elle est gérée par les uns et les autres ; néanmoins il est certain que les accords économiques ont pris le pas sur les alliances conclues sur les champs de bataille.

a. L’exploitation et la KNU

La KNU, formé en 1947, est le plus grand groupe d’insurgés birmans n’ayant pas conclu d’accord de cessez le feu. Son économie était fondée sur les échanges transfrontaliers avec la Thaïlande qui ont pu être utilisés par le SPDC à des fins stratégiques ; en effet, ces échanges ont contraint la KNU à des positions fixes faciles à attaquer alors que d’autres zones sont restées sans défense.
L’exploitation a pu présenter divers avantages pour le SPDC dans sa lutte contre la KNU : les routes de commerces ont facilité le déploiement de l’armée tandis que la déforestation a privé la KNU d’un refuge nécessaire.
En théorie, le pouvoir en matière de déforestation est partagé entre le SPDC et la KNU qui dispose de son propre Département des Forêts avec ses règles de régulation et de protection des forêts et de la vie sauvage, qui stipulent que personne n’est autorisé à conduire des opérations d’exploitation des forêts. Néanmoins, lorsque le SPDC donne son autorisation, les autorités de la KNU ont peu d’alternative, si ce n’est d’en tirer profit.
L’exploitation est administrée localement, et puisque la KNU n’est pas parvenu à faire appliquer son interdiction, elle s’est imposé sur le terrain de la gestion et de la taxation. La situation des villageois est très difficile car ils doivent payer de multiples taxes à tous les combattants et faire face au SPDC et à la DKBA qui les enrôlent pour le travail forcé. De plus, ils encourent de sérieux risques, car l’exploitation, dans cette zone hautement militarisée, peut aisément conduire à la violence et au meurtre.

b. U Teza et la Htoo Trading Company

La Htoo Company appartient à un riche businessman, U Teza qui entretient d’étroites relations avec le SPDC et le général Than Shwe en particulier ainsi qu’avec certains entrepreneurs nationaux ; U Teza est suspecté d’être un des fournisseurs d’armes et de munitions du régime. Sa compagnie dispose d’intérêts commerciaux dans la construction de routes, le tourisme et l’agriculture. Des routes sont construites à travers les champs des villageois, sans compensation, afin que les camions, de la même compagnie, puissent y transporter les convois de tek pour le MTE.
La Htoo Company a investit un important capital dans les opérations d’exploitation qui étaient de faible intensité avant son arrivée. Des routes furent construites et des équipements très modernes furent introduits dans la région, accélérant les récoltes de manière significative. En contre partie, des permissions d’exploitations lui furent concédées dans des zones contestées par la KNU ; pour éviter les affrontements, ses sous traitants y sont utilisés comme des négociateurs. Ces sous traitants exécutent la partie la plus difficile du travail mais sont peu rémunérés ; l’essentiel des bénéfices revient à la compagnie et au MTE.

c. L’exploitation et la DKBA

La DKBA (Democratic Karen Buddhist Army) est née en 1995, d’une scission avec la KNU ; pour beaucoup, la raison de cette division, qui n’est pas clairement établie, est à rechercher dans les divergences entre les dirigeants de la KNU, majoritairement chrétiens, et certaines de leurs troupes, principalement bouddhistes. Ce clivage, dirigé par un moine bouddhiste, U Thuzana, fut très certainement orchestré par le SLORC ; celui-ci promit à la DKBA la possibilité d’administrer librement les Karens et de mettre en place des échanges transfrontaliers avec la Thaïlande pour devenir auto suffisante. En échange, la DKBA s’engage à ramener les réfugiés Karens vivant dans des camps thaïlandais et à assister le SLORC dans ses offensives contre la KNU. Ainsi, la DKBA est vite devenue une sorte d’armée de proximité au service du SLORC qui pourvoyait à ses besoins ; toutefois, en 1996, quand le SLORC a arrêté de payer les salaires, la DKBA s’est engagée, de son propre chef, dans le commerce, licite et illicite. La majorité de ses revenus provient de l’exploitation forestière et de la contre bande de biens ; la DKBA a également mis en place des barrières de péage afin de taxer les villageois sur leur récolte. Les activités lucratives de la DKBA sont rarement dépourvues d’un partenariat avec des officiers du SPDC.
La plupart des leaders de la DKBA sont engagés dans l’exploitation forestière et en dégagent un important profit personnel ; la DKBA a hérité de nombreuses forêts et chantiers d’exploitation qui étaient contrôlées par la KNU avant les offensives des années 1990. De plus, la DKBA dégage un certain profit de l’exploitation illicite, en la pratiquant elle-même, en aidant les compagnies à construire des chantiers dans les zones non-sécurisées ou en transportant du bois coupé illicitement. Quand les agents du Département des Forêts ont visité les zones sous contrôle de la DKBA, ils lui ont demandé de fermer certains chantiers, eu égard au degré de dégradation des forêts ; la DKBA n’en fit rien, probablement soutenue par le SPDC.
Par ailleurs, de nombreux combattants de la DKBA travaillent pour des compagnies d’exploitation, et leur fournissent, en plus de la main d’œuvre, la sécurité contre les attaques ou les taxations de la KNU. Bien que l’essentiel de son activité soit localisé près de la frontière, la DKBA agit également à l’intérieur des terres, en accord avec de grandes compagnies comme la Htoo Company.

2. L’État Kachin

Il y a trois groupes d’opposition armée ayant signé des accords de cessez le feu dans l'État Kachin : la KIO (Kachin Independant Organisation), la NDA(K) (New Democratic Army), et la KDA (Kachin Defence Army). Parmis ces trois groupes, la KIO est le plus impliqué sur le terrain politique alors que les deux autres, décrites comme des milices du gouvernement, sont motivés par des intérêts économiques ; toutefois, les comportements de ces groupes sont changeants en fonction des circonstances politiques et économiques. De tels changements d’orientation n’encouragent pas une gestion responsable, transparente et durable des ressources.

a. Impact des accords de cessez le feu sur les groupes d’insurgés

Avant ces accords, le contrôle des différents territoires était mal défini et plutôt changeant, avec plus de zones contestées que de zones clairement contrôlées. Depuis, la KIO et la NDA(K) se sont vu attribuer des zones de contrôle spécifiques, les territoires situés en dehors des zones de cessez le feu restant aux mains du SPDC.
La NDA(K) a obtenu des accords avec le SPDC un degré important d’autonomie dans ses territoires, alors que les troupes restent largement présentes dans les zones sous contrôle de la KIA (Kachin Independance Army, bras armé de la KIO).
La KIA a acquis le droit de s’engager dans des activités commerciales comme l’agriculture et l’exploitation minière et forestière ; elle se défend toutefois d’être motivée par des intérêts économiques et assure que ses activités sont uniquement destinées à faire subsister l’organisation. Néanmoins, le niveau de taxation dans l'État Kachin, révélateur du degré de militarisation dans la région, est si élevé que les profits sont difficiles à dégager.
Les accords de cessez le feu ont permis une amélioration de la sécurité pour les populations, traduite par la diminution du nombre de décès et d’atteintes aux droits humains telles que le travail forcé, la torture ou le viol ; pour la première fois en trente ans, des familles ont pu sortir de la jungle et s’engager dans la culture céréalière. Certaines améliorations ont également pu être constatées dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la liberté de mouvement ou des échanges. Toutefois, le travail forcé et les meurtres sont toujours d'actualité dans l'État Kachin.
Par ailleurs, concernant les ressources naturelles, les accords ont entraîné un changement dans la nature et l’envergure de l’exploitation ; certains de ces changements étaient consignés dans les accords eux-mêmes alors que d’autres ont résulté des conflits de pouvoir entre les groupes et le SPDC.
Les groupes d’insurgés se sont trouvés affaiblis par ces accords qui n’ont entraîné aucun progrès politique ; le SPDC a opposé à ces groupes le fait qu’il n’était qu’un gouvernement de transition et qu’il ne disposait pas d’un mandat lui permettant de conclure des accords ayant une telle portée. Cette absence de progrès eut, dans certains groupes, un effet désastreux : la discipline et le sens du devoir ont laissé place à l’opportunisme, la corruption et l’incompétence. De plus, l’abondance des ressources dans cette région a exacerbé la situation : bien que la plupart des groupes soient clairement impliqués dans l’exploitation, peu de revenus intègrent leurs comptes officiels. Une telle corruption diminue la cohérence du mouvement et instaure la frustration dans ses rangs ; l’image de la KIO, depuis ces accords, fut gravement entachée, entraînant une baisse importante de sa popularité.

b. L’exploitation forestière dans l'État Kachin

Les forêts de l’État Kachin sont reconnues comme étant parmi les zones les plus tempérées, les plus riches et les plus bio diversifiées sur Terre ; elles sont également les plus dégradées de toute la Birmanie. L’intensité de l’exploitation augmente avec le nombre de routes qui y sont construites. Toutefois, la phase la plus importante de l’exploitation s’est tenue avant la signature des accords en 1987.
L’exploitation par les compagnies chinoises dans l'État Kachin s’organise de plusieurs manières mais deux méthodes sont prédominantes. La première consiste à acheter les droits d’exploitation sur une forêt entière pour une période définie de plusieurs années ; elle conduit souvent à la déforestation totale de la zone. La seconde consiste en une exploitation sélective ; la compagnie achète le droit d’extraire, d’une zone précise, une certaine quantité de bois. Les spécimens les plus précieux en sont extraits. Le SLORC a accordé des concessions à ces compagnies au fur et à mesure que la KIA perdait du terrain.
Le contrôle de l’exploitation fut déterminant dans la signature des accords de cessez le feu entre la KIO et le SPDC ; on ignore dans quelle mesure les deux organisations se sont entendues sur le partage des profits. Dans les zones sous contrôle de la KIA, certaines compagnies sont victimes des conflits de pouvoir entre la KIA et le SPDC, alors que d’autres opèrent sous le contrôle de l’une ou l’autre des organisations. Dans les zones sous contrôle due la NDA(K), qui dispose de plus d’autonomie, les compagnies sont rarement inquiétées. La plupart des forêts situées dans les zones de cessez le feu ont été soumises à l’exploitation industrielle sans aucun contrôle. Dans ce chaos, certaines compagnies ont utilisé la confusion à leur avantage alors que d’autres éprouvent d’importantes difficultés. Le manque de sécurité s’ajoute à l’imprévisibilité avec laquelle les groupes décident ou non de s’accorder avec les compagnies. Parfois, les concessions sont annulées et les contrats ne sont pas honorés. Les méthodes d'exploitation reflètent ce manque de stabilité : les compagnies, qui tentent de rentabiliser leur investissement le plus vite possible, exploitent à outrance, le plus rapidement possible, sans se soucier d’une quelconque régulation. En l’absence de planification, ces forêts décimées, situées sur des pentes escarpées, se transforment en voies de glissement de terrain et sont victimes d’une importante érosion. Pour permettre cette exploitation, 500 miles de routes ont été construits dans les seules zones sous contrôle de la NDA(K), constituant en elle-mêmes une activité destructrice. Certaines forêts ont été quelque peu protégées de l’exploitation du fait de leur isolement ; néanmoins, la situation va changer avec la construction de trois grands axes, sous l’impulsion de la KIO, du SPDC et de la NDA(K) en accord avec des compagnies chinoises, reliant ces forêts aux grandes villes de la région.

c. L’exploitation et la KIO

La KIO a été formé en 1961 par un groupe d’étudiants kachins, pour lutter contre la discrimination et la marginalisation économique dont ils faisaient l’objet. La décision du gouvernement de U Nu de déclarer le Bouddhisme comme religion d’État et de céder plusieurs villages kachins à la Chine lors d‘un accord de démarcation des frontières fut un facteur décisif. La rébellion s’est vite propagée et la KIO et sa branche armée, la KIA, ont pris le contrôle sur de larges zones de l’État Kachin ; la KIA est devenu l’une des plus puissantes armées d’insurgés de Birmanie. L’arrivée du CPB (Communist Party of Burma) eut de graves conséquences pour la KIO ; le CPB lui offrit un approvisionnement en armes s’il acceptait de se placer sous son commandement. Le refus de la KIO en 1968 a provoqué de violents conflits qui ont duré jusqu’en 1976, lorsque les deux organisations signèrent un cessez le feu. La même année, la KIO devint l’un des membres fondateurs du National Democratic Front (NDF), une organisation alliant des armées d’opposition. Les pour-parlers de paix avec le gouvernement militaire dans les années 1980 n’ont produit aucun résultat ; en 1994, après de longues négociations, un accord de cessez le feu est passé avec le SLORC. Pour la KIO, le développement social, humanitaire et économique apporté par ces accords conduirait au développement politique et à la réconciliation ; elle espérait que les autres membres du NDF suivraient cet exemple dans le cadre d’une stratégie de réconciliation nationale. Ce ne fut pas le cas et la KIO eut beaucoup de mal à exercer une pression politique alors que les autres groupes continuaient le combat.
     La compensation des revenus miniers par les revenus forestiers
Depuis les années 1960, l’économie de la KIO était fondée sur le contrôle des zones riches en jade, l’exploitation minière et le commerce du jade. En effet, l’État Kachin est la première source mondiale de jade de qualité. Cependant, aux vues des réformes économiques introduites en Chine, le commerce de cette ressource s’est déplacé de la frontière thaïlandaise vers la frontière chinoise ; ainsi, le SLORC a pu augmenter la pression exercée sur les économies d’insurgés en prenant pour cible les postes de négoce situés sur la frontière. De plus, à la fin des années 1990, le prix du jade s’est effondré et de nombreuses concessions minières furent cédées par le SLORC ; la perte du jade comme principale source de revenu fut une véritable déflagration pour les économies des groupes d’insurgés. Le manque à gagner fut compensé par l’exploitation forestière qui fut pratiquée à outrance. L’argument couramment utilisé pour justifier l’exploitation relève du fatalisme : si eux ne le font pas, d’autres le feront. Des concessions sont concédées par la KIO à diverses compagnies pour un an, et les tarifs d’exploitation sont renégociés tous les ans. En plus de l’exploitation en elle-même, le trafic de tek rapporte à la KIO un revenu important, grâce aux taxes qu’il prélève aux nombreux check points ; Néanmoins, comme aucun registre n’est tenu par les différents groupes, il est difficile d’évaluer la quantité de bois qui transite de l’État Kachin vers la Chine.
     Les projets d’énergie hydroélectrique de Dabak et de Mali
En juin 2002, le comité central de la KIO conduisit une étude selon laquelle une déforestation massive et destructrice était constatée dans l'État Kachin. La KIO décida alors de protéger la forêt avant qu’elle ne soit complètement décimée ; cette étude condamnait les exploitants illégaux et les contrebandiers, responsable de la situation. Les seules exploitations légitimes étaient celles qui avaient été accordées à la KIO par le gouvernement, afin qu’il puisse mener à bien ses projets de développement comme la construction de routes et les projets de développement d’énergie hydroélectrique. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure l’exploitation légale est moins destructrice ; de même, il n’existe pas de certitude quant au fait que ces projets de développement soient réellement profitables pour les populations.
Depuis 1997, la KIO est impliquée dans deux projets d’énergie hydroélectriques afin d’augmenter la production électrique dans l’État: les projets de Mali Creek et de Dabak River. Ces projets ont pour but de faciliter le développement en approvisionnant les industries naissantes en énergie ; concernant le commerce du tek, cela signifie une augmentation des capacités d’exploitation ainsi que la fabrication de biens manufacturés à base de bois. Néanmoins, il n’est pas certain que le marché actuel soit prêt à recevoir de tels produits dans la mesure où la Chine importe principalement du bois brut. De plus, ces projets, qui ont dû être sujet à une importante corruption, furent financés, à hauteur de plusieurs millions de $, grâce au trafic de bois; leur valeur en terme de développement durable est donc contestable à cet égard. Le fait que le développement soit la motivation des décisions de la KIO est discutable ; par ailleurs, il n’est pas établi que ces projets de développement aient l’impact souhaité auprès des populations, et quand bien même, il n’est pas sûr que ce type de développement parvienne à contre balancer les effets de l’exploitation à long terme.
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d. L’exploitation et la NDAK

La NDA(K) s’est séparé de la KIO en 1968 pour rejoindre le CPB et devenir le CPB War Zone ; dès lors, ses relations avec la KIO furent tendues, conduisant parfois à des affrontements. Après l’effondrement du CPB en 1989, l’organisation s’est rebaptisé NDA(K) et a conclu des accords de cessez le feu avec le gouvernement et devint une milice reconnue par la junte. Sa principale source de revenu est l’exploitation forestière et minière.
Les concessions d’exploitation sont déléguées aux membres du comité central qui négocient avec les compagnies ; des concessions leurs sont accordées pour plusieurs années (souvent pour quinze ans). Selon ces compagnies, pour obtenir la sécurité de leur exploitation et assurer le transport du bois, elles doivent verser un payement initial d’environ 300,000$ au département financier de la NDA(K) ; elles peuvent également acquérir une montagne complète afin d’en exploiter tout le bois pour un prix situé entre 625,000$ et 1,250,000$.
Actuellement, la NDA(K) pratique une expansion agressive de ses activités d’exploitation ; cela est évidemment rendu possible par la permission, et peut être même les encouragements, du SPDC et la coopération des gouvernants du comté de Tengchong. En effet, la plupart des zones contrôlées par la NDA(K) ont déjà été exploitées et le comté de Tengchong a besoin de sécuriser de nouvelles zones d’approvisionnement de bois ; c’est pourquoi ce comté a d’ores et déjà financé la construction de routes et de ponts dans l'État Kachin.
Beaucoup de territoires de la NDA(K) et de la KIA n’ont pas été formellement démarqués avant que les concessions d’exploitations furent concédées à des compagnies par l’un ou l’autre de ces groupes. C’est pourquoi, l’expansion de la NDA(K) dans les zones d’exploitation créée de nouvelles tensions avec la KIO ; il ne serait pas étonnant que ceci soit le résultat d’une stratégie de division menée par le SPDC.

Le SPDC dégage également un profit important de l’exploitation à travers les nombreuses taxes qui sont levées sur tous les grands axes par les douaniers, les services de renseignements et d’immigration, et la police.

e. L’exploitation par les villageois

Dans les zones de cessez le feu, de nombreuses forêts peuvent être exploitées par les villageois ; les chefs de village peuvent négocier directement avec les compagnies et parfois, les populations locales exploitent elles-mêmes les forêts et vendent le bois à des négociants chinois. Ces procédés sont à double tranchant car les villageois n’ont pas toujours les compétences ou l’expérience requise pour négocier favorablement avec les marchands et les compagnies. Dans certains cas, les villageois ont passé des arrangements avec les compagnies, leur concédant le droit d’exploiter leurs terres en échange de la construction d’écoles, de routes, de maisons ou de systèmes d’approvisionnement en eau. Toutefois les constructions réalisées dans le cadre de tels accords sont souvent de mauvaise qualité et tombent en désuétude après une ou deux années d’utilisation.
Selon les dires de la KIO, les villageois comprennent que, suite à la perte des mines de jade, sa seule source de revenu est l’exploitation forestière. Toutefois, l’exploitation par la KIO est une importante source de ressentiment de la part des villageois ; ils considèrent la KIO comme étant aussi corrompu que le régime militaire et faisant aussi peu de cas du sort des populations: si des taxes leur sont payées, les concessions sont largement attribuées aux grandes compagnies, au détriment des villageois. De plus, la KIO organise la protection de ces concessions contre les éventuelles revendications ou agressions des populations locales.
Dans les zones sous contrôle de la NDA(K), les négociations entre les compagnies et les villageois ne concernent que les compensations dans la mesure où les concessions ont déjà été attribuées par la NDA(K), sans le consentement des populations. Par ailleurs, la NDA(K) pratique une politique de déplacement des villageois vers de plus grands villages situés dans les vallées ; en plus de faciliter l’exploitation, cette politique apparaît comme une sérieuse méthode de contrôle social.

f. Le projet du N’Mai Hku

Le projet du N’Mai Hku est situé sur le pan ouest des montagnes de Gaoligongshan. Les deux zones qui encadrent celle du N’Mai Hku sont parmis les plus riches et les plus menacées du monde: l’Indo-Birmanie et le sud de la Chine ; l’Académie des sciences de Californie a reconnu cette zone comme l’une des plus bio diversifiée de la planète, ce qui explique qu’une grande proportion des pans chinois de ces montagnes soit protégée par deux réserves naturelles. Concernant les ressources minières, la zone est riche en or, en zinc, en argent, en plomb ; certains pensent que le fer, le cuivre, le néphrite et l’uranium sont également présents. Ce terrain est très escarpé et n’a jamais été l’objet d’une exploitation étendue et outrageuse.
Ce projet combine des opérations d’exploitation minière et forestière qui couvrent l’ensemble de la zone. Les études et les planifications concernant le projet se sont tenues il y a au moins sept ans ; toutefois, les observateurs craignent que les compagnies appliquent la méthode dite du nettoyage, qui consiste à couper tous les arbres d’une zone précise. L’exploitation devrait s’étaler sur une dizaine d’année.
Les origines de ce projet sont à rechercher dans des négociations qui se sont tenues au début des années 1990 entre la KIO et le Département des Forêts de la province du Yunnan. Il est difficile de déterminer pour quelle raison la KIO s’est retrouvée impliquée dans ce projet ; on suggère qu’elle donna son aval au projet en échange d’une aide pour le financement d’un autre projet : celui de Dabak. Selon une source proche de la KIO, celui-ci aurait perçu 1,250,000$ de la part d’une compagnie chinoise impliquée. Le projet est le résultat de négociations entre un petit groupe, représentant les insurgés (KIO,NDA(K)), et les représentants d’intérêts privés ou d’intérêts d’État pour la Chine et la Malaisie. Il n’y eut que peu ou pas de consultations publiques sur ce projet dans l'État Kachin et la KIO ne fut que peu conviée aux réunions de discussion. Cependant, il est certain que les compagnies chinoises n’auraient pas investit dans ce projet sans l’accord du SPDC. Les observateurs pensent à juste titre que la KIO, de son côté, s’est vu accorder par le SPDC la permission d’exploiter cette zone afin de compenser la perte des mines de jade et d’honorer son plan de développement des zones frontalières.
En 2001, le projet était encore balbutiant et l’activité était encore limitée à la construction de routes ; toutefois, en 2003, un pont de 150 mètres fut inauguré au-dessus de la rivière Salween alors que le réseau routier est déjà bien étendu.
Les ressources naturelles sont directement transportées vers la Chine, ce qui explique la construction du réseau routier depuis la Chine jusque dans l'État Kachin et le renforcement du réseau chinois préexistant. Le terrain étant très escarpé, la construction de routes constitue un investissement conséquent qui dépasse largement les cinq millions de $.
Il existe seize villages dans cette zone, regroupant environ 3 500 personnes ; ces populations vont perdre leurs terres, leur accès aux ressources forestières et aux cours d’eau qui sont envasés. Le projet est d’ores et déjà une source de mécontentement pour les villageois qui ne retirent aucun avantage du réseau routier comme on le leur avait promis. Des plaintes ont donc été adressées au SPDC : les compagnies ont été contraintes de financer une route reliant les villages et les axes d’exploitation. Étrangement, les villageois semblent disposer de plus de voies de recours auprès du SPDC qu’auprès de la KIA (Kachin Independent Army).

Les conséquences environnementales d’un tel projet sont sans précédent.

III. Les conséquences désastreuses de l’exploitation

A. Les conséquences humaines

1. Le travail forcé

Le régime birman est connu pour son recours au travail forcé ; les menaces, l’intimidation, le vol, la violence, la torture, le viol et le meurtre sont autant de moyens pour la junte de contraindre les populations à travailler pour elle. Jusque récemment, le travail forcé était légal en Birmanie, en référence au Towns and Village Acts mis en place par l’administration britannique en 1907. Sous la pression de la communauté internationale, le SPDC prit une ordonnance en mai 1999 (ord. 1/99) afin d’abroger la loi de 1907 ; le travail forcé est désormais interdit en Birmanie, hors situation d’urgence. Tout est dit.
Malgré cette interdiction, la pratique en question reste si répandue qu’en juin 2000, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) condamne la Birmanie pour ses violations de la Convention Internationale sur le Travail Forcé ; l’OIT a accusé le SPDC de violation systématique des droits humains contre les minorités ethniques aggravée par le recours au travail forcé. Malgré la condamnation par l’OIT et les prétendues mesures prises par le SPDC, les atteintes restent sérieuses, en particulier dans les zones frontalières.
Un rapport de l’OIT de novembre 2001 formule diverses observations :
               *La volonté politique proclamée par le régime d’abolir le travail forcé semble être en contradiction avec des considérations fondamentales comme la consolidation de l’unité du pays ou la sauvegarde de son intégrité territoriale. Dans la logique de la junte, le travail forcé, en l’absence de moyens alternatifs, apparaît comme la méthode la plus évidente pour atteindre son objectif ; de plus, il est utilisé comme un outil de répression ou de discrimination contre les villageois suspectés de sympathiser avec les groupes ethniques d’insurgés. Le recours au travail forcé, dans des conditions cruelles, ne risque pas seulement de créer des dommages irréversibles dans les relations entre la majorité birmane et les minorités ethniques, mais risque également d’exacerber la situation de division que les autorités tentent d’éviter. Le fait que le régime ne puisse pas financer son armée est un obstacle majeur à l’éradication du travail forcé utilisé pour dégager plus de profit. De plus, les soldats sont souvent engagés dans des activités économiques pour lesquelles ils n’ont pas les compétences nécessaires ; ils ont donc recours au travail forcé des villageois pour exercer leurs activités à leur place.
               *Les progrès économiques et la modernisation sont les clés de l’élimination du travail forcé. Cela pourrait entre autre, apporter des emplois alternatifs et viables pour les trop nombreux soldats.
               *Cependant, tout relâchement de la pression internationale risquerait d’affaiblir la volonté du SPDC de mettre en œuvre les changements fondamentaux nécessaires à assurer le respect des droits les plus élémentaires ainsi que la liberté et la dignité de toutes les populations et groupes ethniques du pays.
Un problème particulier fut identifié par un rapport de l’ONU : il n’existe pas de mécanisme judiciaire indépendant pour juger des violations de l’ordonnance 1/99 interdisant le recours au travail forcé. Du fait de cette carence, adjointe au manque de confiance dans le système judiciaire birman, aucun cas de travail forcé ne fut porté devant les tribunaux, à la date du 10 janvier 2002.
Pour la population birmane, les conséquences de l’implication de l’armée dans l’exploitation forestière sont nombreuses. Les villageois sont forcés à couper, traiter et transporter le bois, mais sont également sollicités pour entretenir les routes d’exploitation et les camps militaires, ainsi que pour replanter les arbres afin d’assurer une future exploitation commerciale par les militaires.
 Les villageois ne sont pas uniquement contraints de voir leurs terres occupées de force et leurs ressources volées ; ils doivent également fournir la nourriture et les outils nécessaires à l’exploitation. Le travail est dur et dangereux et l’inexpérience, le faible niveau des procédures de sécurité, et les mauvaises conditions de travail conduisent souvent à la fatalité : de nombreuses personnes meurent, écrasées lorsque les arbres sont abattus ou tombent des camions.
L’exploitation nécessite un réseau routier en bon état ; les villageois, femmes enceintes, enfants et vieillards, sont contraints de construire de nouvelles routes, réhabiliter les anciennes, et entretenir celles qui sont déjà utilisées.
Par ailleurs, les fermiers contraints au travail forcé par l’armée, ne peuvent plus assurer leur propre récolte, destinée à garantir leur subsistance. Le temps passé sur les chantiers militaires les conduit indubitablement vers plus de pauvreté, puisqu’ils ne perçoivent aucun salaire.
De plus, les habitants locaux sont fréquemment déplacés en dehors des zones d’exploitation où leurs maisons sont détruites. Lorsqu’ils sont enrôlés pour la construction de camps militaires, les villageois doivent couper certaines quantité de bois pour bâtir les baraquements ; s’ils n’y parviennent pas, ils doivent acheter les quantités manquantes.
Toutefois, les villageois ne sont pas seulement exploités par le SPDC ; ils doivent également pourvoir aux besoins des groupes d’insurgés ayant conclu des cessez le feu avec le gouvernement et peu soucieux du sort des populations qu’ils sont sensés représenter.

2. Le trafic d’opium

La plupart des villages souffrent d’un mauvais accès aux villes avoisinantes, ce qui signifie un mauvais accès aux services ainsi qu’à la possibilité de commercer. Pendant la saison des pluies, la majorité des villages n’est accessible qu’à pied. Très peu sont pourvu d’un système d’approvisionnement en eau ou d’infrastructures nécessaires à la santé, l’éducation ou le développement de l’agriculture. Les ménages sont très pauvres et pour la majorité d’entre eux souffrent d’un manque de nourriture équivalent à des réserves de 4 à 8 mois. Pour ces raisons, les villageois cultivent l’opium.
L’opium a longtemps été cultivé dans le Nord de la Birmanie, dans un but médical. Sous le régime colonial, les Britanniques ont introduit la culture de l’opium à grande échelle et le commerce international de cette plante dont la Birmanie est devenue le principal carrefour. Après la Seconde Guerre Mondiale, la CIA a étendu cette culture afin de soutenir le Kuomintang chinois dans l'État Shan. L’opium a joué un rôle essentiel dans l’économie des groupes d’insurgés dans le Nord birman : La nécessité ne connaît pas de loi. Dans les années 1980, le commerce d’héroïne a connu, en même temps que l’exploitation forestière, une expansion rapide. La Birmanie est aujourd’hui le second exportateur mondial d’héroïne, derrière l’Afghanistan. Le commerce d’opiacé est lié au conflit, à l’expansion du virus du SIDA et au crime organisé.
L’exploitation forestière sur la frontière sino-birmane, la production d’opium et le trafic d’héroïne sont inextricablement liés et similaires à différents égards. Le trafic de drogue a pu fournir à certains négociants les fonds nécessaires pour investir dans l’exploitation forestière ; par ailleurs, l’exploitation est souvent utilisée par les trafiquants pour blanchir l’argent de la drogue. Parfois même, les troncs d’arbres sont vidés et remplis avec de l’héroïne avant d’être exportés vers la Chine ou l’Inde.
D’autre part, drogue et exploitation sont liées dans le sens où les autorités chinoises ont fait la promotion de l’exploitation forestière comme étant un potentiel revenu de substitution à la culture de l’opium. Cette politique a conduit à la déforestation et à la destruction de l’environnement. Sécheresses, inondations et glissements de terrains ont entraîné l’appauvrissement des populations, qui, pour subsister, ont augmenté la production d’opium. Une telle approche aurait pu être constructive, si l’exploitation s’était inscrite dans une logique de développement durable. Au contraire, les projets d’éradication de la drogue ont servi à justifier et à légitimer l’exploitation forestière de grande envergure en particulier dans la région Wa ainsi que dans l'État Kachin.


3. Les mines anti-personnelles dans l'État Karen

Les conditions dans lesquelles les villageois sont contraints de travailler sont hasardeuses. L’exploitation en terrain miné n’est pas rare. Les mines anti-personnel sont utilisées par tous les acteurs du conflit pour empêcher les mouvements de troupes ennemies, pour bloquer les routes d’approvisionnement ou les itinéraires de repli, pour défendre les positions ou encore pour empêcher les villageois déplacés par l’armée de retourner sur leurs terres. En 1999, il y eut plus de personnes victimes des mines dans l'État Karen que dans l’ensemble du Cambodge, le pays le plus miné au monde.
Cependant, l’utilisation des mines n’est pas réduite à des fins militaires. Un déserteur de la DKBA a décrit comment ce groupe utilise les mines pour protéger ses opérations d’exploitation ; ces allégations furent largement corroborées par Nonviolence International. En effet, dans les zones sous contrôle de la DKBA, comme dans l’ensemble de l’État Karen, les mines sont souvent utilisées pour contrôler les régions destinées à l’exploitation ; elles sont utilisées pour démarquer les concessions, pour empêcher toute exploitation sauvage, et pour empêcher la KNU de taxer ou de déranger les compagnies à l’œuvre.
Dans certains cas, des négociants thaïlandais emploient des soldats pour poser des mines ; la pose des mines par les combattants de la DKBA fait partie des services rendus aux compagnies d’exploitation en terme de sécurité. Les négociant thaïlandais fournissent les explosifs et les détonateurs. La ma chine est bien huilée.
Si les mines tuent des militaires et des civils, elles ont aussi un impact important sur la vie des populations en restreignant leur accès aux ressources forestières et en diminuant de manière significative la vie sauvage dans les forêts.
L’ironie du sort veut que dans certains cas, les profits dégagés par l’exploitation forestière soient utilisés par le SPDC pour assister les soldats handicapés, victimes de mines anti-personnel.

4. La résurgence du HIV dans l'État Kachin

Il existe une importante corrélation entre le nombre de personnes infectées par le HIV et la présence des industries d’extraction, forestière ou minière, en particulier sur la frontière sino-birmane.
En effet, la plupart des compagnies exploitant cette zone emploient des travailleurs migrants et saisonniers qui participent à la propagation de l’épidémie. Les conditions de travail sont très dures et nombreux sont les travailleurs qui utilisent la drogue comme échappatoire. La consommation est en perpétuelle augmentation, dans la mesure où la drogue est facile d’accès dans cette région ; elle tend à devenir une pratique commune de plus en plus répandue pour les populations locales. Conjuguée au manque de prévention et de seringue propre, cette pratique constitue un terrain fertile pour l’expansion du virus.
Par ailleurs, les travailleurs migrants sont souvent de jeunes hommes célibataires ou mariés, vivant loin de leur foyer ; l’industrie du sexe, attirée par les nombreux clients potentiels, a pu largement proliférer dans cette zone. Les villes frontalières chinoises abritent de nombreuses prostituées au service de l’industrie de l’exploitation ; elles sont très peu informées sur les risques liés à l’exercice de leur activité et sont souvent appelées à se déplacer d’une ville à l’autre.

B. Les conséquences environnementales

Le paysage birman est composé de zones tempérées (25%) et tropicales (75%). La Birmanie compte parmis les pays les plus bio diversifiés du monde, abritant de nombreuses espèces végétales et animales particulièrement rares.

1. La déforestation

Malgré l’exploitation outrancière des forêts birmanes, celles ci restent les plus fournies et les plus denses de toute l’Asie du sud-est ; néanmoins, il faut prendre en compte la qualité décroissante de ces forêts ainsi que les sérieux cas de déforestation au niveau local. En effet, le calcul du taux de déforestation peut être effectué de manière très subjective et instrumentalisé par les gouvernants pour fausser les données du problème ; ainsi, les estimations de ce taux peuvent varier du simple au double. La FAO (Food and Agriculture Organisation) estime les pertes forestières à 1,4% par an, ce qui représente le taux de déforestation le plus important d’Asie du sud-est (avec les Philippines) qui est la région qui détient le taux le plus élevé du monde. De son côté, le Département des Forêts birman estime ce taux à 0,3% par an ; des résultats locaux ont été extrapolés à l’ensemble du pays, ne reflétant pas fidèlement la situation générale. D’autre part, les études menées ont souvent confondu des changements saisonniers avec des changements permanents. De plus, les chiffres de la déforestation prennent en compte les forêts définitivement perdues et non celles qui sont gravement dégradées. Enfin, ces chiffres reflètent une moyenne entre les forêts détruites et celles qui sont replantées et qui sont souvent d’une qualité largement inférieure aux précédentes. Il est donc très difficile d’évaluer le taux de destruction des forêts birmanes et dans quelle mesure le seuil d’irréversibilité est ou non atteint.

2. Inondations, feux de forêt et autres conséquences

La terre, l’eau, les forêts et le climat constituent les premières ressources d’un Etat ; si les forêts sont détruites, la terre et l’eau seront dégradées, entraînant d’importants changements climatiques. Les forêts sont donc la base de tout écosystème. La Birmanie souffre aujourd’hui des nombreuses conséquences de la déforestation dont elle fait l’objet.
En État Karen de nombreux villageois vivent de la culture d’arbres fruitiers ; or, à cause de l’exploitation forestière, le climat a beaucoup changé, entraînant une importante diminution des chutes de pluie ; la culture y est donc plus difficile et moins fructueuse.
Dans la zone du N Mai Hku, comme dans les autres zones montagneuses, l’exploitation des terrains escarpés entraîne d’importants glissements de terrain ainsi que l’envasement de nombreux cours d’eau.
Par ailleurs, dans l’ensemble du pays, les populations sont confrontées à des feux de forêts de plus en plus nombreux et de plus en plus graves, dus aux arbres et aux branchages abandonnés par les exploitants. De même, on a constaté une augmentation significative du nombre d’inondations, causées par la destruction des digues naturelles. Toutes les conséquences de la déforestation constituent en elles-mêmes des atteintes à l’environnement et participent à la destruction de la vie animale et sauvage en général.
La perspective d’un développement durable et équitable étant complètement absente des processus d’exploitation. Les états qui prônent habituellement ce type de développement sont en général peu regardant quant à l’origine des ressources qu’ils importent ; c’est précisément le cas de la Chine et de la Thaïlande qui ont imposé, sur leur territoire, des mesures drastiques de protection des réserves naturelles. Pourtant, les préoccupations environnementales ne connaissent pas de frontières.


IV. La responsabilité Sino-Thaïlandaise : une collaboration indispensable

A. Les relations diplomatiques avec la Thaïlande

La Thaïlande et la Birmanie partagent une frontière de 2400 km qui, jusqu’à très récemment était principalement sous le contrôle du gouvernement birman. Les relations entre les gouvernements des deux pays ont parfois été instables, reflétant les antagonismes historiques ou les tensions dues aux politiques frontalières locales. La tolérance, voire le soutient, du gouvernement thaïlandais à l’égard de certains groupes d’insurgés, fut, dans les dernières décennies, un point particulièrement sensible des relations entre les deux états.

1. Les conflits frontaliers

Le problème fut aggravé par la mauvaise démarcation de la frontière, qui conduisit à des conflits frontaliers entraînant d’importants afflux de réfugiés birmans vers la Thaïlande. En 2002, la frontière devint particulièrement instable à cause d’un regain de violence dans le conflit opposant l’armée birmane et les groupes d’opposition armés Shan et Karen ; les relations bilatérales entre les deux pays ont alors atteint leur niveau le plus bas.
Plusieurs groupes d’insurgés contrôlent certaines parties de la frontière dans le sud de l’État Shan. Après la rébellion pro-démocratique de 1988, les zones frontalières libérées étaient contrôlées par les insurgés et servaient de base à l’opposition démocratique. Entre 1975 et 1995, les quartiers généraux de la KNU, situés dans cette zone, furent également ceux de la Democratic Alliance of Burma et du National Council Union of Burma.
Parmi les douze groupes d’insurgés qui n’ont pas signé d’accords de cessez le feu, sept sont basés le long de la frontière thaïlandaise ; les plus importants sont la KNU, le Karenni National Progressive Party (KNPP) et la Shan State Army - South (SSA-S). Il existe deux zones de conflit, l’une sur la frontière avec l’État Shan et l’autre sur la frontière avec l’État Karen.
Depuis les années 1960, le contrôle du trafic illicite de bois et de drogue est un important facteur du conflit frontalier. Par ailleurs, la cause du ressentiment de la junte pour la Thaïlande est à rechercher dans les relations que celle-ci a pu entretenir avec des groupes d’insurgés comme la KNU ou la SSA-S. Ces dernières années, plusieurs articles du New Light of Myanmar ont accusé la Thaïlande d’avoir encouragé et donné refuge à des groupes d’opposants pour des raisons commerciales (importations de ressources à bas prix, contre bande, vente d’armes etc.). De toute évidence, les prérogatives économiques ne sont pas complètement étrangères à ces conflits, mais les bénéficiaires sont présents dans tous les camps.
Néanmoins, les raisons de ce soutient apparaissent comme étant également stratégiques ; la Thaïlande aurait utilisé les groupes d’opposants armés comme une infanterie légère permettant d’éviter les affrontements directs entre les deux armées nationales. A cet effet, les zones contrôlées par ces groupes ont fait office de zones tampons entre les deux états, moyennant un soutient logistique et une zone de repli pourvus par la Thaïlande.

2. La gestion diplomatique des ressources

Les concessions d’exploitation accordées à la Thaïlande par le SLORC en 1988 sont révélatrice de la manière dont la junte utilise les matières premières birmanes pour manipuler ses voisins. Le contrôle des ressources naturelles eut une forte influence sur les orientations diplomatiques de la Thaïlande à l’égard du régime birman. Le SPDC a parfois fermé les frontières pour envoyer un message fort à Bangkok à travers les puissants lobbies commerciaux dans lesquels sont engagés certains politiciens. Cette gestion diplomatique des ressources fut plus ou moins efficace selon le gouvernement au pouvoir.
Depuis les années 1980, il y eut un changement de la position thaïlandaise sur la question du commerce transfrontalier, qui auparavant intégrait volontiers la participation des groupes d’insurgés ; désormais, il tend à se formaliser de plus en plus et les relations commerciales deviennent inter-gouvernementales ou mettent en avant les grandes entreprises de chaque état, excluant les groupes ethniques. Ce retournement de situation a coïncidé avec la montée en puissance des lobbies économiques dans la politique thaïlandaise et leur volonté de tirer profit des ressources birmanes. De nombreuses fortunes politiques furent bâties sur l’exploitation de ces ressources.
Le 14 décembre 1988 au lendemain de la révolte démocratique, la visite officielle du général Chavalit, qui était à l’époque le commandant en chef des forces armées thaïlandaises, eut une importante portée politique. Le général fut le premier dignitaire étranger à se rendre en Birmanie après le développement de la situation ; à la suite de cette visite, 47 concessions furent accordées à 35 compagnies thaïlandaises, engageant le processus d’une grande exploitation sur la frontière.
 En janvier 1989, suite à une série de catastrophes naturelles dues à l’exploitation, le Premier ministre thaïlandais annonça une interdiction d’exploiter les forêts ; le gouvernement assura qu’il allait augmenter les importations de Birmanie et du Laos afin de compenser le manque de matière première. En mai 1989, le général Than Shwe, lors d’une visite officielle, fit part au Premier ministre thaïlandais de sa volonté de nettoyer les frontières pour plus de sécurité et ainsi assurer un meilleur bénéfice mutuel du commerce bilatéral. Peu après, lors de manœuvres nocturnes, les troupes birmanes ont pu traverser la frontière thaïlandaise afin de prendre les insurgés à revers.
La coopération économique entre les deux pays a été formalisée par la formation de la Thaï-Burmese Cultural an Economic Association ; en novembre 2002,cette association fut concrétisée par l’annonce de quatre grands projets menés par des compagnies thaïlandaises en Birmanie comme un barrage hydroélectrique sur la rivière de Salween ou une importante mine de charbon dans la division de Tenasserim. Le Premier ministre thaïlandais, M Chavalit, a déclaré : " Le développement associé participera à l’ouverture des zones frontalières et soutiendra l’élimination des mauvais peuples, des peuples minoritaires, des mauvaises choses cachées le long de la frontière et assurera une meilleure sécurité. "Il poursuivit : " Je suis certain que la Thaïlande et la Birmanie seront des amis pour toujours. "

3. L’exploitation thaïlandaise en Birmanie

L’exploitation frontalière n’aurait pas pu se mettre en place sans la participation des groupes d’insurgés ; ainsi, les accords commerciaux concernant l’exploitation forestière ont pris quatre formes différentes selon les participants : Le gouvernement thaïlandais, le gouvernement birman, les compagnies thaïlandaises et les groupes d’insurgés. Même si Rangoun accorde des concessions, les compagnies doivent négocier avec les insurgés pour opérer en sécurité.
L’exploitation dans les territoires de la KNU
Les prises et reprises de territoire dans l'État Karen, par la KNU et le SPDC, sont plus souvent liées au contrôle de l’exploitation forestière qu’à la question de l’autonomie des Karens.
En 1989, le général Bo Mya déclara que les compagnies thaïlandaises d’exploitation ne seraient pas autorisées à opérer tant que leurs accords avec le SLORC ne seraient pas annulés et remplacés par des accords conclus avec la KNU. La KNU voulait en premier lieu renforcer son contrôle sur les ressources de la région, mais également empêcher les compagnies de renseigner le SLORC sur ses mouvements de troupes. De plus en contrôlant l’accès aux ressources, la KNU pouvait semer le trouble entre les différentes compagnies auxquelles étaient liés certains politiciens qui souhaitaient annihiler la KNU et d’autres groupes d’insurgés basés sur la frontière. La KNU a même menacé d’empêcher toute exploitation dans ces territoires mais elle fut rappelée à l’ordre par le gouvernement thaïlandais qui le menaça à son tour de fermer les frontières, le privant ainsi d’une importante source d’approvisionnement. Cet événement rappela à la KNU que son futur était inextricablement lié aux intérêts politiques et commerciaux de ses voisins.
L’exploitation sur la frontière
En 1993,le SLORC annonça que les concessions thaïlandaises seraient annulées à la fin de l’année, du fait de leur effet déplorable sur l’environnement ; toutefois, il était clair que les insurgés parvenaient à retirer un bénéfice satisfaisant de ces concessions et que certaines compagnies leur fournissaient armes et approvisionnement en tout genre. Ces concessions ont apporté au SLORC des bénéfices économiques, politiques et stratégiques au moment où il en avait le plus besoin ; depuis 1988, la situation a changé et le SLORC pouvait se priver de ces bénéfices. Il est vrai que lorsque les concessions furent accordées, les compagnies ont tiré profit du manque de contrôle du SPDC et du chaos général sévissant sur les frontières.
L’exploitation illégale est une pratique très répandue en Thaïlande ; le bois transite par la Birmanie puis repasse la frontière par les voies classiques de l’importation. Pour faire face à cette exploitation illicite, le gouvernement thaïlandais introduisit, en 1998, une interdiction d’importer le bois. Cependant, les négociants thaïlandais ont continué leurs activités transfrontalières avec le soutient de l’armée.
Le commerce de meubles entre les deux pays existe depuis les années 1970 ; en 1999, une tentative de légalisation est intervenue, en autorisant l’importation de meubles faits de bois rares à travers 15 points de passage transfrontaliers. Le Département des Forêts thaïlandais s’est justifié en déclarant qu’il tentait d’amoindrir la contrebande mais cette mesure eut l’effet inverse.
Ce trafic transfrontalier est problématique pour la Thaïlande car il exacerbe l’exploitation illégale dans ces forêts et augmente l’instabilité de ses frontières, en particulier à cause de l’implication de la DKBA.

4. Furniture Import Ban (interdiction des importations de meubles)

En décembre 2001, le chef des armées thaïlandaises a déclaré que les bois, les bois traités et les meubles importés de Birmanie par les négociants n’avaient pas de certificats authentifiant leur origine et étaient par conséquent illégaux. Il continua en insistant sur le fait que les autorités thaïlandaises ne devaient plus permettre de telles pratiques au risque de provoquer des conflits frontaliers.
Le 7 novembre 2001, la Thaïlande avait interdit l’importation de meubles ans la province de Tak ; cette mesure fut accompagnée de plusieurs saisies effectuées par la police locale. Cependant, en décembre 2001, Global Witness a pu constater que les soldats postés aux check points facilitaient toujours ce trafic ;en fait, ces mesures ont entraîné la corruption de nombreux officiers qui ont pu, dès lors, augmenter les taxes levées sur ces produits illégaux.
Le traitement illicite du bois se fait également en Thaïlande ; le directeur général de la RTFD (Royal Thaï Forest Department) a tenté de s’attaquer aux chantiers illégaux tout en dénonçant le laxisme des officiers locaux. Le problème est que la corruption provient également des hautes autorités.
La Forest Industry Organisation (FIO)contribue aussi à cette exploitation illégale ; en effet, les processus de saisie sont notoirement illusoires : les forêts sont exploitées illégalement, les populations locales sont accusées, la FIO confisque le bois pour ensuite le revendre à des négociants procédant dans l’illégalité. Étrangement, l’exploitation illégale peut avoir de graves conséquences pour les personnes qui ne sont pas protégées par un statut officiel ; en avril 2002, deux villageois furent abattus par des soldats alors qu’ils coupaient du bois pour leurs besoins domestiques.
D’autres imminentes personnalités sont impliquées dans ce trafic, comme Sia Hook (de son vrai nom Sunthorn Ratsameeruekset) un politicien très influent qui possède plusieurs chantiers d’exploitation et qui est également impliqué dans des affaires de meurtre et de trafic de drogue. Il est un allié précieux du régime birman à qui il a rendu quelques services en échange de concessions d’exploitation. Il s’est proposé comme médiateur lors de la négociation des accords entre la KNU et la junte ; de même, ses camions furent utilisés pour transporter des réfugiés Karens vers des zones non sécurisées où hommes et femmes étaient séparés et laissés à la merci des militaires où utilisés pour travailler dans les concessions.
Un tel degré de corruption dans l’administration engendre certaines conséquences et ne peut pas toujours passer inaperçu aux yeux de l’opinion.

5. Le scandale de la Salween

Depuis le début des années 1990, la compagnie thaïlandaise d’exploitation STB (Company Sahavanakit )avait l’exclusivité des concessions dans les zones sous contrôle de la KNU ; le SLORC l’a accusé à plusieurs reprises de fournir à la KNU des armes, des munitions et de la nourriture. Des employés de certaines compagnies qui continuaient à opérer dans ces zones, auraient été assassinés sur ordre de la STB.
Les offensives du SLORC, menées dans les années 1990 ont progressivement réduit les territoires sous contrôle de la KNU et donc les zones d’exploitation de la STB. Les pertes pour la STB furent aggravées par le fait qu’elle payait les droits d’exploitation à la KNU à l’avance. Pour compenser ces pertes, elle commença à exploiter illégalement les forêts thaïlandaises adjacentes, et notamment le sanctuaire sauvage de la Salween. Pour contrer l’interdiction faite aux compagnies d’exploiter ces zones classées réserves naturelles, le bois extrait était transporté en Birmanie par la Salween, puis réexpédié en Thaïlande ; plus simplement, la STB parvenait parfois à se procurer les papiers nécessaires, évitant ainsi les risques et les coûts inutiles. Le scandale qui a éclaté ne fut pas motivé par un désir de justice ; c’est un conflit de pouvoir qui a malencontreusement attiré l’attention sur ces pratiques. Le chef du département des forêts accepta un pot de vin de 122,000$ de la STB qu’il tenta de partager avec le Premier ministre de l’époque Chuan Leekpai ; celui-ci refusa et ordonna une enquête. De nombreux observateurs pensent que de telles investigations n’auraient pas été menées sous un autre gouvernement. Six employés de haut rang du RTFD furent démis de leur fonction et de nombreux autres furent transférés dans d’autres services ; le chef du département des forêts et un négociant de la STB furent poursuivis pour corruption. En réalité, les faibles moyens accordés au département des forêts pour faire respecter les politiques de protection de la vie sauvage, ont privé ses équipes d’un salaire décent ; c’est sur ce terrain fertile que des compagnies peu scrupuleuses ont pu déployer une telle corruption. Le ministre des forêts de la KNU, Padoh Aung San, fut impliqué dans le scandale et préféra rallier les rangs du SPDC plutôt que de faire face aux accusations de corruption qui pesaient contre lui au sein de la KNU. Comme d’habitude, les accusations retombèrent sur les plus faibles ; les 15,000 réfugiés Karen du sanctuaire de Salween firent office de boucs-émissaires et furent transférés dans des camps. Il est pourtant de notoriété publique que la présence de réfugiés protège les forêts des exploitants peu scrupuleux qui préfèrent opérer en toute discrétion ; leur expulsion n’a pour but que de faciliter le trafic illégal.

B. L’approche colonialiste de la Chine en matière commerciale

Riche en ressources naturelles et cerné par les deux nations les plus peuplées du monde, l’État Kachin est considéré comme l’un des domaines fonciers les plus précieux de la planète. Ces dernières années, l’État Kachin, longtemps considéré comme une région marginalisée en proie aux conflits, est devenu une réserve de matières premières pour le développement chinois. Cette transformation a pu s’amorcer grâce aux accords de cessez le feu, qui ont éliminé la plupart des obstacles à l’exploitation. Le commerce de bois s’est considérablement développé grâce à deux facteurs : l'accroissement de la demande chinoise et l’instabilité politique de cette zone.

1. Les relations Sino-Birmanes

En 1991, Anon, un birman résidant sur la frontière déclarait : " Aujourd’hui, ils ont gagné le contrôle sur l’ensemble du Nord de la Birmanie. Ils contrôlent nos ressources, nos marchés. Mais que pouvons nous faire ? "
La Chine fut, en 1988, l’un des premiers pays à reconnaître le régime ; le manque de réaction de la communauté internationale a permis l’intensification de ces relations. Sans le soutient chinois, qui lui a permis de renforcer ses positions, le régime birman se serait très probablement effondré.
En 1988, les deux pays ont signé des accords permettant l’expansion du commerce transfrontalier. En 1989, le gouverneur de la province du Yunnan a conclu, avec le SLORC, onze accords commerciaux dont certains concernaient l’exploitation forestière.
La chine a également permis un important renforcement des forces armées birmanes en leur fournissant du matériel militaire ainsi qu’un entraînement perfectionné. Les ventes de matériel militaire entre 1988 et 1998 furent estimées entre un et deux milliards de $. La majeure partie de ces achats s’est effectuée à des prix dérisoires, sur le mode du troc ou grâce à des prêts sans intérêts. En échange, la Chine a librement étendu sa sphère économique aux zones frontalières puis à l’ensemble du pays. Elle avait cruellement besoin des ressources birmanes pour assurer son développement ; dans ce contexte, les insurgés représentaient un obstacle important à la croissance chinoise. Le rôle tenu par la Chine lors de la signature des accords de cessez le feu n’est pas précisément connu, mais on la soupçonne d’avoir exercé une pression significative sur la KIO, bien que celle-ci s’en défende. De toute évidence et paradoxalement, après l’effondrement du CPB en 1989 et la signatures des accords entre le régime et les insurgés, le commerce transfrontalier entre les deux pays s’est largement développé. Un important afflux de main d’œuvre et de négociants chinois fut également constaté : les estimations varient entre plusieurs centaines de milliers et un million de personnes. Cette immigration massive fut perçue, par de nombreux birmans, comme une invasion s’inscrivant dans la logique d’une prise de contrôle du pays.
Le SPDC est conscient du risque constitué par une trop forte dépendance à la Chine ; son adhésion à l’ASEAN en 1997, fut en quelque sorte, une tentative de rétablir l’équilibre. Le SPDC tente également de créer des liens commerciaux avec la Russie, et de renforcer les liens préexistants avec l’Inde. Même si la Chine semble irritée par ces manœuvres, il sera difficile d’inverser la tendance et d’amoindrir son influence.

2. Une approche colonialiste des échanges

L’importation des ressources birmanes vers la Chine est très rentable : les distances sont limitées, les coûts sont faibles et le recours à la main d’œuvre chinoise est très commode. Les avantages sont multiples : la Birmanie recèle de nombreuses espèces de bois, de très bonne qualité et très bon marché ; de plus, l’importation permet de satisfaire la demande croissante du marché chinois, sans décimer les forêts nationales ; d’autre part, elle permet le développement de l’industrie de traitement du bois (production de fibre de bois, de papier et de meubles) et participe à l’essor économique local ; par ailleurs, la monnaie chinoise est librement utilisable en Birmanie, sans avoir à souffrir les taux de change. Plus prosaïquement, la Chine s’approprie le patrimoine naturel birman à faible coût afin d’assurer sa croissance.
En effet, la Chine possède 4% des réserves forestières mondiales pour 22% de la population mondiale : cela constitue une moyenne de 0,11 hectares par personnes, bien en deçà de la moyenne mondiale qui est de 0,77%. Ses énormes besoins en matières premières ont façonné sa politique à l’égard de la junte birmane et des groupes d’insurgés localisés sur la frontière. La situation présente de nombreuses similitudes avec celle constatée sur la frontière thaïlandaise, mais l’ampleur de la demande du marché chinois la rend encore plus abusive. La population chinoise augmente très rapidement et les modes de consommation évoluent radicalement. En 1998, la valeur totale des importations de bois occupe le premier rang, devant celles du pétrole et de l’acier ; dans ce contexte, la Birmanie, et plus particulièrement l’État Kachin, apparaissent comme des solutions au problème de l’approvisionnement en matières premières. Aucune mention n’est faite des populations locales ou des conséquences environnementales engendrées par ces ponctions. La Chine se comporte sans nul doute comme les empires coloniaux bâtis au 19ème siècle.

3. L’interdiction d’exploiter les forêts chinoises

La stratégie de développement post révolutionnaire eut un sérieux impact sur l’environnement et particulièrement sur les forêts. Entre 1996 et 1998, les inondations, dues à la déforestation et au dépôt de sédiments dans le lit des rivières, ont coûté 36 milliards de $ au gouvernement. La chine tente d’inverser ce processus par d’importants programmes de boisement ainsi que par la mise en place d’une interdiction pour protéger les forêts qui subsistent. Elle perçoit désormais la détérioration de l’environnement comme un frein à son développement économique.
Depuis 1998, l’exploitation forestière est interdite dans 18 provinces chinoises et les autorités déploient tous les moyens possibles pour faire respecter cette nouvelle législation. Cette interdiction s’inscrit dans la logique du Natural Forest Conservation Programme (NFCP) qui a pour objectif de faire diminuer l’extraction de bois de 32 millions de m2 en 1997 à 12millions de m2 en2003. A cet effet, les taxes douanières sur le bois furent abaissées de 50 à 5% pour faciliter l’importation ; en 2001, les importations de bois représentaient 16 millions de m2. Toutefois, le NFCP entraîne des conséquences néfastes pour l’emploi : 1,2 millions de personnes se sont vues privées de leur activité et représentent désormais une source potentielle d’instabilité sociale pour le gouvernement. Les forêts birmanes sont également synonymes d’emploi pour ces travailleurs.
D’autre part, l’interdiction d’exploiter les forêts chinoises représente, pour le SPDC, une bonne opportunité d’augmenter ses revenus. Paradoxalement, les prix pratiqués sont restés très stables et étonnamment faibles, révélant l’importance du soutient politique et militaire apporté par la Chine au régime.
En 1994, la fin des hostilités dans la zone frontalière a permis aux autorités chinoises locales de mettre en place le commerce transfrontalier qu’elles planifiaient depuis les années 1980.
Dans une certaine mesure, l’ouverture des marchés chinois permet à la junte birmane de se refermer un peu plus sur elle même et de continuer à ignorer les incursions de la communauté internationale.


CCL : recommandations faites à la communauté internationale en général, et à la Chine et la Thaïlande en particulier.

La Birmanie a été abandonnée par la communauté internationale : les liens diplomatiques ont été suspendus, des sanctions économiques ont été mises en place (malgré l’implantation de certaines industries occidentales que nous ne citerons pas), et le monde démocratique reste contemplatif face au désarroi de ce précieux pays qui se consume de l’intérieur. La société internationale a abandonné le peuple birman à son histoire, qui depuis 150 ans est jalonnée par les conflits et les exactions en tout genre. La Birmanie, si riche en ressources naturelles, est pauvre en ressources énergétiques et c’est là tout son drame. Quarante ans se sont écoulés depuis la mise en place du régime militaire, et cela fait douze ans que la NLD a gagné les élections nationales : le SPDC reste résolument au pouvoir, grâce au contrôle qu’il exerce sur les ressources naturelles. L’espoir de voir le pays amorcer une transition démocratique ne pourra se concrétiser que lorsque le patrimoine birman sera complètement anéantit, ne permettant aucune forme de développement durable.
Des années d’isolations n’ont pas fait fléchir le régime mais l’ont propulsé vers la Chine et la Thaïlande, deux alliés de poids avides de richesses et peu scrupuleux. Depuis près d’un demi-siècle, le contrôle des ressources naturelles, qui constitue le principal motif des affrontements, fournit aux acteurs du conflit les moyens de leur propre subsistance. Les ambitions politiques de certains groupes d’opposants sont annihilées par la corruption, abandonnant les populations aux exactions qui constituent leur quotidien. Le peuple birman a cruellement besoin du soutient de la communauté internationale qui doit maintenir une pression significative sur le régime.


La communauté internationale doit, pour ce faire :
     *augmenter les montants des aides destinées aux birmans en veillant à ce qu’elles ne soient pas détournées par la junte.
     *apporter un soutient aux ONG birmanes indépendantes, sous forme d’une assistance technique leur permettant d’administrer leurs programmes humanitaires.
     *étudier objectivement l’impact des sanctions mises en place afin de mieux les adapter.
     *prévoir un programme d’assistance à la démobilisation des groupes armés pour permettre une paix durable
     *s’assurer que le bois importé de Birmanie ne finance pas le conflit, ni ne conduise à des atteintes aux droits de l’homme et soit récolté d’une manière raisonnable et soucieuse de l’environnement.
     *rendre les données concernant l’exportation du bois accessibles, lisibles et précises.
     *permettre la réalisation d’études précises concernant le secteur forestier ainsi que les moyens de le protéger et de l’administrer dans le meilleur intérêt du peuple birman, en incluant une consultation publique.
     *assister et encourager tous les groupes de cessez le feu à effectuer des études d’impact social et environnemental pour tous leurs projets de développement et leurs activités commerciales supposant le recours aux ressources naturelles. Un tel procédé devrait associer les populations locales.
     *participer à la reconstruction de la société au niveau local à travers la mise en place de projets éducatifs et de sensibilisation aux questions environnementales.
     *prendre des mesures unilatérales, bilatérales ou multilatérales pour interdire et punir l’importation du bois brut ou traité, finançant le conflit ou issu de l’exploitation illégale. Le pays d’origine devrait être clairement établi.
     *encourager le Conseil de Sécurité des Nations Unies à reconnaître les ressources issues des conflits comme des ressources interdites de commercialisation sur le marché international.
     *assigner des fonds aux projets de conservation et de réhabilitation des forêts chinoises et thaïlandaises sous réserve de la cessation de leurs activités destructrices dans les autres pays.


La paix, la stabilité, le développement durable, et la sécurité environnementale en Birmanie participent aux intérêts de la Chine et de la Thaïlande. Ces deux états devraient jouer un rôle positif et constructif dans le processus de réconciliation national en Birmanie en s’assurant que le développement de leurs économies ne s’effectue pas au détriment des peuples birmans.

La Chine, de son côté, devrait :
     *suspendre immédiatement l’exploitation forestière en Birmanie ainsi que tous les projets de développement supposant l’utilisation des ressources naturelles, jusqu’à ce que les études prévues aient aboutit. Une priorité toute particulière devrait être faite à l’arrêt du projet du N Mai Hku.
     *arrêter l’importation de bois brut et manufacturé en provenance de la frontière.

La Thaïlande devrait également arrêter ses importations.

Par ailleurs, conformément aux engagements pris lors de leur déclaration de septembre 2001 intitulée Forest Law Enforcement and Governance  (exécution et administration des lois sur les forêts) , la Chine et la Thaïlande devraient :
     *jouer un rôle plus actif dans le groupe de travail régional établi pour concrétiser les objectifs de la déclaration FLEG
     *prendre des mesures immédiates pour renforcer la collaboration bilatérale avec le Département des Forêts birman et les administrations forestières des groupes d’insurgés ayant conclu des cessez le feu, afin qu’ils dénoncent toute violation faite aux lois sur les forêts, et particulièrement l’exploitation illégale, le commerce qui y est associé ainsi que la corruption.
     *développer des mécanismes pour faciliter les échanges d’expériences concernant la protection des forêts et les échanges d’informations incluant des données précises.
     *encourager la participation du Département des Forêts birman et des administrations forestières des groupes d’insurgés aux initiatives du FLEG.


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