Interview de Thar Nyunt
Oo, syndicaliste étudiant membre de l'ABFSU
Cette interview à été réalisée le 10 février 2004 dans les locaux d'Info
Birmanie, à l'occasion de la visite de Thar Nyunt Oo en Europe.
Qu’est ce que l’ABFSU ?
L'All Burma Federation of Student Unions est une organisation historique
qui a initié et dirigé le combat non violent des étudiants birmans depuis
les années 30.
Quelle est votre fonction au sein l’ABFSU ?
Je suis le vice-secrétaire du comité des affaires étrangères de l’ABFSU,
basé sur la frontière birmano-thaï. Nous, c’est-à-dire le comité, sommes juste
une branche de l’ABFSU, le porte-parole au niveau international des activités
de l'organisation à l'interieur du pays.
C'est à dire ?
Comme toutes les organisations politiques, l'ABFSU est illégale. Il lui
est donc impossible de faire connaître au reste du monde la réalité de la
situation dans le pays.
Pouvez-vous nous faire un historique de l’ABFSU et des mouvements
étudiants en Birmanie jusqu'à septembre 88 ?
L'All Burma Federation of Student Unions est une organisation historique
dans l’histoire de la politique birmane. Elle a été créée en 1936 pendant
les mouvements anti-coloniaux, par Aung San, fondateur de l’armée birmane
et héros national. Les étudiants de l’ABFSU ont lutté pour l’indépendance
nationale et prôné la paix et la démocratie en Birmanie. Cependant ils ont
été forcé d’agir clandestinement après le coup d’Etat militaire de1962 et
l’interdiction de tous les groupes civils en Birmanie. Le régime militaire
a disloqué et détruit l’union historique des étudiants et a tué énormément
d’étudiants. L’ABFSU a guidé pacifiquement les étudiants pour la cause de
la démocratie et des droits de l’Homme lors des mouvements pro-démocratiques
de 1988. Min Ko Naing, le leader du mouvement de mars à septembre, a été élu
président de l’ABFSU lors d’un rassemblement étudiant en septembre 1988. Depuis
l’ABFSU se bat pour les droits des étudiants, le droit à l’éducation, la
liberté de l’enseignement, et les droits politiques en Birmanie. A cause de
cette activisme des milliers d'étudiants ont été arrêtés, torturés, et emprisonnés.
Aujourd’hui plus de 800 étudiants dont Min Ko Naing sont toujours dans différentes
prisons militaires. Mais la plupart des membres de l’ABFSU sont toujours
clandestinement en activité à l’intérieur de la Birmanie et l'ABSDF a pris
la tete des mouvements étudiants de 1990, 1991, 1994, 1996, 1998, 1999, et
2001.
Comment avez-vous rejoint l’ABFSU et qu’avez-vous fait entre
mars et septembre 88 ?
J’étais étudiant en médecine dans l’institut de médecine de Rangoun en 1988.
Et je suis devenu dirigeant de l’Union Étudiante de l’Institut de Médecine
(IMSU). J’ai participé aux mouvement de mars à juin 1988, en tant que leader
activiste de l’IMSU. Je ne connaissais rien de la politique à cette époque,
mais je participais aux mouvements car je n’aimais pas le comportement des
soldats à l’égard des étudiants. Ensuite, j’ai pris conscience de la situation
politique de la Birmanie et des souffrances du peuple. C’est pourquoi j’ai
beaucoup participé aux mouvements jusqu’à maintenant. Lorsque mon organisation
de base a été affilié à l’ABFSU, je suis devenu le représentant de l’IMSU
au sein de l’ABFSU. J’ai donc été élu membre exécutif de l’ABFSU en juin 1990
au cours d ‘une conférence étudiante à Mandalay. J’ai alors dirigé les actions
de l’ABFSU. Puis j’ai été arrêté et condamné à 5 ans de prison par le régime.
C'est à ce moment que l'ABFSU s'est séparée en trois. Pourquoi
?
En 1988, après le coup d’Etat militaire et l’assassinat de milliers de manifestants
dont des étudiants, certains d'entre nous pensaient que seule la lutte armée
pourrait renverser le régime militaire. Ils ont donc fui près de la frontière
et ont créé l'ABSDF (All Burma Students Democratic Front), un groupe armé.
D’autres pensaient que les étudiants devraient participer plus activement
à la vie politique et former un parti politique étudiant. Ces étudiants, dont
le secrétaire général de l’ABFSU, Moe Thee Zun, ont créé le Democratic Party
for a New Society (le DPNS, Parti Démocratique pour une Nouvelle Société).
Enfin, beaucoup d’étudiants dont le président de l’ABFSU croient toujours
en la position pacifique de l’ABFSU et restent militants de cette organisation.
Comment avez-vous été arrêté et combien de temps êtes-vous
resté en prison ?
J’ai été arrêté deux fois. La première fois de mars à août 1989 à cause
de mes activités étudiantes. J’ai été arrêté une deuxième fois en septembre
1990 chez moi, alors que le régime tentait d’arrêter tous les leaders de l’ABFSU
et j’ai été interrogé au centre des services secrets militaires pendant un
mois, ils m’ont torturé physiquement et mentalement. La cour militaire m’a
condamné à 5 ans de prison. Au début, pendant un an, j’étais à la prison de
Insein, puis j’ai été transféré à la prison de Tayet, basé au centre de la
Birmanie et ensuite à la prison de Monywa.
Quand avez-vous quitté la Birmanie et pourquoi ?
J’ai été libéré de prison en 1995. J’ai rejoint secrètement l’ABFSU. J’étais
chargé du comité d’organisation de l’ABFSU en 1995 et 1996. Au cours des manifestations
étudiantes de Rangoun en 1996, j’étais aussi un membre dirigeant du mouvement.
En décembre 1996, dans une conférence de presse du SLORC, j’ai été nommé
et accusé d’etre un agitateur communiste. Donc j'ai du me cacher pendant
un mois en Birmanie avec l’aide de mes collègues. Ensuite, j’ai fui à la
frontière thaïlandaise en 1997. Après les manifestations étudiantes de 1998
en Birmanie, d’autres étudiants ont fui en Thaïlande.
Avec l’accord de l’association basée à l’intérieur du pays, nous avons créé
ensemble le Comité des Affaires Étrangères de l’ABFSU (responsable des activités
au niveau international) en Thaïlande, l'ABFSU-FAC.
Quelles sont les fonctions de l’ABFSU-FAC ?
(1) La diffusion d’information et la documentation :
L'ABFSU-FAC diffuse régulièrement des informations sur les répressions du
régime à l’égard des mouvements étudiants, la situation des étudiants en Birmanie,
la perte des droits des étudiants et des droits à l’éducation en général,
la violation des droits de l’Homme par le régime, la situation actuelle de
l’éducation et des prisonniers politiques. En ce qui concerne les prisonniers
politiques, nous sommes en étroite collaboration avec l’AAPP -Association
d'Aide aux Prisonniers Politiques- (les membres de l’AAPP font également partie
de l’ABFSU et sont également membres de l’ABFSU-FAC). L’ABFSU-FAC rédige
chaque année un rapport sur la situation de l’éducation et fait un travail
de sensibilisation auprès de l’UNESCO, UNICEF et autres institutions en rapport
avec ce travail.
(2) Les relations internationales et les campagnes :
L’ABFSU est un membre actif de l’Union Internationale des Étudiants (IUS)
et de l’association des Étudiants d’Asie (ASA) . Nous travaillons donc également
beaucoup avec ces organisations et ces associations d’étudiants luttant pour
la paix dans le monde, l’éducation et la justice sociale. Nous assistons souvent
aux meetings de l’ONU et des Forums de société civile. En parallèle, nous
rencontrons également beaucoup de responsables gouvernementaux combattant
pour la démocratisation et la réconciliation de la Birmanie.
(3) Le soutien économique aux activités de l'ABFSU en Birmanie
Quelle est la situation actuelle de l’éducation en Birmanie
?
La Birmanie fait partie des pays membres de la convention des droits de
l’Enfant des Nations Unies. D’après l’article 28 de la convention, et la
session 20/a de la loi nationale sur l’enfant, l’école primaire devrait être
gratuite pour tous les enfants. Mais l’école gratuite n’est pas quelque chose
de courant en Birmanie étant donné les frais très élevés de scolarité et
les autres frais relatifs à l’école, qui sont à la charge des parents, déjà
en grande difficulté pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.
Conséquence, le taux d’abandon de l’école augmente de plus en plus en Birmanie.
Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour lutter contre ce taux d’abandon,
même s’il était dans l'obligation d’agir. Les allocations gouvernementales
(budget national) sont extrêmement irrégulières. Alors que l’éducation ne
dispose pas de fonds suffisants, le budget militaire ne cesse d’augmenter.
Conclusion, les écoles sont, chaque année, un peu moins fréquentées. Le système
d’entrée à l’université en Birmanie a aussi des conséquences sur l’égalité
des droits à l’éducation. D’après le guide gouvernemental des universités
publié par le ministère de l’éducation, le pourcentage de femmes dans les
universités est très restreint dans la plupart des institutions (voir le
rapport 2002 de l’ABFSU sur l’éducation).
La qualité de l’enseignement se dégrade en Birmanie. Il n’y a pas assez
de bibliothèques, de salles, d’enseignants qualifiés, et pas assez de soutien
du gouvernement. Le programme de formation des enseignants, géré par le ministère
de l’éducation, est organisé par l’armée. Les professeurs doivent suivre les
entraînements militaires. Les formations d’enseignants ne servent qu’à leur
montrer comment réprimer les mouvements étudiants et aider le gouvernement
à garder le contrôle. Le développement créatif des étudiants n’est pas encouragé
par le système éducatif actuel et les structures politiques.
Pourquoi etes vous venu en Europe ?
Je suis venu assister à la session précédent la réunion du comité des Nations
Unies sur les droits de l’Enfant en Birmanie/Myanmar à Genève. Ensuite, j’ai
rencontré des responsables de l’ONU et les responsables du ministère des Affaires
Étrangères en France, aux Pays-Bas, et des responsables du conseil européen
en Belgique.
Comment nous, en tant que citoyens européens, pouvons nous
vous aider ?
Avant 1990, nous, c’est-à-dire le peuple et notamment les étudiants, nous
sentions seuls dans notre lutte pour l’avènement de la démocratie en Birmanie.
Aujourd’hui, nous recevons de nombreux messages de solidarité avec nos mouvements.
C’est très encourageant pour nos actions et nos manifestations à l’intérieur
de la Birmanie. SVP n’abandonnez pas la Birmanie et soutenez au plus profond
de vous-même la cause birmane et la démocratie. Et demandez à votre gouvernement
de nous aider à construire un pays démocratique, où les droits de l’Homme
seront respectés. Donc faîtes pression économiquement et politiquement sur
le régime militaire birman pour que la Birmanie devienne un pays démocratique
avec un gouvernement civil.
Comment imaginez-vous le futur de la Birmanie ?
Je suis optimiste en ce qui concerne le futur de la Birmanie. Je crois que
ce genre de dictature militaire disparaitra bientôt de la planète et doit
être renversé. J’espère que le régime militaire réalisera de lui-même que
lui seul ne peut plus détenir tout le pouvoir et tout diriger.
Mais, nous avons besoin de temps au cours de la transition démocratique,
comme nous devons reconstruire notre pays.
Propos receuillis par Mael Raynaud.
Traduit de l'anglais par Camille Denis.
Les enfants sacrifiés
de la junte birmane
Paru le Mardi 10 Février 2004
Le Courrier
Un quotidien suisse d'information et d'opinion
www.lecourrier.ch
Faillite du système éducatif, armée qui enrôle dès 11 ans, déplacements
forcés de populations...
Par Simon Petite
Réunis à Genève, plusieurs ONG ont dénoncé le sort réservé aux enfants qui
grandissent sous la dictature birmane. L'Organisation internationale du travail
vient de publier un rapport qui démontre qu'il est possible de mettre fin
à l'exploitation des enfants.
"Le Myanmar est l'un des pays en développement qui se préoccupent le plus
du bien-être des enfants." Le régime militaire qui tient sous sa botte la
Birmanie (qu'elle a renommée Myanmar) n'a pas peur de l'emphase. Cette citation
est tirée du deuxième rapport que les autorités birmanes vont présenter devant
le Comité des droits de l'enfants des Nations Unies en mai prochain. Pour
préparer cette échéance, plusieurs organisations de défense des droits humains
se rencontraient jeudi dernier à Genève. Et c'est peu dire que leur appréciation
de la situation diverge de la propagande officielle. Un chiffre résume le
"souci" des militaires birmans pour le sort des enfants: pour les années 1998
et 1999, l'Etat a consacré moins de 7% de ses dépenses à l'éducation contre
49% pour son armée.1 Le déséquilibre se serait encore accentué, selon les
ONG réunies à Genève.
Depuis leur coup d'Etat de 1962, les militaires concentrent toutes les richesses
du pays, confisquant si besoin les terres et les biens ou recourant au travail
forcé. Leur mainmise sur la société birmane s'est renforcée après les manifestations
pour la démocratie de 1988 – qui furent réprimées dans le sang – et après
les élections de 1990 remportées par la Ligue nationale pour la démocratie
(LND) de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. La junte ne reconnut pas
sa défaite et emprisonna les leaders de la LND. Aujourd'hui, Aung San Suu
Kyi se trouve à nouveau en résidence surveillée, après une année de liberté
entre 2002 et 2003.
Bastions de la contestation, les universités ont réouvert en 2000, mais,
comme le reste du système éducatif, elles manquent cruellement de fonds. "Ce
n'est pas comme les établissements réservés aux enfants d'officiers", relève
Thar Nyunt Oo. Ce dirigeant de la Fédération des étudiants birmans (All Burma
Federation of Student Unions – ABFU) a dû s'exiler à Bangkok en 1996, après
avoir passé quatre ans en prison pour ses activités politiques. Près d'un
millier d'étudiants seraient toujours derrière les barreaux.
ÉLÈVES EMBRIGADÉS
"Officiellement, l'école primaire est gratuite, poursuit M. Nyunt Oo. Dans
les faits, les parents doivent assumer les coûts d'entretien de l'école, acheter
tous les livres et les cahiers, cotiser pour que leurs enfants fassent partie
de l'organisation d'élèves affiliée au gouvernement..." Dans son dernier rapport
sur les enfants birmans, la Confédération internationale des syndicats libres
(CISL) mentionne que, pour s'en sortir, les enseignants donnent des leçons
privées en plus de leurs heures normales. "Ce n'est qu'en cette occasion que
les élèves ont la chance de poser des questions et de faire des exercices."
Résultat: environ un tiers des élèves birmans termine l'école primaire,
selon l'UNICEF. Le taux d'abandon est plus élevé au secondaire. De toute
manière, la plupart des familles ne peuvent envoyer leurs enfants à l'école.
Dans cette Birmanie sous sanctions internationales et sinistrée par quatre
décennies de dictature, les parents ont besoin de tous les bras. "Les enfants
travaillent dans les champs et gardent les troupeaux", explique Anna Biondi.
Septante pour cent de la population vit dans des zones rurales.
Selon la syndicaliste de la CISL, "les restaurants et les bistrots à thé
des grandes villes recourent largement à une main d'oeuvre infantile". On
trouve aussi des enfants dans l'industrie, d'autant plus que tous les syndicats
ont été interdits.
BOUCLIERS HUMAINS
Il y a aussi le travail forcé effectué pour le compte de l'omnipotente armée.
Une pratique pour laquelle la junte est depuis des années dans le collimateur
de l'Organisation internationale du travail (OIT). Les tâches incluent la
construction et l'entretien de routes et de voies de chemin de fer. L'armée
réquisitionne aussi des porteurs pour acheminer munitions et matériel, y compris
dans les zones de combat. "Mal nourris, battus et parfois exécutés, les porteurs
servent aussi de boucliers humains", peut-on lire dans le rapport de la CISL.
Selon les ONG, les enfants ne sont pas épargnés. "Lorsqu'un ordre de recrutement
arrivait pendant la saison des récoltes, nous ne pouvions pas nous absenter
des champs. Nous envoyions alors les enfants à notre place", témoigne une
femme de l'ethnie Shan, réfugiée en Thaïlande où elle a été interrogée par
l'équipe de la CISL. Là aussi, difficile de se faire une idée du nombre d'enfants
réquisitionnés.
Plus de certitudes à propos des bataillons d'enfants qui servent sous les
drapeaux. "L'armée birmane est le plus grand recruteur d'enfants au monde.
Un quart de ses effectifs est composé de soldats de moins de 18 ans, soit
70 000 enfants. Elle enrôle à partir de 11 ans", accuse Kevin Heppner, consultant
pour Human Rights Watch (HRW). Il est l'auteur du rapport "Mon fusil est aussi
grand que moi", publié en octobre 2002. "Depuis, si peu a changé", dit-il.
Pour le chercheur, il ne fait aucun doute que s'ils allaient à l'école,
les jeunes Birmans seraient moins exposés aux sollicitations des militaires.
"Les recruteurs abordent les enfants dans la rue, dans les gares, aux arrêts
de bus. Ils touchent une prime proportionnelle au nombre de recrues qu'ils
arrivent à convaincre. Et comme il est plus facile d'intimider un enfant qu'un
adulte..."
LA PRISON OU L'ARMÉE
M. Heppner continue: "Les militaires contrôlent les papiers des enfants.
Comme la plupart d'entre eux n'en ont pas sur eux, ils ont le choix entre
la prison et l'armée. Si nécessaire, les garçons sont emmenés de force".
Les enfants soldats participent aux combats contre les groupes rebelles.
Ils sont poussés à réquisitionner des civils pour le travail forcé, brûler
des villages, terroriser leurs habitants, énumère M. Heppner dans son rapport
pour HRW. Les jeunes recrues subissent eux-mêmes les brimades et les coups.
"Certains désertent... pour se retrouver dans les rangs des forces d'opposition.
D'autres se suicident", pointe M. Heppner.
DÉPLACEMENTS FORCÉS
Quoiqu'en dise la junte, la Birmanie est bien en état de guerre. Ce depuis
1948, après l'assassinat d'Aung San, héros de l'indépendance. Avec la disparition
du père d'Aung San Suu Kyi, c'était la fin du projet d'un Etat fédéral accordant
une large autonomie aux minorités ethniques (Shans, Karens, Karennis...).
Les exactions commises par l'armée contre ces populations sont bien connues.
"Elles procèdent de la théorie selon laquelle il faut assécher le bassin du
poisson pour qu'il ne puisse plus nager", commente M. Heppner. Chaque année,
la Commission des droits de l'homme de l'ONU condamne les déplacements forcés
de populations dans les zones d'insurrection. On estime que deux millions
de personnes ont fui vers la Thaïlande. Alors qu'un nombre indéterminé d'habitants
de ces régions rentrent dans la catégorie des "déplacés internes".
De l'autre côté du pays dans l'Etat de l'Arakan (ouest), le sort réservé
à la minorité musulmane est moins connue. "Les Rohingyas (les habitants de
cet Etat, ndlr) ont été privés de leur citoyenneté par la loi sur la nationalité
de 1982. Ils doivent se procurer un permis spécial s'ils veulent se déplacer
hors de leurs villages", dénonce Chris Lewa. "Réduire l'accès à la nourriture
fait partie d'une stratégie du régime militaire. C'est la principale cause
de l'exode des Rohingyas au Bangladesh voisin (...). Plus de 60% des enfants
souffrent de malnutrition chronique", écrit-elle dans son rapport.
Le document sera adressé aux experts onusiens chargés d'examiner en mai
le rapport officiel du Myanmar. Un pays "en paix" qui "ne connaît pas de
problèmes de réfugiés".
Note : 1Source: UNICEF ("Children and Women in Myanmar. Situation Assessment
and Analysis", avril 2001).
L'abolition du travail des enfants serait rentable
Un enfant sur six dans le monde travaille, au détriment de sa scolarisation
et – pour la plupart d'entre eux – au péril de leur santé. Parmi les 246 millions
d'enfants âgés de 5 à 17 ans concernés, 179 millions sont en effet exposés
aux pires formes de travail, selon l'Organisation internationale du travail
(OIT). "La grande majorité de ces enfants aident leurs parents aux champs.
Leur journée de labeur excède souvent les 12 heures et leur tâche peut s'avérer
dangereuse avec l'emploi de certains outils ou en manipulant des pesticides.
Les autres enfants exposés au pires formes de travail sont employés sur des
chantiers ou dans des mines. Ceux qui se prostituent ou dont on a vendu la
force de travail pour rembourser une dette sont environ 10 millions à travers
le monde", détaille Frank Hagemann, analyste politique pour le Programme
international pour l'abolition du travail des enfants de l'OIT.
L'organisation onusienne estime que le travail des enfants pourrait être
éliminé d'ici moins de vingt ans, soit une génération. Obligation morale,
l'abolition serait également très rentable. Dans un rapport présenté le mardi
3 février, l'OIT a calculé que l'élimination du travail des enfants et leur
envoi à l'école généreraient à terme sept fois plus de bénéfices que de coûts
pour les pays en voie de développement.
"Aucun secteur économique repose sur le travail infantile", assure M. Hagemann.
"L'attention publique se focalise sur les enfants qui produisent des vêtements,
des baskets ou d'autres articles de sport. Mais il s'agit d'une minorité."
L'analyste pense que ces petites mains pourraient facilement être remplacées
par des employés adultes.
MEILLEURS SALAIRES
"Eliminer le travail des enfants apportera un énorme retour sur investissement",
a déclaré Juan Samovia, le directeur de l'OIT. Comment? Les bénéfices seraient
d'abord réalisés dans le domaine de la santé avec une diminution des maladies
et des accidents de travail. A plus long terme, l'OIT prévoit que l'augmentation
du taux de scolarisation entraînera une hausse des futurs salaires.
"Pendant longtemps, nous avons utilisé des arguments moraux et juridiques.
De nombreux pays ont ratifié les deux conventions de l'OIT fixant à 12 ans
l'âge d'admission à tout type de travail et interdisant les formes de travail
les plus dangereuses aux enfants de moins de 18 ans. Ces Etats nous ont demandé
de réfléchir sur la faisabilité de l'élimination de l'exploitation infantile",
explique M. Hagemann.
D'où cette étude "très froide", la première du genre. Pour l'OIT, il s'agit
également de dégonfler l'argument selon laquelle l'abolition du travail des
enfants nuirait à leurs familles en les privant d'un revenu d'appoint vital.
L'étude a donc estimé la valeur économique du travail des enfants pour mieux
évaluer le coût de son élimination. Même si, reconnaissent les chercheurs,
les enfants sont souvent sous-payés voire pas du tout. Pour ne pas pénaliser
ceux qu'elle veut aider, l'OIT préconise un soutien aux familles les plus
pauvres afin qu'elles envoient leurs enfants à l'école.
Certains pays ont déjà instauré de tels programmes. En décembre 2001, plus
de 8 millions d'enfants brésiliens bénéficiaient d'une aide financière de
l'Etat. Vu son succès, "Bolsa Escola" a créé des émules, notamment au Mexique.
Au Bangladesh, le gouvernement offre une aide alimentaire conditionnée à la
présence des enfants sur les bancs d'école. En 2000, le programme couvrait
presque 18 000 établissements primaires et profitait à 2 millions de ménages.
Pour réaliser l'objectif d'abolir le travail infantile d'ici 2020, les Etats
du Sud doivent investir dans l'éducation: 493 milliards de dollars en moins
de vingt ans. "Le coût annuel d'un programme d'élimination du travail des
enfants est inférieur au service de la dette et cinq fois moindre que les
dépenses militaires consenties par les pays en développement", avance M. Hagenmann.
Les fonds sont disponibles. Reste la volonté politique, qui doit être d'autant
plus forte que, les premières années, les coûts du programme excéderont les
bénéfices.