L’EXPLOITATION DU
TEK EN BIRMANIE: UN CONFLIT D’INTERÊTS
UN RAPPORT DE GLOBAL WITNESS
traduit et adapté par Fanny Guiller pour Info Birmanie
Le texte qui suit est l'adaptation en français d'un rapport de l'ONG anglaise
Global Witness daté d'octobre 2003. Ce rapport a été traduit et adapté à la
demande de Global Witness, dans le but de toucher un public francophone. Le
rapport original est consultable sur le site
http://www.globalwitness.org
sous le titre: "A Conflict Of Interest: The uncertain future of Burma's
forests".
Introduction
Le contrôle des ressources naturelles en Birmanie est la clé du pouvoir.
Le rapport de Global Witness examine dans quelle mesure la junte militaire
a instrumentalisé l’exploitation du tek afin de se maintenir au pouvoir et
de perpétuer son combat contre les opposants au régime. La signature d’accords
de cessez-le-feu avec des groupes d’insurgés en échange de quelques concessions,
les arrangements commerciaux conclus avec la Chine et la Thaïlande, sont autant
de moyens pour la junte de s’octroyer un soutient politique et financier.
Sans ce soutient, elle n’aurait pu faire perdurer la guerre civile et l’oppression
des populations, qui sont les raisons évidentes de son existence, face aux
diverses pressions de la communauté internationale.
En effet les réserves mondiales de tek se situent dans le sud est asiatique
: Birmanie, Thaïlande, Laos, Indonésie et le sud de l’Inde. Néanmoins, 60%
de ces réserves sont en Birmanie qui est le plus grand exportateur, produisant
75% du tek sur le marché international. L’essentiel des forêts de tek est
situé en État Kachin (zone frontalière avec la Chine), en État Karen (zone
frontalière avec la Thaïlande), et dans la division de Pegu, non loin de Rangoun.
Le tek est très recherché pour ses qualités esthétiques, sa solidité
et la facilité avec laquelle il peut être travaillé ; à cet égard il est
l’une des espèces de bois les plus chères. De toute évidence, c’est précisément
la qualité du tek birman ainsi que le monopole d’approvisionnement dont bénéficie
la junte qui a permis à cette industrie d’être particulièrement résistante
aux boycotts et interdictions ; par ailleurs, les compagnies importatrices
de tek sont souvent restées silencieuses quant au pays d’origine de leurs
marchandises.
Historiquement, l’exploitation du tek a joué un rôle de catalyseur dans
les conflits qui ont déchiré le pays. Tout d’abord, la volonté de contrôler
les ressources naturelles birmanes, et en particulier les riches forêts de
tek, fut un facteur décisif dans l’annexion du pays à l’empire britannique
entre 1824 et1885 ; le tek apparaissait alors comme une ressource cruciale,
permettant de maintenir la flotte navale et le réseau de chemin de fer à travers
l’empire. Les Britanniques ont alors mis en place un double système d’administration
: la Birmanie gouvernementale, au centre, qui devint, dans les années 1920
le plus grand exportateur mondial de riz, doté d’une économie très forte
; et les zones frontalières, en périphérie, majoritairement peuplées de minorités
ethniques, et exploitées pour leurs ressources naturelles en échange de peu
d’investissements. Dès lors, les divergences entre les différentes ethnies
ont été amplifiées dans le but de diviser le pays pour mieux le contrôler,
semant ainsi le ressentiment des minorités ethniques, duquel émergera le conflit
dès l’indépendance en 1948.
En 1962, le coup d’état du général Ne Win, instaurant la dictature militaire,
place le pays sous la direction du Burma Socialist Programme Party (BSPP).
Ce dernier est convaincu que les problèmes birmans sont uniquement imputables
aux étrangers et que le pays peut se redresser seul grâce à ses riches ressources
naturelles ; il entraîne alors le pays dans une longue période d’isolation
et nationalise les secteurs clés de l’économie. Pendant vingt ans, le Communist
Party of Burma (CPB) soutenu par la Chine depuis 1968, suivi par le National
Democratic Front (NDF) dans les années 1980, ont combattu pour la création
d’une Union Fédérale de Birmanie, s’appuyant sur le marché noir et l’exploitation
des ressources.
En 1989, suite à l’effondrement du CPB, le SLORC (State Law and Order
Restoration Council) a négocié des accords de cessez le feu avec plusieurs
groupes d’insurgés permettant ainsi à l’armée de se déployer plus facilement
et accentuant la pression sur les autres groupes non-signataires. Ces accords
ont octroyé, aux groupes qui les ont signés, des concessions d’exploitation
en échange d’une certaine coopération avec la junte ; de ces accords résultèrent
de nombreuses tensions entre les groupes d’insurgés, détournant leur attention
de leurs ambitions politiques premières.
C’est à cet égard que le tek birman est qualifié, par les observateurs
internationaux, de ressource de conflit ; c’est-à-dire, une ressource naturelle
dont le commerce nourrit de violents conflits armés et menace la stabilité
nationale ou régionale. En effet, depuis près de deux siècles, l’exploitation
des ressources naturelles birmanes fait office de cause et de moyen d’oppression
des populations (minoritaires ou non), qui, loin de bénéficier des profits
engrangés, sont victimes du travail forcé et des conséquences environnementales
de cette industrie sauvage, afin de prodiguer à la junte les moyens logistiques
pour continuer à les oppresser.
Par ailleurs, en dehors de toute considération politique, les différents
acteurs du conflit, en opérant une exploitation non régulée des forêts de
tek, détruisent de manière irréversible un écosystème incomparable et minimisent
les chances pour la Birmanie de parvenir, après d’éventuels accords de paix,
à un développement durable et donc bénéfique pour les populations.
Toutefois, il est fondamental de comprendre que sans la collaboration
commerciale (licite ou non) et militaire de la Chine et de la Thaïlande, qui
ont elle-même interdit ou régulé l’exploitation de leurs réserves nationales,
cette exploitation serait beaucoup moins fructueuse pour le régime.
I. L’organisation de l’exploitation
A. L’administration des forêts birmanes
Le concept d’un système de gestion des forêts birmanes fut introduit
par l’administration britannique en 1856 dans la région du Pegu Yomas : à
l’époque, le Brandis Selection System, renommé successivement le Burma Selection
System (BBS) puis le Myanmar Selection System(MMS). Le BBS fut créé pour
maintenir la garantie d’un bois de bonne qualité et améliorer la régénération
naturelle des arbres de grande valeur. Les forêts furent alors divisées en
unités de gestion, elles-mêmes divisées en concessions.
Le ministère des forêts (MoF) est responsable en premier lieu de la gestion
et de la politique des forêts en Birmanie et fait autorité sur la conservation
et l’exploitation de ces forêts ; les fonctions ministérielles sont généralement
remplies par des militaires en retraite. Cinq départements sont contrôlés
par le MoF : Forest Department, Myanmar Timber Entreprise (MTE), Dry Zone
Greening Department (DZGD), Planning and Statistics Department, et l’Institute
of Forestry.
Le DZGD s’occupe de la reforestation des forêts dégradées et de la restauration
de l’environnement dans la zone sèche du centre de la Birmanie.
Le Planning and Statistics Department (département des projets et statistiques)
doit coordonner les tâches du DZGD et du Département des Forêts.
L’institut des Forêts, quant à lui, est responsable de l’éducation et de
la formation.
1. Le département des Forêts :
Il est responsable de la protection et de la conservation de la vie sauvage
et de la gestion raisonnable des ressources forestières dans tout le pays.
Il est également responsable, conjointement avec le Département des projets
et des statistiques, de l’organisation et la gestion des forêts ; cela inclus
le calcul de l’AAC (Annual allowable Cuts : la quantité de coupe autorisée
par année) ainsi que la sélection des arbres devant être coupés en priorité.
Par ailleurs, ce département gère la réhabilitation des forêts, met en place
des plantations destinées à la production et veille au respect des zones protégées.
Les agents des forêts sont responsables de l’exécution des lois sur les
forêts, et de la régulation incluant la supervision des récoltes de bois,
la protection des forêts de l’usurpation et du braconnage et la vérification
de la légalité de la marchandise aux passages des frontières.
Le département, est supposé étudier les forêts et recueillir des données
sur tous les arbres d’un certain diamètre, et maintenir la santé des forêts,
par exemple, en coupant les arbres qui empêchent le développement d’espèces
plus recherchées. Les agents doivent estimer le type, la densité et la qualité
des forêts, incluant la vie sauvage et la biodiversité, et envoyer leur rapport
au Conservateur.
En général, les équipes du Département des Forêts sont techniquement compétentes
et travaillent très dur, bien qu’elles soient très peu payées.
2. Myanmar Timber Entreprise :
Théoriquement, le MTE détient le monopole sur la récolte, le traitement
et le commerce du tek ; sa tâche est de couper les arbres sélectionnés par
le Département des Forêts. Néanmoins, le MTE délègue une partie de son travail
à des compagnies d’exploitation privées ; ces contrats très lucratifs sont
le plus souvent conclu avec des compagnies ayant des liens étroits avec la
junte comme les " national entrepreneurs " qui lui apportent un soutient économique
non négligeable.
3. AAC: Annual Allowable Cuts:
La bonne gestion des forêts par le BBS est garantie par la mise en place
de l’AAC, qui n’est autre qu’un quota autorisant l’exploitation annuelle d’une
quantité de bois précisément définie. Ces quotas sont censés permettre une
exploitation raisonnable, soucieuse de l’environnement. Les quantités fixées
sont basées sur les inventaires réalisés par le Département des Forêts mais
toujours supérieures au nombre d’arbres sélectionnés pour la coupe, car elles
prennent en compte les pertes dues à l’extraction qui sont de l’ordre de
25 à 30%. Ces quotas, restés longtemps inchangés ont été révisés en 1996 puis
en 2001.
B. L’économie du tek
1. La situation économique birmane
Pour la junte au pouvoir, la fonction première d’une économie compétitive
est de renforcer sa puissance militaire et sa légitimité politique, et non
pas d’améliorer le bien être de la population. Si la Birmanie fut un temps
le plus grand exportateur mondial d’huile et de riz, son économie s’est considérablement
affaiblie ces dernières années. Elle est désormais caractérisée par un déficit
budgétaire constant de 5 à 6%, un taux d’inflation avoisinant les 28%, et
un cours monétaire surévalué ; la dette totale du pays s’élève aujourd’hui
à 5,9 milliards $. Si l’économie birmane ne s’est pas encore effondrée, cela
tient uniquement au fait que la population vit de la terre à travers une économie
parallèle principalement illégale, comme celle de la production de drogue.
La Birmanie détient le plus faible taux d’industrialisation de tout le sud-est
asiatique (moins de 10% du PIB) . L’économie birmane est donc une économie
agraire : deux tiers de la population vit de l’agriculture (incluant l’exploitation
forestière et la pêche) qui représente 60% du PIB.
L’exploitation forestière est une des principales sources de revenu légales
pour le SPDC (State Peace and Development Council) et représente, pour l’année
2001, 11% des revenus issus de l’exportation (42% en 1989-1990).
2. Le troc
Faute de crédits suffisants, les importations d’armes et autres biens manufacturés
sont souvent réalisées grâce au troc ; par exemple, en 2000, une délégation
s’est rendu à Moscou pour discuter l’acquisition d’un réacteur nucléaire qui
pourrait être troquée contre du tek, du riz ou de l’huile. Par ailleurs, le
troc a également rendu possible l’acquisition récente par la junte de 10
Mig-29 provenant de Russie, ainsi que la conclusion d’un accord avec l’Irak
pour du pétrole (2002).
3. L’exportation illégale
Le Myanmar Central Statistic Organisation (MCSO) enregistre la plupart des
données relatives à l’économie forestière officielle ; les échanges officieux
ne sont évidemment pas pris en compte dans les statistiques. Pour ce faire
une idée de l’importance des exportations officieuses, il faut se référer
aux données d’importation des pays concernés. Par exemple, pour l’année 1999-2000,
les données du MCSO révèlent une exportation de bois de 806,000m2 alors que
les données d’importation établies par les pays limitrophes avoisinent 1,720,000m2,
soit presque le double. La différence, qui représente la quantité d’exportation
illégale, est plus importante que l’exportation légale, et peut être estimé
à 200 millions $.
Il est donc évident qu’une part substantielle des échanges n’est pas enregistrée
par les autorités birmanes. De plus, une proportion importante de ces échanges
n’est pas non plus enregistrée par les pays importateurs comme la Chine. Par
ailleurs, quelques compagnies sont conscientes de la mauvaise publicité que
leur apporterait un lien officiel avec la Birmanie et modifient, sur le papier,
le pays d’origine du bois qu’elles importent.
Selon Global Witness, la moitié du bois qui quitte le pays par bateau est
illégale, malgré les contrôles effectués par les douanes et le département
des forêts ; le bois coupé illégalement et accompagné d’un permis d’exporter
est plus cher, mais moitié moins que celui exporté par le MTE. La plupart
des compagnies opèrent à la fois de manière légale et illégale.
Des mesures énergiques ont été initiées par le SPDC en mai 2000 afin de
contrôler tous les containers destinés à l’exportation ; cet ordre aurait
été donné par le général Khin Nyunt comme une illustration de sa puissance
à l’intention du monde asiatique : plusieurs containers furent saisis temporairement,
puis exportés librement suite au paiement de quelque pot-de vin.
En plus des exportations non enregistrées, de grandes quantités de bois
circulent sur le marché noir national au vu et au su de tous. Le commerce
interne illégal représente au moins la moitié du commerce légal.
Malgré l’existence d’un système d’administration des forêts presque omniprésent,
il est difficile d’estimer précisément les revenus dégagés par le SPDC grâce
à l’exploitation du tek. Si ce dernier se targue de lutter contre le trafic
illégal, la réalité est qu’il en retire un profit non négligeable à travers
les taxes imposées aux postes frontaliers et la collaboration officieuse avec
les compagnies exploitant dans l’illégalité.
II. Le contrôle de l’exploitation du tek : vecteur du conflit
A. Le contrôle effectif au niveau national : moyen de pression de la junte
sur les groupes d’insurgés
1. La réalité du contrôle du SPDC
a. L’application de la loi par le SPDC
L’exploitation réelle dans les zones contrôlées par le SPDC diffère substantiellement
de l’exploitation raisonnable dont il fait état ; il faut comprendre que l’exploitation
légale peut être destructrice, alors que l’exploitation illégale pratiquée
par les populations locales peut être raisonnable et respectueuse de l’écosystème.
La peine encourue pour exploitation illégale de tek est de sept ans d’emprisonnement
en plus d’une amende de 80$ : actuellement, trois villageois purgent une
peine de cinq ans pour avoir coupé du bois pour construire leur maison. Au
même moment, de grandes compagnies se rendent coupables du même crime à l’échelle
industrielle en accord avec la junte, à qui elles reversent une partie de
leurs bénéfices.
De plus, en État Kachin, ainsi que dans les divisions de Pegu et du Tenasserim
les agents du Département des forêts, aidés par la police ou l’armée ont monté
des barrières douanières, afin de collecter des taxes sur les convois de
tek, même s’ils sont apparemment illégaux.
b. Le déclin du Burma Selection System
Les forêts birmanes ont été gérées au regard d’intérêts à court terme, reflétant
les besoins politiques et économiques immédiats du régime et ignorant ainsi
les données fournies par le BBS. Un facteur important de ce déclin est la
faiblesse des moyens politiques et financiers accordés au Département des
Forêts comparé à ceux accordés au MTE. En effet, le Département des forêts
manque de fonds et de personnel et souffre d’un manque de connaissances scientifiques
dû à des décennies d’isolation ; de plus, il est souvent victime de pressions
du MTE et du régime en général qui souhaitent augmenter les exportations.
Allowable annual cuts (AAC)
Jusqu’en 1996, les quotas annuels d’exploitation étaient restés inchangés
depuis trente ans ; ils étaient fondés sur des études locales réalisées dans
les années 1960, généralisées à l’ensemble du pays et sensées garantir une
exploitation raisonnable. Toutefois, comme l’ensemble des réserves du pays
n’était pas accessible à cause de la guerre civile, les quotas nationaux furent
entièrement récoltés dans les seules forêts sous contrôle du SPDC, conduisant
ainsi à une surexploitation locale.
Selon Global Witness, la surexploitation à été institutionnalisée par le
MTE dans certaines régions ; un employé explique que l’exploitation effective
dépasse les objectifs de 20%, sur ordre du MTE.
De plus, le code des récoltes qui fixe le diamètre minimum pour qu’un arbre
puisse être coupé est souvent négligé.
En réalité, l’AAC n’est qu’un repère. Le SPDC fixe lui-même les quotas dans
les districts d’exploitation en fonction des revenus qu’il compte retirer
de l’exportation du tek.
c. L’exploitation contrôlée par le SPDC dans le centre de la Birmanie
L’industrie du tek est caractérisée par la corruption, le clientélisme,
l’illégalité, et les pratiques destructrices à travers l’ensemble de la hiérarchie.
Le SPDC mais aussi l’armée sont impliqués dans le trafique de tek, tandis
que certains entrepreneurs nationaux, en bon terme avec le régime, s’enrichissent
durablement. Les sommes payées aux sous-traitants sont trop faibles pour assumer
leurs coûts de production et les contraignent au trafic illégal pour dégager
le moindre bénéfice ; ils coupent donc plus de tek, gardent la meilleure
production pour leurs échanges et livrent le tek de basse qualité au MTE.
Quelques forêts bien gérées de la division de Pegu sont souvent citées en
exemple par le SPDC. Toutefois, la surexploitation illégale est monnaie courante
dans cette région qui s’est terriblement dégradé ces dernières années. Ces
pratiques sont l’œuvre de villageois qui n’ont pas d’autres alternatives ou
de groupes bien organisés qui travaillent avec l’armée. L’implication des
militaires y est quasi systématique puisque ce sont leurs camions qui transportent
la marchandise illégale issue de cette division, en échange d’une somme assez
conséquente. D’autres agences d’État facilitent ce trafic, comme le Département
des Forêts et la police qui prélèvent des taxes sur les convois. Par ailleurs,
la Thone Pwint Saing Co. Ltd, une compagnie en bon terme avec le régime et
le gouvernement chinois, peut fournir les papiers officiels nécessaires pour
le trafic illégal d’autres compagnies.
d. L’exploitation et l’armée
Certaines forêts, auxquelles les villageois n’auraient jamais touché par
respect pour les esprits, ont été dévastées afin d’y construire des camps
militaires. En effet, tous les niveaux de l’armée sont impliqués dans l’exploitation
forestière de manières différentes (transport pour le trafic illégal, taxation
des convois ou opérations d’exploitation) ; cette implication peut être institutionnalisée
ou motivée par des intérêts personnels. Tous les maillons de la chaîne doivent
participer à cette entreprise afin de permettre à l’armée d’être auto suffisante.
2. Le contrôle des groupes ayant conclu un accord de cessez le feu
a. Les groupes de cessez le feu
Suite à l’effondrement du CPB et à des mutineries de troupes issues de minorités
ethniques contre leurs chefs birmans, le général Khin Nyunt a initié une nouvelle
politique de cessez le feu en 1989. D’après les accords, les groupes ethniques
pouvaient conserver leur territoire et leurs armes mais aucune prérogatives
politiques ne leur étaient concédées. Ces accords eurent un effet désastreux
sur les autres groupes d’insurgés non-signataires qui furent les victimes
d’une pression militaire accrue. Dans les années 1990, des alliances conclues
au sein des groupes ethniques furent rompues afin que chaque branche du groupe
initial puisse conclure ses propres accords.
La nature de ces groupes est très variée : ils ont des capacités et des
motivations différentes et la manière dont ils défendent et représentent
les minorités dont ils sont issus est très variable ; alors que certains
ont établi des services sociaux dans leur zone, d’autre n’ont d’intérêts
que dans le commerce et leur profits personnels.
D’autre part, la nature des accords est également variable : certains groupes,
comme le KDA (Kachin Defence Army), sont devenus des milices reconnues par
le gouvernement et agissent avec son accord, voire son soutient financier.
Ces accords sont considérés par les leaders du SPDC comme leur plus grand
succès. Ils sont considérés par certains comme le premier pas vers la paix,
et par d’autres comme un moyen par lequel le SPDC a monté les groupes les
uns contre les autres. Néanmoins, ces accords n’ont pas mis fin aux exactions
perpétrées contre les minorités qui sont toujours des pratiques répandues
au sein de l’armée et même au sein des groupes eux-mêmes.
b. L’utilisation de ces accords par le SPDC
En général, les groupes ayant signé ces accords s’engagent à ne plus se
procurer d’armes et à ne plus recruter de nouvelles troupes. D’autre part,
le SPDC a encouragé les groupes à s’engager dans des activités commerciales
et a tenté de promouvoir le développement ; une fois les groupes engagés
dans ces diverses activités, ils disposent de moins de temps et de moyens
pour mettre en œuvre leurs visées politiques et promouvoir les droits et
l’autonomie des minorités.
Cessez le feu et commerce
Les leaders des groupes ayant conclu des cessez le feu se sont vu octroyer
toutes les prérogatives dans le domaine commercial, ainsi que des concessions
d’exploitation forestière ou minière, tant qu’ils ne s’engagent pas dans une
activité politique y compris le soutient à la NLD. Le SPDC a tenté de lier
ces activités commerciales à l’économie nationale qu’il contrôle. Par ailleurs
il utilise l’attribution de concessions comme récompense pour les groupes
coopératifs ou la révocation des accords pour punir les récalcitrants. De
cette manière, certains groupes sont devenus des éléments à part entière du
régime.
Tous les groupes impliqués dans les cessez le feu s’engagent dans l’exploitation
; les cas de déforestation les plus sérieux sont constatés dans ces zones.
Au-delà des problèmes environnementaux que cela suscite, la destruction des
forêts prive les groupes non-signataires d’un refuge primordial. Bien qu’ils
soient conscients des conséquences de cette exploitation, la plupart de ces
groupes n’ont pas d’alternative et peu d’expérience dans les domaines de la
gestion et de l’investissement. De plus, les nombreux check points et la
quasi-absence d’infrastructures dans ces zones rendent toute activité commerciale
très difficile.
Cessez le feu et développement
Le SPDC a veillé à associer le développement aux accords de cessez le feu
: la paix entraînera le développement pour les minorités, tandis que le développement
assurera le maintient de la paix. Néanmoins, il faut déterminer la réelle
portée des projets de développement ainsi que leurs véritables motivations.
Le SPDC, en accord avec les négociations des cessez le feu, a mis en place,
en 1989, le " Border Area Development Program " (programme de développement
dans les zones frontalières), qui insiste sur la construction des infrastructures
de base. Cette action améliore considérablement l’image du gouvernement aux
yeux de la communauté internationale et des minorités ethniques. De plus,
beaucoup de groupes justifient leur existence de par leur association à ces
projets de développement.
En réalité, 65% du budget de ce programme est allégué à la construction
de routes ou de ponts alors qu’une très faible part est dévolue à la santé
ou à l’éducation. La construction de ces infrastructures est évidemment destinée
à faciliter le déploiement de l’armée ou le transport de ressources naturelles
vers la capitale ou la Chine.
La question des minorités ethniques fut négligée par la communauté internationale
qui a concentré son attention sur le développement politique dans la capitale.
B. Cas particuliers : le contrôle du trafic dans l'État Karen et dansl'État
Kachin
1. L’État Karen
Selon le KESAN (Karen Environmental and Social Action Network) le régime
militaire birman utilise l’exploitation forestière comme une tactique stratégique
pour éliminer les Karens afin de bénéficier des mines d’or située sur leur
territoire. De nombreuses zones de l’État Karen sont toujours assaillies par
de violents conflits. Les principaux protagonistes sont : la DKBA (Democratic
Karen Buddhist Army) allié au régime, et la KNU (Karen National Union).
L’exploitation forestière est constamment utilisée par le SPDC pour maintenir
l’opposition entre ces deux groupes ; le SPDC promet à la DKBA des accords
commerciaux avec la Thaïlande et le contrôle sur les Karens, si ce dernier
l’assiste dans le processus d’élimination de la KNU ; dans le même temps,
en 1996, le SPDC demandait à la KNU de tuer des soldats de la DKBA qui tentaient
de récolter des taxes sans son accord.
L’exploitation dans l'État Karen est anarchique, il est très difficile de
savoir de quelle manière elle est gérée par les uns et les autres ; néanmoins
il est certain que les accords économiques ont pris le pas sur les alliances
conclues sur les champs de bataille.
a. L’exploitation et la KNU
La KNU, formé en 1947, est le plus grand groupe d’insurgés birmans n’ayant
pas conclu d’accord de cessez le feu. Son économie était fondée sur les échanges
transfrontaliers avec la Thaïlande qui ont pu être utilisés par le SPDC à
des fins stratégiques ; en effet, ces échanges ont contraint la KNU à des
positions fixes faciles à attaquer alors que d’autres zones sont restées sans
défense.
L’exploitation a pu présenter divers avantages pour le SPDC dans sa lutte
contre la KNU : les routes de commerces ont facilité le déploiement de l’armée
tandis que la déforestation a privé la KNU d’un refuge nécessaire.
En théorie, le pouvoir en matière de déforestation est partagé entre le
SPDC et la KNU qui dispose de son propre Département des Forêts avec ses
règles de régulation et de protection des forêts et de la vie sauvage, qui
stipulent que personne n’est autorisé à conduire des opérations d’exploitation
des forêts. Néanmoins, lorsque le SPDC donne son autorisation, les autorités
de la KNU ont peu d’alternative, si ce n’est d’en tirer profit.
L’exploitation est administrée localement, et puisque la KNU n’est pas parvenu
à faire appliquer son interdiction, elle s’est imposé sur le terrain de la
gestion et de la taxation. La situation des villageois est très difficile
car ils doivent payer de multiples taxes à tous les combattants et faire face
au SPDC et à la DKBA qui les enrôlent pour le travail forcé. De plus, ils
encourent de sérieux risques, car l’exploitation, dans cette zone hautement
militarisée, peut aisément conduire à la violence et au meurtre.
b. U Teza et la Htoo Trading Company
La Htoo Company appartient à un riche businessman, U Teza qui entretient
d’étroites relations avec le SPDC et le général Than Shwe en particulier ainsi
qu’avec certains entrepreneurs nationaux ; U Teza est suspecté d’être un
des fournisseurs d’armes et de munitions du régime. Sa compagnie dispose d’intérêts
commerciaux dans la construction de routes, le tourisme et l’agriculture.
Des routes sont construites à travers les champs des villageois, sans compensation,
afin que les camions, de la même compagnie, puissent y transporter les convois
de tek pour le MTE.
La Htoo Company a investit un important capital dans les opérations d’exploitation
qui étaient de faible intensité avant son arrivée. Des routes furent construites
et des équipements très modernes furent introduits dans la région, accélérant
les récoltes de manière significative. En contre partie, des permissions d’exploitations
lui furent concédées dans des zones contestées par la KNU ; pour éviter les
affrontements, ses sous traitants y sont utilisés comme des négociateurs.
Ces sous traitants exécutent la partie la plus difficile du travail mais
sont peu rémunérés ; l’essentiel des bénéfices revient à la compagnie et
au MTE.
c. L’exploitation et la DKBA
La DKBA (Democratic Karen Buddhist Army) est née en 1995, d’une scission
avec la KNU ; pour beaucoup, la raison de cette division, qui n’est pas clairement
établie, est à rechercher dans les divergences entre les dirigeants de la
KNU, majoritairement chrétiens, et certaines de leurs troupes, principalement
bouddhistes. Ce clivage, dirigé par un moine bouddhiste, U Thuzana, fut très
certainement orchestré par le SLORC ; celui-ci promit à la DKBA la possibilité
d’administrer librement les Karens et de mettre en place des échanges transfrontaliers
avec la Thaïlande pour devenir auto suffisante. En échange, la DKBA s’engage
à ramener les réfugiés Karens vivant dans des camps thaïlandais et à assister
le SLORC dans ses offensives contre la KNU. Ainsi, la DKBA est vite devenue
une sorte d’armée de proximité au service du SLORC qui pourvoyait à ses besoins
; toutefois, en 1996, quand le SLORC a arrêté de payer les salaires, la DKBA
s’est engagée, de son propre chef, dans le commerce, licite et illicite. La
majorité de ses revenus provient de l’exploitation forestière et de la contre
bande de biens ; la DKBA a également mis en place des barrières de péage
afin de taxer les villageois sur leur récolte. Les activités lucratives de
la DKBA sont rarement dépourvues d’un partenariat avec des officiers du SPDC.
La plupart des leaders de la DKBA sont engagés dans l’exploitation forestière
et en dégagent un important profit personnel ; la DKBA a hérité de nombreuses
forêts et chantiers d’exploitation qui étaient contrôlées par la KNU avant
les offensives des années 1990. De plus, la DKBA dégage un certain profit
de l’exploitation illicite, en la pratiquant elle-même, en aidant les compagnies
à construire des chantiers dans les zones non-sécurisées ou en transportant
du bois coupé illicitement. Quand les agents du Département des Forêts ont
visité les zones sous contrôle de la DKBA, ils lui ont demandé de fermer certains
chantiers, eu égard au degré de dégradation des forêts ; la DKBA n’en fit
rien, probablement soutenue par le SPDC.
Par ailleurs, de nombreux combattants de la DKBA travaillent pour des compagnies
d’exploitation, et leur fournissent, en plus de la main d’œuvre, la sécurité
contre les attaques ou les taxations de la KNU. Bien que l’essentiel de son
activité soit localisé près de la frontière, la DKBA agit également à l’intérieur
des terres, en accord avec de grandes compagnies comme la Htoo Company.
2. L’État Kachin
Il y a trois groupes d’opposition armée ayant signé des accords de cessez
le feu dans l'État Kachin : la KIO (Kachin Independant Organisation), la NDA(K)
(New Democratic Army), et la KDA (Kachin Defence Army). Parmis ces trois
groupes, la KIO est le plus impliqué sur le terrain politique alors que les
deux autres, décrites comme des milices du gouvernement, sont motivés par
des intérêts économiques ; toutefois, les comportements de ces groupes sont
changeants en fonction des circonstances politiques et économiques. De tels
changements d’orientation n’encouragent pas une gestion responsable, transparente
et durable des ressources.
a. Impact des accords de cessez le feu sur les groupes d’insurgés
Avant ces accords, le contrôle des différents territoires était mal défini
et plutôt changeant, avec plus de zones contestées que de zones clairement
contrôlées. Depuis, la KIO et la NDA(K) se sont vu attribuer des zones de
contrôle spécifiques, les territoires situés en dehors des zones de cessez
le feu restant aux mains du SPDC.
La NDA(K) a obtenu des accords avec le SPDC un degré important d’autonomie
dans ses territoires, alors que les troupes restent largement présentes dans
les zones sous contrôle de la KIA (Kachin Independance Army, bras armé de
la KIO).
La KIA a acquis le droit de s’engager dans des activités commerciales comme
l’agriculture et l’exploitation minière et forestière ; elle se défend toutefois
d’être motivée par des intérêts économiques et assure que ses activités sont
uniquement destinées à faire subsister l’organisation. Néanmoins, le niveau
de taxation dans l'État Kachin, révélateur du degré de militarisation dans
la région, est si élevé que les profits sont difficiles à dégager.
Les accords de cessez le feu ont permis une amélioration de la sécurité
pour les populations, traduite par la diminution du nombre de décès et d’atteintes
aux droits humains telles que le travail forcé, la torture ou le viol ; pour
la première fois en trente ans, des familles ont pu sortir de la jungle et
s’engager dans la culture céréalière. Certaines améliorations ont également
pu être constatées dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la liberté
de mouvement ou des échanges. Toutefois, le travail forcé et les meurtres
sont toujours d'actualité dans l'État Kachin.
Par ailleurs, concernant les ressources naturelles, les accords ont entraîné
un changement dans la nature et l’envergure de l’exploitation ; certains de
ces changements étaient consignés dans les accords eux-mêmes alors que d’autres
ont résulté des conflits de pouvoir entre les groupes et le SPDC.
Les groupes d’insurgés se sont trouvés affaiblis par ces accords qui n’ont
entraîné aucun progrès politique ; le SPDC a opposé à ces groupes le fait
qu’il n’était qu’un gouvernement de transition et qu’il ne disposait pas d’un
mandat lui permettant de conclure des accords ayant une telle portée. Cette
absence de progrès eut, dans certains groupes, un effet désastreux : la discipline
et le sens du devoir ont laissé place à l’opportunisme, la corruption et
l’incompétence. De plus, l’abondance des ressources dans cette région a exacerbé
la situation : bien que la plupart des groupes soient clairement impliqués
dans l’exploitation, peu de revenus intègrent leurs comptes officiels. Une
telle corruption diminue la cohérence du mouvement et instaure la frustration
dans ses rangs ; l’image de la KIO, depuis ces accords, fut gravement entachée,
entraînant une baisse importante de sa popularité.
b. L’exploitation forestière dans l'État Kachin
Les forêts de l’État Kachin sont reconnues comme étant parmi les zones les
plus tempérées, les plus riches et les plus bio diversifiées sur Terre ; elles
sont également les plus dégradées de toute la Birmanie. L’intensité de l’exploitation
augmente avec le nombre de routes qui y sont construites. Toutefois, la phase
la plus importante de l’exploitation s’est tenue avant la signature des accords
en 1987.
L’exploitation par les compagnies chinoises dans l'État Kachin s’organise
de plusieurs manières mais deux méthodes sont prédominantes. La première consiste
à acheter les droits d’exploitation sur une forêt entière pour une période
définie de plusieurs années ; elle conduit souvent à la déforestation totale
de la zone. La seconde consiste en une exploitation sélective ; la compagnie
achète le droit d’extraire, d’une zone précise, une certaine quantité de
bois. Les spécimens les plus précieux en sont extraits. Le SLORC a accordé
des concessions à ces compagnies au fur et à mesure que la KIA perdait du
terrain.
Le contrôle de l’exploitation fut déterminant dans la signature des accords
de cessez le feu entre la KIO et le SPDC ; on ignore dans quelle mesure les
deux organisations se sont entendues sur le partage des profits. Dans les
zones sous contrôle de la KIA, certaines compagnies sont victimes des conflits
de pouvoir entre la KIA et le SPDC, alors que d’autres opèrent sous le contrôle
de l’une ou l’autre des organisations. Dans les zones sous contrôle due la
NDA(K), qui dispose de plus d’autonomie, les compagnies sont rarement inquiétées.
La plupart des forêts situées dans les zones de cessez le feu ont été soumises
à l’exploitation industrielle sans aucun contrôle. Dans ce chaos, certaines
compagnies ont utilisé la confusion à leur avantage alors que d’autres éprouvent
d’importantes difficultés. Le manque de sécurité s’ajoute à l’imprévisibilité
avec laquelle les groupes décident ou non de s’accorder avec les compagnies.
Parfois, les concessions sont annulées et les contrats ne sont pas honorés.
Les méthodes d'exploitation reflètent ce manque de stabilité : les compagnies,
qui tentent de rentabiliser leur investissement le plus vite possible, exploitent
à outrance, le plus rapidement possible, sans se soucier d’une quelconque
régulation. En l’absence de planification, ces forêts décimées, situées sur
des pentes escarpées, se transforment en voies de glissement de terrain et
sont victimes d’une importante érosion. Pour permettre cette exploitation,
500 miles de routes ont été construits dans les seules zones sous contrôle
de la NDA(K), constituant en elle-mêmes une activité destructrice. Certaines
forêts ont été quelque peu protégées de l’exploitation du fait de leur isolement
; néanmoins, la situation va changer avec la construction de trois grands
axes, sous l’impulsion de la KIO, du SPDC et de la NDA(K) en accord avec des
compagnies chinoises, reliant ces forêts aux grandes villes de la région.
c. L’exploitation et la KIO
La KIO a été formé en 1961 par un groupe d’étudiants kachins, pour lutter
contre la discrimination et la marginalisation économique dont ils faisaient
l’objet. La décision du gouvernement de U Nu de déclarer le Bouddhisme comme
religion d’État et de céder plusieurs villages kachins à la Chine lors d‘un
accord de démarcation des frontières fut un facteur décisif. La rébellion
s’est vite propagée et la KIO et sa branche armée, la KIA, ont pris le contrôle
sur de larges zones de l’État Kachin ; la KIA est devenu l’une des plus puissantes
armées d’insurgés de Birmanie. L’arrivée du CPB (Communist Party of Burma)
eut de graves conséquences pour la KIO ; le CPB lui offrit un approvisionnement
en armes s’il acceptait de se placer sous son commandement. Le refus de la
KIO en 1968 a provoqué de violents conflits qui ont duré jusqu’en 1976, lorsque
les deux organisations signèrent un cessez le feu. La même année, la KIO devint
l’un des membres fondateurs du National Democratic Front (NDF), une organisation
alliant des armées d’opposition. Les pour-parlers de paix avec le gouvernement
militaire dans les années 1980 n’ont produit aucun résultat ; en 1994, après
de longues négociations, un accord de cessez le feu est passé avec le SLORC.
Pour la KIO, le développement social, humanitaire et économique apporté par
ces accords conduirait au développement politique et à la réconciliation
; elle espérait que les autres membres du NDF suivraient cet exemple dans
le cadre d’une stratégie de réconciliation nationale. Ce ne fut pas le cas
et la KIO eut beaucoup de mal à exercer une pression politique alors que
les autres groupes continuaient le combat.
La compensation des revenus miniers par les revenus forestiers
Depuis les années 1960, l’économie de la KIO était fondée sur le contrôle
des zones riches en jade, l’exploitation minière et le commerce du jade. En
effet, l’État Kachin est la première source mondiale de jade de qualité. Cependant,
aux vues des réformes économiques introduites en Chine, le commerce de cette
ressource s’est déplacé de la frontière thaïlandaise vers la frontière chinoise
; ainsi, le SLORC a pu augmenter la pression exercée sur les économies d’insurgés
en prenant pour cible les postes de négoce situés sur la frontière. De plus,
à la fin des années 1990, le prix du jade s’est effondré et de nombreuses
concessions minières furent cédées par le SLORC ; la perte du jade comme principale
source de revenu fut une véritable déflagration pour les économies des groupes
d’insurgés. Le manque à gagner fut compensé par l’exploitation forestière
qui fut pratiquée à outrance. L’argument couramment utilisé pour justifier
l’exploitation relève du fatalisme : si eux ne le font pas, d’autres le feront.
Des concessions sont concédées par la KIO à diverses compagnies pour un an,
et les tarifs d’exploitation sont renégociés tous les ans. En plus de l’exploitation
en elle-même, le trafic de tek rapporte à la KIO un revenu important, grâce
aux taxes qu’il prélève aux nombreux check points ; Néanmoins, comme aucun
registre n’est tenu par les différents groupes, il est difficile d’évaluer
la quantité de bois qui transite de l’État Kachin vers la Chine.
Les projets d’énergie hydroélectrique de Dabak et de Mali
En juin 2002, le comité central de la KIO conduisit une étude selon laquelle
une déforestation massive et destructrice était constatée dans l'État Kachin.
La KIO décida alors de protéger la forêt avant qu’elle ne soit complètement
décimée ; cette étude condamnait les exploitants illégaux et les contrebandiers,
responsable de la situation. Les seules exploitations légitimes étaient celles
qui avaient été accordées à la KIO par le gouvernement, afin qu’il puisse
mener à bien ses projets de développement comme la construction de routes
et les projets de développement d’énergie hydroélectrique. Toutefois, on peut
se demander dans quelle mesure l’exploitation légale est moins destructrice
; de même, il n’existe pas de certitude quant au fait que ces projets de développement
soient réellement profitables pour les populations.
Depuis 1997, la KIO est impliquée dans deux projets d’énergie hydroélectriques
afin d’augmenter la production électrique dans l’État: les projets de Mali
Creek et de Dabak River. Ces projets ont pour but de faciliter le développement
en approvisionnant les industries naissantes en énergie ; concernant le commerce
du tek, cela signifie une augmentation des capacités d’exploitation ainsi
que la fabrication de biens manufacturés à base de bois. Néanmoins, il n’est
pas certain que le marché actuel soit prêt à recevoir de tels produits dans
la mesure où la Chine importe principalement du bois brut. De plus, ces projets,
qui ont dû être sujet à une importante corruption, furent financés, à hauteur
de plusieurs millions de $, grâce au trafic de bois; leur valeur en terme
de développement durable est donc contestable à cet égard. Le fait que le
développement soit la motivation des décisions de la KIO est discutable ;
par ailleurs, il n’est pas établi que ces projets de développement aient l’impact
souhaité auprès des populations, et quand bien même, il n’est pas sûr que
ce type de développement parvienne à contre balancer les effets de l’exploitation
à long terme.
.
d. L’exploitation et la NDAK
La NDA(K) s’est séparé de la KIO en 1968 pour rejoindre le CPB et devenir
le CPB War Zone ; dès lors, ses relations avec la KIO furent tendues, conduisant
parfois à des affrontements. Après l’effondrement du CPB en 1989, l’organisation
s’est rebaptisé NDA(K) et a conclu des accords de cessez le feu avec le gouvernement
et devint une milice reconnue par la junte. Sa principale source de revenu
est l’exploitation forestière et minière.
Les concessions d’exploitation sont déléguées aux membres du comité central
qui négocient avec les compagnies ; des concessions leurs sont accordées pour
plusieurs années (souvent pour quinze ans). Selon ces compagnies, pour obtenir
la sécurité de leur exploitation et assurer le transport du bois, elles doivent
verser un payement initial d’environ 300,000$ au département financier de
la NDA(K) ; elles peuvent également acquérir une montagne complète afin d’en
exploiter tout le bois pour un prix situé entre 625,000$ et 1,250,000$.
Actuellement, la NDA(K) pratique une expansion agressive de ses activités
d’exploitation ; cela est évidemment rendu possible par la permission, et
peut être même les encouragements, du SPDC et la coopération des gouvernants
du comté de Tengchong. En effet, la plupart des zones contrôlées par la NDA(K)
ont déjà été exploitées et le comté de Tengchong a besoin de sécuriser de
nouvelles zones d’approvisionnement de bois ; c’est pourquoi ce comté a d’ores
et déjà financé la construction de routes et de ponts dans l'État Kachin.
Beaucoup de territoires de la NDA(K) et de la KIA n’ont pas été formellement
démarqués avant que les concessions d’exploitations furent concédées à des
compagnies par l’un ou l’autre de ces groupes. C’est pourquoi, l’expansion
de la NDA(K) dans les zones d’exploitation créée de nouvelles tensions avec
la KIO ; il ne serait pas étonnant que ceci soit le résultat d’une stratégie
de division menée par le SPDC.
Le SPDC dégage également un profit important de l’exploitation à travers
les nombreuses taxes qui sont levées sur tous les grands axes par les douaniers,
les services de renseignements et d’immigration, et la police.
e. L’exploitation par les villageois
Dans les zones de cessez le feu, de nombreuses forêts peuvent être exploitées
par les villageois ; les chefs de village peuvent négocier directement avec
les compagnies et parfois, les populations locales exploitent elles-mêmes
les forêts et vendent le bois à des négociants chinois. Ces procédés sont
à double tranchant car les villageois n’ont pas toujours les compétences ou
l’expérience requise pour négocier favorablement avec les marchands et les
compagnies. Dans certains cas, les villageois ont passé des arrangements avec
les compagnies, leur concédant le droit d’exploiter leurs terres en échange
de la construction d’écoles, de routes, de maisons ou de systèmes d’approvisionnement
en eau. Toutefois les constructions réalisées dans le cadre de tels accords
sont souvent de mauvaise qualité et tombent en désuétude après une ou deux
années d’utilisation.
Selon les dires de la KIO, les villageois comprennent que, suite à la perte
des mines de jade, sa seule source de revenu est l’exploitation forestière.
Toutefois, l’exploitation par la KIO est une importante source de ressentiment
de la part des villageois ; ils considèrent la KIO comme étant aussi corrompu
que le régime militaire et faisant aussi peu de cas du sort des populations:
si des taxes leur sont payées, les concessions sont largement attribuées aux
grandes compagnies, au détriment des villageois. De plus, la KIO organise
la protection de ces concessions contre les éventuelles revendications ou
agressions des populations locales.
Dans les zones sous contrôle de la NDA(K), les négociations entre les compagnies
et les villageois ne concernent que les compensations dans la mesure où les
concessions ont déjà été attribuées par la NDA(K), sans le consentement des
populations. Par ailleurs, la NDA(K) pratique une politique de déplacement
des villageois vers de plus grands villages situés dans les vallées ; en plus
de faciliter l’exploitation, cette politique apparaît comme une sérieuse méthode
de contrôle social.
f. Le projet du N’Mai Hku
Le projet du N’Mai Hku est situé sur le pan ouest des montagnes de Gaoligongshan.
Les deux zones qui encadrent celle du N’Mai Hku sont parmis les plus riches
et les plus menacées du monde: l’Indo-Birmanie et le sud de la Chine ; l’Académie
des sciences de Californie a reconnu cette zone comme l’une des plus bio diversifiée
de la planète, ce qui explique qu’une grande proportion des pans chinois
de ces montagnes soit protégée par deux réserves naturelles. Concernant les
ressources minières, la zone est riche en or, en zinc, en argent, en plomb
; certains pensent que le fer, le cuivre, le néphrite et l’uranium sont également
présents. Ce terrain est très escarpé et n’a jamais été l’objet d’une exploitation
étendue et outrageuse.
Ce projet combine des opérations d’exploitation minière et forestière qui
couvrent l’ensemble de la zone. Les études et les planifications concernant
le projet se sont tenues il y a au moins sept ans ; toutefois, les observateurs
craignent que les compagnies appliquent la méthode dite du nettoyage, qui
consiste à couper tous les arbres d’une zone précise. L’exploitation devrait
s’étaler sur une dizaine d’année.
Les origines de ce projet sont à rechercher dans des négociations qui se
sont tenues au début des années 1990 entre la KIO et le Département des Forêts
de la province du Yunnan. Il est difficile de déterminer pour quelle raison
la KIO s’est retrouvée impliquée dans ce projet ; on suggère qu’elle donna
son aval au projet en échange d’une aide pour le financement d’un autre projet
: celui de Dabak. Selon une source proche de la KIO, celui-ci aurait perçu
1,250,000$ de la part d’une compagnie chinoise impliquée. Le projet est le
résultat de négociations entre un petit groupe, représentant les insurgés
(KIO,NDA(K)), et les représentants d’intérêts privés ou d’intérêts d’État
pour la Chine et la Malaisie. Il n’y eut que peu ou pas de consultations publiques
sur ce projet dans l'État Kachin et la KIO ne fut que peu conviée aux réunions
de discussion. Cependant, il est certain que les compagnies chinoises n’auraient
pas investit dans ce projet sans l’accord du SPDC. Les observateurs pensent
à juste titre que la KIO, de son côté, s’est vu accorder par le SPDC la permission
d’exploiter cette zone afin de compenser la perte des mines de jade et d’honorer
son plan de développement des zones frontalières.
En 2001, le projet était encore balbutiant et l’activité était encore limitée
à la construction de routes ; toutefois, en 2003, un pont de 150 mètres fut
inauguré au-dessus de la rivière Salween alors que le réseau routier est déjà
bien étendu.
Les ressources naturelles sont directement transportées vers la Chine, ce
qui explique la construction du réseau routier depuis la Chine jusque dans
l'État Kachin et le renforcement du réseau chinois préexistant. Le terrain
étant très escarpé, la construction de routes constitue un investissement
conséquent qui dépasse largement les cinq millions de $.
Il existe seize villages dans cette zone, regroupant environ 3 500 personnes
; ces populations vont perdre leurs terres, leur accès aux ressources forestières
et aux cours d’eau qui sont envasés. Le projet est d’ores et déjà une source
de mécontentement pour les villageois qui ne retirent aucun avantage du réseau
routier comme on le leur avait promis. Des plaintes ont donc été adressées
au SPDC : les compagnies ont été contraintes de financer une route reliant
les villages et les axes d’exploitation. Étrangement, les villageois semblent
disposer de plus de voies de recours auprès du SPDC qu’auprès de la KIA (Kachin
Independent Army).
Les conséquences environnementales d’un tel projet sont sans précédent.
III. Les conséquences désastreuses de l’exploitation
A. Les conséquences humaines
1. Le travail forcé
Le régime birman est connu pour son recours au travail forcé ; les menaces,
l’intimidation, le vol, la violence, la torture, le viol et le meurtre sont
autant de moyens pour la junte de contraindre les populations à travailler
pour elle. Jusque récemment, le travail forcé était légal en Birmanie, en
référence au Towns and Village Acts mis en place par l’administration britannique
en 1907. Sous la pression de la communauté internationale, le SPDC prit une
ordonnance en mai 1999 (ord. 1/99) afin d’abroger la loi de 1907 ; le travail
forcé est désormais interdit en Birmanie, hors situation d’urgence. Tout est
dit.
Malgré cette interdiction, la pratique en question reste si répandue qu’en
juin 2000, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) condamne la Birmanie
pour ses violations de la Convention Internationale sur le Travail Forcé ;
l’OIT a accusé le SPDC de violation systématique des droits humains contre
les minorités ethniques aggravée par le recours au travail forcé. Malgré la
condamnation par l’OIT et les prétendues mesures prises par le SPDC, les atteintes
restent sérieuses, en particulier dans les zones frontalières.
Un rapport de l’OIT de novembre 2001 formule diverses observations :
*La volonté politique proclamée par le régime d’abolir le
travail forcé semble être en contradiction avec des considérations fondamentales
comme la consolidation de l’unité du pays ou la sauvegarde de son intégrité
territoriale. Dans la logique de la junte, le travail forcé, en l’absence
de moyens alternatifs, apparaît comme la méthode la plus évidente pour atteindre
son objectif ; de plus, il est utilisé comme un outil de répression ou de
discrimination contre les villageois suspectés de sympathiser avec les groupes
ethniques d’insurgés. Le recours au travail forcé, dans des conditions cruelles,
ne risque pas seulement de créer des dommages irréversibles dans les relations
entre la majorité birmane et les minorités ethniques, mais risque également
d’exacerber la situation de division que les autorités tentent d’éviter. Le
fait que le régime ne puisse pas financer son armée est un obstacle majeur
à l’éradication du travail forcé utilisé pour dégager plus de profit. De plus,
les soldats sont souvent engagés dans des activités économiques pour lesquelles
ils n’ont pas les compétences nécessaires ; ils ont donc recours au travail
forcé des villageois pour exercer leurs activités à leur place.
*Les progrès économiques et la modernisation sont les clés
de l’élimination du travail forcé. Cela pourrait entre autre, apporter des
emplois alternatifs et viables pour les trop nombreux soldats.
*Cependant, tout relâchement de la pression internationale
risquerait d’affaiblir la volonté du SPDC de mettre en œuvre les changements
fondamentaux nécessaires à assurer le respect des droits les plus élémentaires
ainsi que la liberté et la dignité de toutes les populations et groupes ethniques
du pays.
Un problème particulier fut identifié par un rapport de l’ONU : il n’existe
pas de mécanisme judiciaire indépendant pour juger des violations de l’ordonnance
1/99 interdisant le recours au travail forcé. Du fait de cette carence, adjointe
au manque de confiance dans le système judiciaire birman, aucun cas de travail
forcé ne fut porté devant les tribunaux, à la date du 10 janvier 2002.
Pour la population birmane, les conséquences de l’implication de l’armée
dans l’exploitation forestière sont nombreuses. Les villageois sont forcés
à couper, traiter et transporter le bois, mais sont également sollicités pour
entretenir les routes d’exploitation et les camps militaires, ainsi que pour
replanter les arbres afin d’assurer une future exploitation commerciale par
les militaires.
Les villageois ne sont pas uniquement contraints de voir leurs terres occupées
de force et leurs ressources volées ; ils doivent également fournir la nourriture
et les outils nécessaires à l’exploitation. Le travail est dur et dangereux
et l’inexpérience, le faible niveau des procédures de sécurité, et les mauvaises
conditions de travail conduisent souvent à la fatalité : de nombreuses personnes
meurent, écrasées lorsque les arbres sont abattus ou tombent des camions.
L’exploitation nécessite un réseau routier en bon état ; les villageois,
femmes enceintes, enfants et vieillards, sont contraints de construire de
nouvelles routes, réhabiliter les anciennes, et entretenir celles qui sont
déjà utilisées.
Par ailleurs, les fermiers contraints au travail forcé par l’armée, ne peuvent
plus assurer leur propre récolte, destinée à garantir leur subsistance. Le
temps passé sur les chantiers militaires les conduit indubitablement vers
plus de pauvreté, puisqu’ils ne perçoivent aucun salaire.
De plus, les habitants locaux sont fréquemment déplacés en dehors des zones
d’exploitation où leurs maisons sont détruites. Lorsqu’ils sont enrôlés pour
la construction de camps militaires, les villageois doivent couper certaines
quantité de bois pour bâtir les baraquements ; s’ils n’y parviennent pas,
ils doivent acheter les quantités manquantes.
Toutefois, les villageois ne sont pas seulement exploités par le SPDC ;
ils doivent également pourvoir aux besoins des groupes d’insurgés ayant conclu
des cessez le feu avec le gouvernement et peu soucieux du sort des populations
qu’ils sont sensés représenter.
2. Le trafic d’opium
La plupart des villages souffrent d’un mauvais accès aux villes avoisinantes,
ce qui signifie un mauvais accès aux services ainsi qu’à la possibilité de
commercer. Pendant la saison des pluies, la majorité des villages n’est accessible
qu’à pied. Très peu sont pourvu d’un système d’approvisionnement en eau ou
d’infrastructures nécessaires à la santé, l’éducation ou le développement
de l’agriculture. Les ménages sont très pauvres et pour la majorité d’entre
eux souffrent d’un manque de nourriture équivalent à des réserves de 4 à 8
mois. Pour ces raisons, les villageois cultivent l’opium.
L’opium a longtemps été cultivé dans le Nord de la Birmanie, dans un but
médical. Sous le régime colonial, les Britanniques ont introduit la culture
de l’opium à grande échelle et le commerce international de cette plante dont
la Birmanie est devenue le principal carrefour. Après la Seconde Guerre Mondiale,
la CIA a étendu cette culture afin de soutenir le Kuomintang chinois dans
l'État Shan. L’opium a joué un rôle essentiel dans l’économie des groupes
d’insurgés dans le Nord birman : La nécessité ne connaît pas de loi. Dans
les années 1980, le commerce d’héroïne a connu, en même temps que l’exploitation
forestière, une expansion rapide. La Birmanie est aujourd’hui le second exportateur
mondial d’héroïne, derrière l’Afghanistan. Le commerce d’opiacé est lié au
conflit, à l’expansion du virus du SIDA et au crime organisé.
L’exploitation forestière sur la frontière sino-birmane, la production d’opium
et le trafic d’héroïne sont inextricablement liés et similaires à différents
égards. Le trafic de drogue a pu fournir à certains négociants les fonds nécessaires
pour investir dans l’exploitation forestière ; par ailleurs, l’exploitation
est souvent utilisée par les trafiquants pour blanchir l’argent de la drogue.
Parfois même, les troncs d’arbres sont vidés et remplis avec de l’héroïne
avant d’être exportés vers la Chine ou l’Inde.
D’autre part, drogue et exploitation sont liées dans le sens où les autorités
chinoises ont fait la promotion de l’exploitation forestière comme étant un
potentiel revenu de substitution à la culture de l’opium. Cette politique
a conduit à la déforestation et à la destruction de l’environnement. Sécheresses,
inondations et glissements de terrains ont entraîné l’appauvrissement des
populations, qui, pour subsister, ont augmenté la production d’opium. Une
telle approche aurait pu être constructive, si l’exploitation s’était inscrite
dans une logique de développement durable. Au contraire, les projets d’éradication
de la drogue ont servi à justifier et à légitimer l’exploitation forestière
de grande envergure en particulier dans la région Wa ainsi que dans l'État
Kachin.
3. Les mines anti-personnelles dans l'État Karen
Les conditions dans lesquelles les villageois sont contraints de travailler
sont hasardeuses. L’exploitation en terrain miné n’est pas rare. Les mines
anti-personnel sont utilisées par tous les acteurs du conflit pour empêcher
les mouvements de troupes ennemies, pour bloquer les routes d’approvisionnement
ou les itinéraires de repli, pour défendre les positions ou encore pour empêcher
les villageois déplacés par l’armée de retourner sur leurs terres. En 1999,
il y eut plus de personnes victimes des mines dans l'État Karen que dans l’ensemble
du Cambodge, le pays le plus miné au monde.
Cependant, l’utilisation des mines n’est pas réduite à des fins militaires.
Un déserteur de la DKBA a décrit comment ce groupe utilise les mines pour
protéger ses opérations d’exploitation ; ces allégations furent largement
corroborées par Nonviolence International. En effet, dans les zones sous contrôle
de la DKBA, comme dans l’ensemble de l’État Karen, les mines sont souvent
utilisées pour contrôler les régions destinées à l’exploitation ; elles sont
utilisées pour démarquer les concessions, pour empêcher toute exploitation
sauvage, et pour empêcher la KNU de taxer ou de déranger les compagnies à
l’œuvre.
Dans certains cas, des négociants thaïlandais emploient des soldats pour
poser des mines ; la pose des mines par les combattants de la DKBA fait partie
des services rendus aux compagnies d’exploitation en terme de sécurité. Les
négociant thaïlandais fournissent les explosifs et les détonateurs. La ma
chine est bien huilée.
Si les mines tuent des militaires et des civils, elles ont aussi un impact
important sur la vie des populations en restreignant leur accès aux ressources
forestières et en diminuant de manière significative la vie sauvage dans les
forêts.
L’ironie du sort veut que dans certains cas, les profits dégagés par l’exploitation
forestière soient utilisés par le SPDC pour assister les soldats handicapés,
victimes de mines anti-personnel.
4. La résurgence du HIV dans l'État Kachin
Il existe une importante corrélation entre le nombre de personnes infectées
par le HIV et la présence des industries d’extraction, forestière ou minière,
en particulier sur la frontière sino-birmane.
En effet, la plupart des compagnies exploitant cette zone emploient des
travailleurs migrants et saisonniers qui participent à la propagation de
l’épidémie. Les conditions de travail sont très dures et nombreux sont les
travailleurs qui utilisent la drogue comme échappatoire. La consommation
est en perpétuelle augmentation, dans la mesure où la drogue est facile d’accès
dans cette région ; elle tend à devenir une pratique commune de plus en plus
répandue pour les populations locales. Conjuguée au manque de prévention
et de seringue propre, cette pratique constitue un terrain fertile pour l’expansion
du virus.
Par ailleurs, les travailleurs migrants sont souvent de jeunes hommes célibataires
ou mariés, vivant loin de leur foyer ; l’industrie du sexe, attirée par les
nombreux clients potentiels, a pu largement proliférer dans cette zone. Les
villes frontalières chinoises abritent de nombreuses prostituées au service
de l’industrie de l’exploitation ; elles sont très peu informées sur les risques
liés à l’exercice de leur activité et sont souvent appelées à se déplacer
d’une ville à l’autre.
B. Les conséquences environnementales
Le paysage birman est composé de zones tempérées (25%) et tropicales (75%).
La Birmanie compte parmis les pays les plus bio diversifiés du monde, abritant
de nombreuses espèces végétales et animales particulièrement rares.
1. La déforestation
Malgré l’exploitation outrancière des forêts birmanes, celles ci restent
les plus fournies et les plus denses de toute l’Asie du sud-est ; néanmoins,
il faut prendre en compte la qualité décroissante de ces forêts ainsi que
les sérieux cas de déforestation au niveau local. En effet, le calcul du taux
de déforestation peut être effectué de manière très subjective et instrumentalisé
par les gouvernants pour fausser les données du problème ; ainsi, les estimations
de ce taux peuvent varier du simple au double. La FAO (Food and Agriculture
Organisation) estime les pertes forestières à 1,4% par an, ce qui représente
le taux de déforestation le plus important d’Asie du sud-est (avec les Philippines)
qui est la région qui détient le taux le plus élevé du monde. De son côté,
le Département des Forêts birman estime ce taux à 0,3% par an ; des résultats
locaux ont été extrapolés à l’ensemble du pays, ne reflétant pas fidèlement
la situation générale. D’autre part, les études menées ont souvent confondu
des changements saisonniers avec des changements permanents. De plus, les
chiffres de la déforestation prennent en compte les forêts définitivement
perdues et non celles qui sont gravement dégradées. Enfin, ces chiffres reflètent
une moyenne entre les forêts détruites et celles qui sont replantées et qui
sont souvent d’une qualité largement inférieure aux précédentes. Il est donc
très difficile d’évaluer le taux de destruction des forêts birmanes et dans
quelle mesure le seuil d’irréversibilité est ou non atteint.
2. Inondations, feux de forêt et autres conséquences
La terre, l’eau, les forêts et le climat constituent les premières ressources
d’un Etat ; si les forêts sont détruites, la terre et l’eau seront dégradées,
entraînant d’importants changements climatiques. Les forêts sont donc la base
de tout écosystème. La Birmanie souffre aujourd’hui des nombreuses conséquences
de la déforestation dont elle fait l’objet.
En État Karen de nombreux villageois vivent de la culture d’arbres fruitiers
; or, à cause de l’exploitation forestière, le climat a beaucoup changé, entraînant
une importante diminution des chutes de pluie ; la culture y est donc plus
difficile et moins fructueuse.
Dans la zone du N Mai Hku, comme dans les autres zones montagneuses, l’exploitation
des terrains escarpés entraîne d’importants glissements de terrain ainsi que
l’envasement de nombreux cours d’eau.
Par ailleurs, dans l’ensemble du pays, les populations sont confrontées
à des feux de forêts de plus en plus nombreux et de plus en plus graves,
dus aux arbres et aux branchages abandonnés par les exploitants. De même,
on a constaté une augmentation significative du nombre d’inondations, causées
par la destruction des digues naturelles. Toutes les conséquences de la déforestation
constituent en elles-mêmes des atteintes à l’environnement et participent
à la destruction de la vie animale et sauvage en général.
La perspective d’un développement durable et équitable étant complètement
absente des processus d’exploitation. Les états qui prônent habituellement
ce type de développement sont en général peu regardant quant à l’origine des
ressources qu’ils importent ; c’est précisément le cas de la Chine et de
la Thaïlande qui ont imposé, sur leur territoire, des mesures drastiques de
protection des réserves naturelles. Pourtant, les préoccupations environnementales
ne connaissent pas de frontières.
IV. La responsabilité Sino-Thaïlandaise : une collaboration indispensable
A. Les relations diplomatiques avec la Thaïlande
La Thaïlande et la Birmanie partagent une frontière de 2400 km qui, jusqu’à
très récemment était principalement sous le contrôle du gouvernement birman.
Les relations entre les gouvernements des deux pays ont parfois été instables,
reflétant les antagonismes historiques ou les tensions dues aux politiques
frontalières locales. La tolérance, voire le soutient, du gouvernement thaïlandais
à l’égard de certains groupes d’insurgés, fut, dans les dernières décennies,
un point particulièrement sensible des relations entre les deux états.
1. Les conflits frontaliers
Le problème fut aggravé par la mauvaise démarcation de la frontière, qui
conduisit à des conflits frontaliers entraînant d’importants afflux de réfugiés
birmans vers la Thaïlande. En 2002, la frontière devint particulièrement instable
à cause d’un regain de violence dans le conflit opposant l’armée birmane
et les groupes d’opposition armés Shan et Karen ; les relations bilatérales
entre les deux pays ont alors atteint leur niveau le plus bas.
Plusieurs groupes d’insurgés contrôlent certaines parties de la frontière
dans le sud de l’État Shan. Après la rébellion pro-démocratique de 1988, les
zones frontalières libérées étaient contrôlées par les insurgés et servaient
de base à l’opposition démocratique. Entre 1975 et 1995, les quartiers généraux
de la KNU, situés dans cette zone, furent également ceux de la Democratic
Alliance of Burma et du National Council Union of Burma.
Parmi les douze groupes d’insurgés qui n’ont pas signé d’accords de cessez
le feu, sept sont basés le long de la frontière thaïlandaise ; les plus importants
sont la KNU, le Karenni National Progressive Party (KNPP) et la Shan State
Army - South (SSA-S). Il existe deux zones de conflit, l’une sur la frontière
avec l’État Shan et l’autre sur la frontière avec l’État Karen.
Depuis les années 1960, le contrôle du trafic illicite de bois et de drogue
est un important facteur du conflit frontalier. Par ailleurs, la cause du
ressentiment de la junte pour la Thaïlande est à rechercher dans les relations
que celle-ci a pu entretenir avec des groupes d’insurgés comme la KNU ou la
SSA-S. Ces dernières années, plusieurs articles du New Light of Myanmar ont
accusé la Thaïlande d’avoir encouragé et donné refuge à des groupes d’opposants
pour des raisons commerciales (importations de ressources à bas prix, contre
bande, vente d’armes etc.). De toute évidence, les prérogatives économiques
ne sont pas complètement étrangères à ces conflits, mais les bénéficiaires
sont présents dans tous les camps.
Néanmoins, les raisons de ce soutient apparaissent comme étant également
stratégiques ; la Thaïlande aurait utilisé les groupes d’opposants armés comme
une infanterie légère permettant d’éviter les affrontements directs entre
les deux armées nationales. A cet effet, les zones contrôlées par ces groupes
ont fait office de zones tampons entre les deux états, moyennant un soutient
logistique et une zone de repli pourvus par la Thaïlande.
2. La gestion diplomatique des ressources
Les concessions d’exploitation accordées à la Thaïlande par le SLORC en
1988 sont révélatrice de la manière dont la junte utilise les matières premières
birmanes pour manipuler ses voisins. Le contrôle des ressources naturelles
eut une forte influence sur les orientations diplomatiques de la Thaïlande
à l’égard du régime birman. Le SPDC a parfois fermé les frontières pour envoyer
un message fort à Bangkok à travers les puissants lobbies commerciaux dans
lesquels sont engagés certains politiciens. Cette gestion diplomatique des
ressources fut plus ou moins efficace selon le gouvernement au pouvoir.
Depuis les années 1980, il y eut un changement de la position thaïlandaise
sur la question du commerce transfrontalier, qui auparavant intégrait volontiers
la participation des groupes d’insurgés ; désormais, il tend à se formaliser
de plus en plus et les relations commerciales deviennent inter-gouvernementales
ou mettent en avant les grandes entreprises de chaque état, excluant les groupes
ethniques. Ce retournement de situation a coïncidé avec la montée en puissance
des lobbies économiques dans la politique thaïlandaise et leur volonté de
tirer profit des ressources birmanes. De nombreuses fortunes politiques furent
bâties sur l’exploitation de ces ressources.
Le 14 décembre 1988 au lendemain de la révolte démocratique, la visite officielle
du général Chavalit, qui était à l’époque le commandant en chef des forces
armées thaïlandaises, eut une importante portée politique. Le général fut
le premier dignitaire étranger à se rendre en Birmanie après le développement
de la situation ; à la suite de cette visite, 47 concessions furent accordées
à 35 compagnies thaïlandaises, engageant le processus d’une grande exploitation
sur la frontière.
En janvier 1989, suite à une série de catastrophes naturelles dues à l’exploitation,
le Premier ministre thaïlandais annonça une interdiction d’exploiter les forêts
; le gouvernement assura qu’il allait augmenter les importations de Birmanie
et du Laos afin de compenser le manque de matière première. En mai 1989,
le général Than Shwe, lors d’une visite officielle, fit part au Premier ministre
thaïlandais de sa volonté de nettoyer les frontières pour plus de sécurité
et ainsi assurer un meilleur bénéfice mutuel du commerce bilatéral. Peu après,
lors de manœuvres nocturnes, les troupes birmanes ont pu traverser la frontière
thaïlandaise afin de prendre les insurgés à revers.
La coopération économique entre les deux pays a été formalisée par la formation
de la Thaï-Burmese Cultural an Economic Association ; en novembre 2002,cette
association fut concrétisée par l’annonce de quatre grands projets menés par
des compagnies thaïlandaises en Birmanie comme un barrage hydroélectrique
sur la rivière de Salween ou une importante mine de charbon dans la division
de Tenasserim. Le Premier ministre thaïlandais, M Chavalit, a déclaré : "
Le développement associé participera à l’ouverture des zones frontalières
et soutiendra l’élimination des mauvais peuples, des peuples minoritaires,
des mauvaises choses cachées le long de la frontière et assurera une meilleure
sécurité. "Il poursuivit : " Je suis certain que la Thaïlande et la Birmanie
seront des amis pour toujours. "
3. L’exploitation thaïlandaise en Birmanie
L’exploitation frontalière n’aurait pas pu se mettre en place sans la participation
des groupes d’insurgés ; ainsi, les accords commerciaux concernant l’exploitation
forestière ont pris quatre formes différentes selon les participants : Le
gouvernement thaïlandais, le gouvernement birman, les compagnies thaïlandaises
et les groupes d’insurgés. Même si Rangoun accorde des concessions, les compagnies
doivent négocier avec les insurgés pour opérer en sécurité.
L’exploitation dans les territoires de la KNU
Les prises et reprises de territoire dans l'État Karen, par la KNU et le
SPDC, sont plus souvent liées au contrôle de l’exploitation forestière qu’à
la question de l’autonomie des Karens.
En 1989, le général Bo Mya déclara que les compagnies thaïlandaises d’exploitation
ne seraient pas autorisées à opérer tant que leurs accords avec le SLORC ne
seraient pas annulés et remplacés par des accords conclus avec la KNU. La
KNU voulait en premier lieu renforcer son contrôle sur les ressources de
la région, mais également empêcher les compagnies de renseigner le SLORC sur
ses mouvements de troupes. De plus en contrôlant l’accès aux ressources, la
KNU pouvait semer le trouble entre les différentes compagnies auxquelles étaient
liés certains politiciens qui souhaitaient annihiler la KNU et d’autres groupes
d’insurgés basés sur la frontière. La KNU a même menacé d’empêcher toute
exploitation dans ces territoires mais elle fut rappelée à l’ordre par le
gouvernement thaïlandais qui le menaça à son tour de fermer les frontières,
le privant ainsi d’une importante source d’approvisionnement. Cet événement
rappela à la KNU que son futur était inextricablement lié aux intérêts politiques
et commerciaux de ses voisins.
L’exploitation sur la frontière
En 1993,le SLORC annonça que les concessions thaïlandaises seraient annulées
à la fin de l’année, du fait de leur effet déplorable sur l’environnement
; toutefois, il était clair que les insurgés parvenaient à retirer un bénéfice
satisfaisant de ces concessions et que certaines compagnies leur fournissaient
armes et approvisionnement en tout genre. Ces concessions ont apporté au SLORC
des bénéfices économiques, politiques et stratégiques au moment où il en
avait le plus besoin ; depuis 1988, la situation a changé et le SLORC pouvait
se priver de ces bénéfices. Il est vrai que lorsque les concessions furent
accordées, les compagnies ont tiré profit du manque de contrôle du SPDC et
du chaos général sévissant sur les frontières.
L’exploitation illégale est une pratique très répandue en Thaïlande ; le
bois transite par la Birmanie puis repasse la frontière par les voies classiques
de l’importation. Pour faire face à cette exploitation illicite, le gouvernement
thaïlandais introduisit, en 1998, une interdiction d’importer le bois. Cependant,
les négociants thaïlandais ont continué leurs activités transfrontalières
avec le soutient de l’armée.
Le commerce de meubles entre les deux pays existe depuis les années 1970
; en 1999, une tentative de légalisation est intervenue, en autorisant l’importation
de meubles faits de bois rares à travers 15 points de passage transfrontaliers.
Le Département des Forêts thaïlandais s’est justifié en déclarant qu’il tentait
d’amoindrir la contrebande mais cette mesure eut l’effet inverse.
Ce trafic transfrontalier est problématique pour la Thaïlande car il exacerbe
l’exploitation illégale dans ces forêts et augmente l’instabilité de ses frontières,
en particulier à cause de l’implication de la DKBA.
4. Furniture Import Ban (interdiction des importations de meubles)
En décembre 2001, le chef des armées thaïlandaises a déclaré que les bois,
les bois traités et les meubles importés de Birmanie par les négociants n’avaient
pas de certificats authentifiant leur origine et étaient par conséquent illégaux.
Il continua en insistant sur le fait que les autorités thaïlandaises ne devaient
plus permettre de telles pratiques au risque de provoquer des conflits frontaliers.
Le 7 novembre 2001, la Thaïlande avait interdit l’importation de meubles
ans la province de Tak ; cette mesure fut accompagnée de plusieurs saisies
effectuées par la police locale. Cependant, en décembre 2001, Global Witness
a pu constater que les soldats postés aux check points facilitaient toujours
ce trafic ;en fait, ces mesures ont entraîné la corruption de nombreux officiers
qui ont pu, dès lors, augmenter les taxes levées sur ces produits illégaux.
Le traitement illicite du bois se fait également en Thaïlande ; le directeur
général de la RTFD (Royal Thaï Forest Department) a tenté de s’attaquer aux
chantiers illégaux tout en dénonçant le laxisme des officiers locaux. Le problème
est que la corruption provient également des hautes autorités.
La Forest Industry Organisation (FIO)contribue aussi à cette exploitation
illégale ; en effet, les processus de saisie sont notoirement illusoires :
les forêts sont exploitées illégalement, les populations locales sont accusées,
la FIO confisque le bois pour ensuite le revendre à des négociants procédant
dans l’illégalité. Étrangement, l’exploitation illégale peut avoir de graves
conséquences pour les personnes qui ne sont pas protégées par un statut officiel
; en avril 2002, deux villageois furent abattus par des soldats alors qu’ils
coupaient du bois pour leurs besoins domestiques.
D’autres imminentes personnalités sont impliquées dans ce trafic, comme
Sia Hook (de son vrai nom Sunthorn Ratsameeruekset) un politicien très influent
qui possède plusieurs chantiers d’exploitation et qui est également impliqué
dans des affaires de meurtre et de trafic de drogue. Il est un allié précieux
du régime birman à qui il a rendu quelques services en échange de concessions
d’exploitation. Il s’est proposé comme médiateur lors de la négociation des
accords entre la KNU et la junte ; de même, ses camions furent utilisés pour
transporter des réfugiés Karens vers des zones non sécurisées où hommes et
femmes étaient séparés et laissés à la merci des militaires où utilisés pour
travailler dans les concessions.
Un tel degré de corruption dans l’administration engendre certaines conséquences
et ne peut pas toujours passer inaperçu aux yeux de l’opinion.
5. Le scandale de la Salween
Depuis le début des années 1990, la compagnie thaïlandaise d’exploitation
STB (Company Sahavanakit )avait l’exclusivité des concessions dans les zones
sous contrôle de la KNU ; le SLORC l’a accusé à plusieurs reprises de fournir
à la KNU des armes, des munitions et de la nourriture. Des employés de certaines
compagnies qui continuaient à opérer dans ces zones, auraient été assassinés
sur ordre de la STB.
Les offensives du SLORC, menées dans les années 1990 ont progressivement
réduit les territoires sous contrôle de la KNU et donc les zones d’exploitation
de la STB. Les pertes pour la STB furent aggravées par le fait qu’elle payait
les droits d’exploitation à la KNU à l’avance. Pour compenser ces pertes,
elle commença à exploiter illégalement les forêts thaïlandaises adjacentes,
et notamment le sanctuaire sauvage de la Salween. Pour contrer l’interdiction
faite aux compagnies d’exploiter ces zones classées réserves naturelles, le
bois extrait était transporté en Birmanie par la Salween, puis réexpédié en
Thaïlande ; plus simplement, la STB parvenait parfois à se procurer les papiers
nécessaires, évitant ainsi les risques et les coûts inutiles. Le scandale
qui a éclaté ne fut pas motivé par un désir de justice ; c’est un conflit
de pouvoir qui a malencontreusement attiré l’attention sur ces pratiques.
Le chef du département des forêts accepta un pot de vin de 122,000$ de la
STB qu’il tenta de partager avec le Premier ministre de l’époque Chuan Leekpai
; celui-ci refusa et ordonna une enquête. De nombreux observateurs pensent
que de telles investigations n’auraient pas été menées sous un autre gouvernement.
Six employés de haut rang du RTFD furent démis de leur fonction et de nombreux
autres furent transférés dans d’autres services ; le chef du département des
forêts et un négociant de la STB furent poursuivis pour corruption. En réalité,
les faibles moyens accordés au département des forêts pour faire respecter
les politiques de protection de la vie sauvage, ont privé ses équipes d’un
salaire décent ; c’est sur ce terrain fertile que des compagnies peu scrupuleuses
ont pu déployer une telle corruption. Le ministre des forêts de la KNU, Padoh
Aung San, fut impliqué dans le scandale et préféra rallier les rangs du SPDC
plutôt que de faire face aux accusations de corruption qui pesaient contre
lui au sein de la KNU. Comme d’habitude, les accusations retombèrent sur
les plus faibles ; les 15,000 réfugiés Karen du sanctuaire de Salween firent
office de boucs-émissaires et furent transférés dans des camps. Il est pourtant
de notoriété publique que la présence de réfugiés protège les forêts des
exploitants peu scrupuleux qui préfèrent opérer en toute discrétion ; leur
expulsion n’a pour but que de faciliter le trafic illégal.
B. L’approche colonialiste de la Chine en matière commerciale
Riche en ressources naturelles et cerné par les deux nations les plus peuplées
du monde, l’État Kachin est considéré comme l’un des domaines fonciers les
plus précieux de la planète. Ces dernières années, l’État Kachin, longtemps
considéré comme une région marginalisée en proie aux conflits, est devenu
une réserve de matières premières pour le développement chinois. Cette transformation
a pu s’amorcer grâce aux accords de cessez le feu, qui ont éliminé la plupart
des obstacles à l’exploitation. Le commerce de bois s’est considérablement
développé grâce à deux facteurs : l'accroissement de la demande chinoise et
l’instabilité politique de cette zone.
1. Les relations Sino-Birmanes
En 1991, Anon, un birman résidant sur la frontière déclarait : " Aujourd’hui,
ils ont gagné le contrôle sur l’ensemble du Nord de la Birmanie. Ils contrôlent
nos ressources, nos marchés. Mais que pouvons nous faire ? "
La Chine fut, en 1988, l’un des premiers pays à reconnaître le régime ;
le manque de réaction de la communauté internationale a permis l’intensification
de ces relations. Sans le soutient chinois, qui lui a permis de renforcer
ses positions, le régime birman se serait très probablement effondré.
En 1988, les deux pays ont signé des accords permettant l’expansion du commerce
transfrontalier. En 1989, le gouverneur de la province du Yunnan a conclu,
avec le SLORC, onze accords commerciaux dont certains concernaient l’exploitation
forestière.
La chine a également permis un important renforcement des forces armées
birmanes en leur fournissant du matériel militaire ainsi qu’un entraînement
perfectionné. Les ventes de matériel militaire entre 1988 et 1998 furent
estimées entre un et deux milliards de $. La majeure partie de ces achats
s’est effectuée à des prix dérisoires, sur le mode du troc ou grâce à des
prêts sans intérêts. En échange, la Chine a librement étendu sa sphère économique
aux zones frontalières puis à l’ensemble du pays. Elle avait cruellement
besoin des ressources birmanes pour assurer son développement ; dans ce contexte,
les insurgés représentaient un obstacle important à la croissance chinoise.
Le rôle tenu par la Chine lors de la signature des accords de cessez le feu
n’est pas précisément connu, mais on la soupçonne d’avoir exercé une pression
significative sur la KIO, bien que celle-ci s’en défende. De toute évidence
et paradoxalement, après l’effondrement du CPB en 1989 et la signatures des
accords entre le régime et les insurgés, le commerce transfrontalier entre
les deux pays s’est largement développé. Un important afflux de main d’œuvre
et de négociants chinois fut également constaté : les estimations varient
entre plusieurs centaines de milliers et un million de personnes. Cette immigration
massive fut perçue, par de nombreux birmans, comme une invasion s’inscrivant
dans la logique d’une prise de contrôle du pays.
Le SPDC est conscient du risque constitué par une trop forte dépendance
à la Chine ; son adhésion à l’ASEAN en 1997, fut en quelque sorte, une tentative
de rétablir l’équilibre. Le SPDC tente également de créer des liens commerciaux
avec la Russie, et de renforcer les liens préexistants avec l’Inde. Même si
la Chine semble irritée par ces manœuvres, il sera difficile d’inverser la
tendance et d’amoindrir son influence.
2. Une approche colonialiste des échanges
L’importation des ressources birmanes vers la Chine est très rentable :
les distances sont limitées, les coûts sont faibles et le recours à la main
d’œuvre chinoise est très commode. Les avantages sont multiples : la Birmanie
recèle de nombreuses espèces de bois, de très bonne qualité et très bon marché
; de plus, l’importation permet de satisfaire la demande croissante du marché
chinois, sans décimer les forêts nationales ; d’autre part, elle permet le
développement de l’industrie de traitement du bois (production de fibre de
bois, de papier et de meubles) et participe à l’essor économique local ; par
ailleurs, la monnaie chinoise est librement utilisable en Birmanie, sans avoir
à souffrir les taux de change. Plus prosaïquement, la Chine s’approprie le
patrimoine naturel birman à faible coût afin d’assurer sa croissance.
En effet, la Chine possède 4% des réserves forestières mondiales pour 22%
de la population mondiale : cela constitue une moyenne de 0,11 hectares par
personnes, bien en deçà de la moyenne mondiale qui est de 0,77%. Ses énormes
besoins en matières premières ont façonné sa politique à l’égard de la junte
birmane et des groupes d’insurgés localisés sur la frontière. La situation
présente de nombreuses similitudes avec celle constatée sur la frontière thaïlandaise,
mais l’ampleur de la demande du marché chinois la rend encore plus abusive.
La population chinoise augmente très rapidement et les modes de consommation
évoluent radicalement. En 1998, la valeur totale des importations de bois
occupe le premier rang, devant celles du pétrole et de l’acier ; dans ce
contexte, la Birmanie, et plus particulièrement l’État Kachin, apparaissent
comme des solutions au problème de l’approvisionnement en matières premières.
Aucune mention n’est faite des populations locales ou des conséquences environnementales
engendrées par ces ponctions. La Chine se comporte sans nul doute comme les
empires coloniaux bâtis au 19ème siècle.
3. L’interdiction d’exploiter les forêts chinoises
La stratégie de développement post révolutionnaire eut un sérieux impact
sur l’environnement et particulièrement sur les forêts. Entre 1996 et 1998,
les inondations, dues à la déforestation et au dépôt de sédiments dans le
lit des rivières, ont coûté 36 milliards de $ au gouvernement. La chine tente
d’inverser ce processus par d’importants programmes de boisement ainsi que
par la mise en place d’une interdiction pour protéger les forêts qui subsistent.
Elle perçoit désormais la détérioration de l’environnement comme un frein
à son développement économique.
Depuis 1998, l’exploitation forestière est interdite dans 18 provinces chinoises
et les autorités déploient tous les moyens possibles pour faire respecter
cette nouvelle législation. Cette interdiction s’inscrit dans la logique du
Natural Forest Conservation Programme (NFCP) qui a pour objectif de faire
diminuer l’extraction de bois de 32 millions de m2 en 1997 à 12millions de
m2 en2003. A cet effet, les taxes douanières sur le bois furent abaissées
de 50 à 5% pour faciliter l’importation ; en 2001, les importations de bois
représentaient 16 millions de m2. Toutefois, le NFCP entraîne des conséquences
néfastes pour l’emploi : 1,2 millions de personnes se sont vues privées de
leur activité et représentent désormais une source potentielle d’instabilité
sociale pour le gouvernement. Les forêts birmanes sont également synonymes
d’emploi pour ces travailleurs.
D’autre part, l’interdiction d’exploiter les forêts chinoises représente,
pour le SPDC, une bonne opportunité d’augmenter ses revenus. Paradoxalement,
les prix pratiqués sont restés très stables et étonnamment faibles, révélant
l’importance du soutient politique et militaire apporté par la Chine au régime.
En 1994, la fin des hostilités dans la zone frontalière a permis aux autorités
chinoises locales de mettre en place le commerce transfrontalier qu’elles
planifiaient depuis les années 1980.
Dans une certaine mesure, l’ouverture des marchés chinois permet à la junte
birmane de se refermer un peu plus sur elle même et de continuer à ignorer
les incursions de la communauté internationale.
CCL : recommandations faites à la communauté internationale en général,
et à la Chine et la Thaïlande en particulier.
La Birmanie a été abandonnée par la communauté internationale : les liens
diplomatiques ont été suspendus, des sanctions économiques ont été mises en
place (malgré l’implantation de certaines industries occidentales que nous
ne citerons pas), et le monde démocratique reste contemplatif face au désarroi
de ce précieux pays qui se consume de l’intérieur. La société internationale
a abandonné le peuple birman à son histoire, qui depuis 150 ans est jalonnée
par les conflits et les exactions en tout genre. La Birmanie, si riche en
ressources naturelles, est pauvre en ressources énergétiques et c’est là tout
son drame. Quarante ans se sont écoulés depuis la mise en place du régime
militaire, et cela fait douze ans que la NLD a gagné les élections nationales
: le SPDC reste résolument au pouvoir, grâce au contrôle qu’il exerce sur
les ressources naturelles. L’espoir de voir le pays amorcer une transition
démocratique ne pourra se concrétiser que lorsque le patrimoine birman sera
complètement anéantit, ne permettant aucune forme de développement durable.
Des années d’isolations n’ont pas fait fléchir le régime mais l’ont propulsé
vers la Chine et la Thaïlande, deux alliés de poids avides de richesses et
peu scrupuleux. Depuis près d’un demi-siècle, le contrôle des ressources naturelles,
qui constitue le principal motif des affrontements, fournit aux acteurs du
conflit les moyens de leur propre subsistance. Les ambitions politiques de
certains groupes d’opposants sont annihilées par la corruption, abandonnant
les populations aux exactions qui constituent leur quotidien. Le peuple birman
a cruellement besoin du soutient de la communauté internationale qui doit
maintenir une pression significative sur le régime.
La communauté internationale doit, pour ce faire :
*augmenter les montants des aides destinées aux birmans en veillant
à ce qu’elles ne soient pas détournées par la junte.
*apporter un soutient aux ONG birmanes indépendantes, sous forme d’une
assistance technique leur permettant d’administrer leurs programmes humanitaires.
*étudier objectivement l’impact des sanctions mises en place afin de
mieux les adapter.
*prévoir un programme d’assistance à la démobilisation des groupes
armés pour permettre une paix durable
*s’assurer que le bois importé de Birmanie ne finance pas le conflit,
ni ne conduise à des atteintes aux droits de l’homme et soit récolté d’une
manière raisonnable et soucieuse de l’environnement.
*rendre les données concernant l’exportation du bois accessibles, lisibles
et précises.
*permettre la réalisation d’études précises concernant le secteur forestier
ainsi que les moyens de le protéger et de l’administrer dans le meilleur intérêt
du peuple birman, en incluant une consultation publique.
*assister et encourager tous les groupes de cessez le feu à effectuer
des études d’impact social et environnemental pour tous leurs projets de développement
et leurs activités commerciales supposant le recours aux ressources naturelles.
Un tel procédé devrait associer les populations locales.
*participer à la reconstruction de la société au niveau local à travers
la mise en place de projets éducatifs et de sensibilisation aux questions
environnementales.
*prendre des mesures unilatérales, bilatérales ou multilatérales pour
interdire et punir l’importation du bois brut ou traité, finançant le conflit
ou issu de l’exploitation illégale. Le pays d’origine devrait être clairement
établi.
*encourager le Conseil de Sécurité des Nations Unies à reconnaître
les ressources issues des conflits comme des ressources interdites de commercialisation
sur le marché international.
*assigner des fonds aux projets de conservation et de réhabilitation
des forêts chinoises et thaïlandaises sous réserve de la cessation de leurs
activités destructrices dans les autres pays.
La paix, la stabilité, le développement durable, et la sécurité environnementale
en Birmanie participent aux intérêts de la Chine et de la Thaïlande. Ces deux
états devraient jouer un rôle positif et constructif dans le processus de
réconciliation national en Birmanie en s’assurant que le développement de
leurs économies ne s’effectue pas au détriment des peuples birmans.
La Chine, de son côté, devrait :
*suspendre immédiatement l’exploitation forestière en Birmanie ainsi
que tous les projets de développement supposant l’utilisation des ressources
naturelles, jusqu’à ce que les études prévues aient aboutit. Une priorité
toute particulière devrait être faite à l’arrêt du projet du N Mai Hku.
*arrêter l’importation de bois brut et manufacturé en provenance de
la frontière.
La Thaïlande devrait également arrêter ses importations.
Par ailleurs, conformément aux engagements pris lors de leur déclaration
de septembre 2001 intitulée Forest Law Enforcement and Governance (exécution
et administration des lois sur les forêts) , la Chine et la Thaïlande devraient
:
*jouer un rôle plus actif dans le groupe de travail régional établi
pour concrétiser les objectifs de la déclaration FLEG
*prendre des mesures immédiates pour renforcer la collaboration bilatérale
avec le Département des Forêts birman et les administrations forestières des
groupes d’insurgés ayant conclu des cessez le feu, afin qu’ils dénoncent toute
violation faite aux lois sur les forêts, et particulièrement l’exploitation
illégale, le commerce qui y est associé ainsi que la corruption.
*développer des mécanismes pour faciliter les échanges d’expériences
concernant la protection des forêts et les échanges d’informations incluant
des données précises.
*encourager la participation du Département des Forêts birman et des
administrations forestières des groupes d’insurgés aux initiatives du FLEG.