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Conseil économique et social
Distr. GÉNÉRALE
E/CN.4/2004/33
5 janvier 2004
FRANÇAIS
Original: ANGLAIS
COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Soixantième session
Point 9 de l'ordre du jour provisoire
QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES,
OÙ QU'ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE
Situation des droits de l'homme au Myanmar
Rapport présenté par le Rapporteur spécial, M. Paulo Sérgio Pinheiro
Résumé Le mandat du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme
sur la situation des droits de l'homme au Myanmar a été établi par la Commission
dans sa résolution 1992/58 et prorogé la dernière fois dans sa résolution
2003/12. Dans cette résolution, la Commission a prié le Rapporteur spécial
de lui faire rapport, à sa soixantième session, ainsi qu'à l'Assemblée générale,
à sa cinquante-huitième session. En conséquence, le Rapporteur spécial a présenté
un rapport intérimaire à l'Assemblée (A/58/219). Le présent rapport se fonde
sur les constatations de sa cinquième mission d'enquête au Myanmar, effectuée
en novembre 2003, ainsi que sur les informations qu'il a reçues jusqu'au
17 décembre 2003, et doit être rapproché de son rapport intérimaire.
En s'acquittant de son mandat, le Rapporteur
spécial a toujours pris en considération la situation de tous les ensembles
de droits de l'homme. Dans le présent rapport, il met l'accent sur les droits
civils et politiques dans le cadre du processus de transition politique et
de démocratisation, car il estime nécessaire d'évaluer les événements décisifs
et faits nouveaux concernant la promotion et la protection de ces droits qui
ont eu lieu au cours de la période à l'examen. Il se concentre donc sur nombre
de questions qui sont aujourd'hui les mêmes qu'à l'époque de sa nomination
il y a trois ans, car les progrès réalisés depuis jusqu'au premier semestre
de 2003, quoique encourageants, n'ont pas été suffisants, et aussi parce que
les événements du 30 mai 2003 à Depayin ont constitué un retour en arrière
pour les droits de l'homme au Myanmar. Pour renverser cette tendance à la
régression, tous ceux qui ont été détenus ou assignés à résidence depuis le
30 mai 2003 doivent être libérés immédiatement et sans conditions, les victimes
survivantes et les familles de celles qui sont décédées doivent être indemnisées
et les bureaux de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) doivent être
rouverts immédiatement.
Le Rapporteur spécial, tout comme l'Assemblée
générale, invite les autorités du Myanmar à ouvrir une enquête exhautive et
indépendante, avec la coopération de la communauté internationale, sur l'incident
de Depayin. Les résultats devraient en être rendus publics, et les responsables
doivent répondre de leurs actes.
L'annonce par le nouveau Premier Ministre,
nommé en août 2003, d'une feuille de route en sept points pour la transition
vers la démocratie a été reconnue par certains membres de la communauté internationale
comme une initiative positive vers un processus de transition politique. Avant
la dernière mission du Rapporteur spécial, le Gouvernement avait annoncé la
constitution de trois organismes chargés de convoquer de nouveau la Convention
nationale: i) la Commission d'organisation de la Convention nationale chargée
de superviser la rédaction d'une constitution; ii) la Commission de travail
pour l'organisation de la Convention nationale; et iii) la Commission de gestion
pour l'organisation de la Convention nationale. Le Rapporteur spécial a constaté
que ces organismes ne comprenaient aucun membre de la NLD ni d'aucun autre
parti politique, ni aucun représentant des ethnies.
Au cours de cette mission, le Rapporteur
spécial a rassemblé suffisamment d'indications permettant de pénétrer la façon
de penser et le comportement actuels du Conseil d'État pour la paix et le
développement (State Peace and Development Council - SPDC) et d'autres entités
concernant la feuille de route et plus particulièrement la Convention nationale.
On lui a laissé entendre que les 104 Principes qui avaient été élaborés
par la précédente Convention nationale serviraient de point de départ à la
nouvelle; que tous les partis politiques pourraient participer dans des conditions
d'égalité à la Convention en tant que l'une des huit catégories éligibles
de participants; enfin, que de nouvelles élections se tiendraient conformément
à une nouvelle constitution. À la question précise qu'il a posée sur la participation
de la NLD, il lui a été répondu que l'on comptait que celle ci prenne part
à la Convention nationale sur un pied d'égalité avec les autres partis politiques
et qu'il appartenait désormais à la NLD de faire le premier pas et de se
joindre au processus. De l'avis du Rapporteur spécial, la mise en œuvre de
la feuille de route et la transition politique vers un régime civil doivent
s'accompagner d'une évolution réelle et concrète sur le terrain vers un
processus authentiquement libre, transparent et associant sans exclusive
tous les partis politiques, toutes les ethnies et l'ensemble de la société
civile. Tout processus de transition politique vers la démocratie qui ne
serait pas fermement ancré dans les droits de l'homme en tant que principe
fondamental serait voué à l'échec. Le Rapporteur spécial est convaincu, comme
il l'a dit à tous ses interlocuteurs du Gouvernement, que la feuille de route
devrait s'inspirer des droits de l'homme, non seulement sur le fond ou dans
les phases finales, mais encore tout au long du processus de sa mise en œuvre,
dès la phase préparatoire.
Pour cette raison, le Rapporteur spécial
estime que le plus urgent aujourd'hui est de lever toutes les restrictions
qui subsistent aux libertés d'expression, de circulation, d'information, de
réunion et d'association; d'abroger les textes législatifs connexes sur la
"sécurité"; d'ouvrir ou de rouvrir tous les bureaux des partis politiques
dans l'ensemble du pays. Il ne devrait plus y avoir d'arrestations pour activités
politiques pacifiques. La liberté de circulation et d'activité politique de
Daw Aung San Suu Kyi et des autres dirigeants et membres de la NLD doit être
immédiatement rétablie afin de garantir leur participation aux tout premiers
stades la Convention nationale.
La mise en œuvre de ces initiatives contribuera
à créer un environnement propice à des discussions ouvertes et étendues entre
le Gouvernement et tous les partis politiques et ethnies ainsi qu'un échantillon
représentatif des secteurs de la société civile. Le Rapporteur spécial estime
aussi que les mêmes principes doivent s'appliquer au fonctionnement de la
Convention nationale si l'on veut en assurer le succès.
Le Rapporteur spécial se félicite des libérations
récentes de prisonniers politiques mais réaffirme une fois de plus que tous
les prisonniers politiques doivent être libérés immédiatement et sans conditions.
Il invite instamment le Gouvernement à examiner l'expérience acquise en matière
d'amnisties politiques par le Myanmar au cours de son histoire et pense qu'une
amnistie générale serait le meilleur chemin à suivre: libérer tous les prisonniers
politiques, qui pourraient ensuite jouer un rôle positif dans le futur processus
politique de transition.
Le Rapporteur spécial a découvert certaines
indications qui lui font penser que la pratique du recrutement d'enfants soldats
est vraisemblablement répandue aussi bien parmi les troupes gouvernementales
que chez les armées rebelles. Il lui a aussi été rapporté que l'on obligeait
les civils à suivre une formation militaire mais on ne sait pas au juste
quels en sont les finalités et le fondement juridique.
Le Rapporteur spécial demeure préoccupé
par la persistance des allégations selon lesquelles de graves violations des
droits de l'homme seraient commises dans les régions habitées par des minorités
ethniques, notamment dans l'État Chan. Malgré ses efforts pour réaliser l'évaluation
indépendante qu'il se proposait de faire dans l'État Chan, il n'y a toujours
pas d'accord sur les modalités qu'il avait avancées.
Les souffrances des personnes vulnérables
au Myanmar sont manifestes. Le Rapporteur spécial n'ignore pas les activités
que déploient les organismes d'assistance pour atténuer ces souffrances dans
des domaines tels que la santé, la protection, l'éducation et l'emploi. Beaucoup
plus reste à faire; on ne peut faire payer aux personnes vulnérables du Myanmar
des politiques économiques qui ne s'intéressent pas suffisamment aux pauvres.
Le Rapporteur spécial se félicite de l'initiative prise par l'Équipe de pays
des Nations Unies pour dresser la carte des vulnérabilités au Myanmar et concevoir
ensuite une stratégie pour les éliminer.
Le Rapporteur spécial juge nécessaire de
faire part de certaines de ses conclusions préliminaires concernant les incidences
des récentes sanctions sur la vie des populations vulnérables du Myanmar.
Les femmes et les filles semblent particulièrement exposées au risque de
tomber victimes de la traite ou d'être exploitées, ou encore de devenir des
migrantes en situation irrégulière, en particulier celles qui ont quitté
leur village pour travailler en usine et qui n'ont désormais plus de travail
ni nulle part où revenir. Le Rapporteur spécial tient à faire observer que
les nombreuses décennies de mauvaise gestion économique de la part des autorités
du Myanmar sont pour beaucoup dans les rigueurs décrites dans le présent
rapport. Il encourage les organismes d'aide au développement à suivre de
près l'évolution de la situation dans ce domaine, s'agissant en particulier
de l'établissement de la carte des vulnérabilités et de la conception d'une
stratégie visant à les éliminer.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I.
Visite au Myanmar et activités connexes
II.
Faits nouveaux concernant les droits de l'homme
A.
Les événements du 30 mai
B.
Prisonniers politiques
C.
La Convention nationale
D.
Conditions de détention
E.
Violence religieuse
F.
Évaluation indépendante de la situation dans l'État
Chan
G.
Enfants soldats
H.
Formation militaire obligatoire des civils
III.
Questions diverses
A.
Coopération avec l'Équipe de pays des Nations Unies
et d'autres membres d'organismes d'assistance
B.
Effets des sanctions
IV.
Observations finales et recommandations
Annexe
Détenus interrogés par le Rapporteur spécial dans la prison d'Insein (le
5 novembre 2003)
Introduction
1.
Le mandat du Rapporteur spécial de la Commission
des droits de l'homme chargé d'examiner la situation des droits de l'homme
au Myanmar a été établi par la Commission dans sa résolution 1992/58 et prorogé
la dernière fois dans sa résolution 2003/12 (approuvée par le Conseil économique
et social dans sa décision 2003/239).
2.
Dans sa résolution 2003/12 (par. 6 a)), la Commission
a prié le Rapporteur spécial de lui faire rapport à sa soixantième session
ainsi qu'à l'Assemblée générale à sa cinquante huitième session. En conséquence,
le Rapporteur spécial a présenté à l'Assemblée générale un rapport intérimaire
(A/58/219). Le présent rapport se fonde sur les constatations de la cinquième
mission d'enquête qu'il a effectuée au Myanmar en novembre 2003, ainsi que
sur les informations qu'il a reçues jusqu'au 17 décembre 2003, et doit donc
être rapproché de son rapport intérimaire.
3.
En s'acquittant de son mandat, le Rapporteur spécial
a toujours pris en considération la situation de tous les ensembles de droits
de l'homme. Dans le présent rapport, il met l'accent sur les droits civils
et politiques dans le cadre du processus de transition politique et de démocratisation
- dont la surveillance fait notamment l'objet de son mandat - car il estime
nécessaire d'évaluer les événements décisifs et faits nouveaux en matière
de promotion et de protection de ces droits qui se sont produits au cours
de la période considérée.
I. VISITE AU MYANMAR ET ACTIVITÉS CONNEXES
4.
Comme suite à la lettre qu'il a adressée au Gouvernement
du Myanmar le 1er juillet 2003, dans laquelle il demandait la permission
de se rendre d'urgence dans le pays pour y évaluer en personne la situation
au lendemain des événements du 30 mai 2003, le Rapporteur spécial a eu des
consultations avec le Représentant permanent du Myanmar à l'Office des Nations
Unies à Genève, S. E. l'Ambassadeur U. Mya Than, le 26 août. À cette occasion,
il lui a été conseillé de solliciter une "mission ordinaire" au Myanmar en
novembre 2003 pour établir une mise à jour de la situation au Myanmar à l'intention
de l'Assemblée générale. L'Ambassadeur lui a toutefois fait savoir que,
compte tenu de la situation qui régnait dans le pays, il ne serait pas inapproprié
qu'il persévère dans son projet d'évaluation indépendante des allégations
de violations des droits de l'homme dans l'État Chan. Le 29 août, le Rapporteur
spécial a écrit à l'Ambassadeur pour lui proposer un voyage au Myanmar qui
durerait du 31 octobre au 8 novembre 2003. En fin de compte, il a été convenu
que cette visite aurait lieu du 3 au 8 novembre.
5.
Il s'agissait de la cinquième mission d'enquête
du Rapporteur spécial. Elle s'est déroulée dans un contexte très différent
de ses visites antérieures. Depuis sa mission précédente en mars 2003, la
situation des droits de l'homme et le processus de réconciliation nationale
avaient été marqués par d'importants revers, à la suite des événements du
30 mai.
6.
Le Rapporteur spécial a bénéficié de la totale coopération
du Gouvernement qui a facilité cette mission, ce dont il le remercie de
nouveau. Il a pu se conformer entièrement au programme qu'il s'était fixé,
a bénéficié d'une totale liberté de déplacement et a pu rencontrer toutes
les personnes, particuliers ou autres, qu'il souhaitait rencontrer.
7.
Ses principaux interlocuteurs gouvernementaux lors
de cette mission ont été le Premier Ministre, le général Khin Nyunt; le
deuxième Secrétaire du Conseil d'État pour la paix et le développement (SPDC),
le général Thein Sein; le Ministre des affaires étrangères, U Win Aung, et
son adjoint, U Khin Maung Win; le Ministre de l'intérieur, le colonel Thin
Hlaing; le chef de département du Bureau du renseignement militaire, le général
Than Tun; le Directeur général du Département des prisons; des représentants
de la Commission gouvernementale des droits de l'homme et de la Commission
d'organisation de la Convention nationale. Le Rapporteur spécial a visité
la prison centrale d'Insein à Yangon, où il a eu des entretiens avec 19
prisonniers politiques (voir annexe).
8.
Le Rapporteur spécial a pu s'entretenir avec Daw
Aung San Suu Kyi, la Secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie
(NLD) ainsi qu'avec trois membres du Comité exécutif central de la NLD,
qui étaient assignés à résidence.[1] Il s'est également entretenu avec des
représentants des partis ethniques et d'autres partis politiques, avec l'Équipe
de pays des Nations Unies, des représentants du corps diplomatique, des
milieux d'affaires internationaux et locaux, des médias, des organisations
de la société civile internationale ainsi que du Comité international de
la Croix Rouge (CICR) et du Centre pour le dialogue humanitaire. Il a aussi
visité l'exposition sur le VIH/sida récemment inaugurée, qui montre les
efforts que déploient les autorités du Myanmar et les organismes d'aide
au développement dans la lutte contre le VIH/sida.
9.
À l'aller et au retour, le Rapporteur spécial s'est
arrêté en Thaïlande (où il a séjourné du 29 au 31 octobre et les 9 et 10
novembre) pour des réunions avec le Directeur général du Département des
organisations internationales et d'autres hauts fonctionnaires du Ministère
thaïlandais des affaires étrangères, de hauts fonctionnaires de l'ONU, des
représentants du corps diplomatique et des milieux universitaires, des médias
et d'organisations non gouvernementales (ONG). Le Rapporteur spécial et son
équipe [2] ont aussi entendu les témoignages d'individus qui avaient une
connaissance directe des circonstances dans lesquelles avaient été commises
des violations des droits de l'homme avant, pendant et après les événements
survenus le 30 mai 2003 à Depayin.
10.
Le 11 novembre, le Rapporteur spécial s'est rendu
à New York pour présenter son rapport intérimaire ainsi que ses premières
impressions et constatations sur sa dernière mission à l'Assemblée générale,
dans sa déclaration du 12 novembre 2003. Le présent rapport développe les
points évoqués dans cette déclaration, compte tenu des renseignements reçus
pendant et après cette mission.
11.
Alors qu'il se trouvait au Siège de l'ONU, le Rapporteur
spécial a rencontré le Haut Commissaire aux droits de l'homme par intérim,
de même que des représentants du Gouvernement du Myanmar et d'autres États
ainsi que d'ONG. Il a également tenu une conférence de presse.
II. FAITS NOUVEAUX CONCERNANT LES DROITS DE L'HOMME
A. Les événements du 30 mai
12.
Dans son rapport intérimaire, le Rapporteur spécial
a documenté les événements qui se sont produits le 30 mai 2003 à Depayin,
tels qu'ils lui ont été e présentés par les autorités du Myanmar et d'autres
sources fiables, et a donné sa première interprétation de cet incident sur
la base des informations dont il disposait au moment de la rédaction de
ce rapport (voir A/58/219, par. 10 à 17, 23 à 25). Au cours de sa dernière
mission, il a pu compléter sa vision de cet incident en s'entretenant avec
huit victimes et témoins ainsi qu'avec les autorités et Daw Aung San Suu
Kyi. Les autorités et d'autres sources fiables lui ont également remis des
bandes magnétiques et des preuves photographiques. Sur sa demande, il lui
a été communiqué un rapport non publié sur les résultats de l'enquête officielle.
Sur la foi de ce qu'il a vu et entendu au cours de cette mission et des dépositions
de témoins oculaires, il est convaincu qu'il existe des éléments suffisants
pour faire présumer que l'incident de Depayin n'aurait pu se produire sans
la connivence d'agents de l'État. Les éléments de preuve que le Rapporteur
spécial a pu rassembler indiquent qu'à mesure que les rangs des manifestants
favorables à Daw Aung San Suu Kyi grossissaient, en particulier dans la période
du 25 au 30 mai 2003, il y a eu une escalade de menaces, de provocations,
de harcèlements, d'intimidations et de brutalités ainsi que d'actes de violence
orchestrés avec la participation des opposants à la NLD et d'individus liés
d'une façon ou d'une autre à des organismes publics. Le Rapporteur spécial
regrette profondément que les autorités n'aient pas fait face à la situation
de manière pacifique et conformément aux principes des droits de l'homme,
ce qui aurait épargné d'inutiles souffrances et pertes en vies humaines.
13.
En attendant la publication du rapport du Gouvernement,
le Rapporteur spécial juge indispensable de présenter sa version provisoire
de l'incident, établie sur la base des renseignements recueillis jusqu'à
présent dans le cadre de sa sa propre enquête. Le jour de l'incident (le
30 mai 2003), vers 9 heures du matin, Daw Aung San Suu Kyi et les personnes
qui l'accompagnaient ont quitté Monywa pour la ville de Butalin. En chemin,
elles se sont arrêtées au monastère de Zawtika pour présenter leurs hommages
aux moines. À l'arrivée à Butalin, en début d'après midi, Daw Aung San Suu
Kyi a fait un discours et organisé des cérémonies à l'occasion de l'ouverture
du bureau local de la NLD et de l'institution du mouvement de jeunes du parti.
Vers 18 heures, le convoi s'est mis en route pour Depayin. En chemin, il
a fait une courte pause dans le village de Saingpyin où Daw Aung San Suu
Kyi, pour leur manifester son soutien moral, a salué les villageois et visité
la famille du député élu de la NLD, U Win Myint Aung, qui avait, semble t
il, été arrêté quelques jours auparavant pour le rôle qu'il avait joué dans
la préparation de sa visite. Vers 19 heures, l'escorte motorisée, qui comprenait
au moins 11 véhicules et 150 motocyclettes, s'est remise en route pour Depayin.
14.
Lorsqu'elle est arrivée près du village de Kyee,
aux alentours de 19 h 30 20 heures, il commençait à faire nuit. D'après les
témoignages, deux moines ou davantage, ou des personnes habillées en moine,
se sont mis en travers de l'escorte et ont demandé à Daw Aung San Suu Kyi
d'haranguer la foule. La violence a éclaté lorsqu'une cinquantaine de personnes
entassées dans un camion qui suivait le convoi ont commencé à l'attaquer.
Elles ont été rejointes par les passagers de plus d'une dizaine de cars et
camions qui transportaient chacun 30 à 40 personnes et avaient suivi le convoi
depuis qu'il avait quitté Butalin, les phares des véhicules éclairant la
scène. L'escorte motorisée semble avoir hésité; puis, comme s'ils en avaient
reçu l'ordre, les individus habillés en moine ont commencé à briser les vitres
des véhicules, y compris celui dans lequel voyageait Daw Aung San Suu Kyi,
à l'aide de gourdins de bambous. Il semble que les chauffeurs des camions
aient été obligés par les autorités locales à participer à ces actes.
15.
Les agresseurs étaient des civils et portaient des
brassards blancs, y compris ceux qui étaient habillés en moine. Des individus
portant de tels brassards avaient déjà été vus avant cet incident dans un
petit village, et des photos de l'endroit où l'attaque a eu lieu prises
quelques jours plus tard montrent des brassards blancs éparpillés sur le
sol. Il semble qu'un ou plusieurs meneurs aient donné des ordres aux attaquants.
La violence était dirigée à la fois contre les membres du convoi et contre
les 200 à 500 villageois qui s'étaient rassemblés pour accueillir Daw Aung
San Suu Kyi et son groupe. Certains membres du convoi sont restés dans leur
voiture, d'autres en sont sortis et ont tenté de se cacher dans les champs;
les deux groupes ont été agressés. Les agresseurs se servaient de tiges de
bambou aiguisées, de pieux et de barres de fer. Ils auraient aussi jeté des
pierres, harcelé les femmes, déchirant leur corsage et leur arrachant leurs
bijoux, et auraient également dérobé des affaires personnelles dans les voitures.
Ils auraient crié "Ne nous appelez plus Kyantphut", Kyantphut étant un qualificatif
désobligeant appliqué aux membres de l'Association pour la solidarité et
le développement de l'Union (USDA), une organisation de masse favorable au
Gouvernement. D'après les témoignages, 50 à 70 personnes gisaient sur la
route, soit blessées soit tuées. À 21 heures, la violence avait cessé.
16.
Il a été rapporté qu'après que la situation se fut
apaisée, environ huit véhicules, dont des camions, sont arrivés sur place.
Leurs passagers ont placé des couvertures sur les corps et les ont chargés
sur les camions. Selon ces informations, certains de ceux qui manipulaient
les corps portaient des uniformes militaires. Ils ont aussi nettoyé la route
avec des branchages arrachés aux arbres environnants.
17.
Selon certaines informations, des "éclaireurs" avaient
précédé le convoi dans une voiture pour recueillir des renseignements. Ils
ont été arrêtés par des agents de police en uniforme et emmenés dans un
complexe de bâtiments gouvernementaux près d'un poste de contrôle où ils
ont été fouillés par la police, menottés et enfermés dans une pièce. Puis,
le soir, ils ont été placés dans un camion où ils ont passé la nuit. De
ce camion, ils n'ont pu observer l'attaque du convoi, mais ils auraient
entendu des cris et le son des coups assénés. Eux mêmes n'ont pas été battus,
mais ils ont été menacés d'une longue peine de prison; certains ont été
mis en joue avec une arme à feu. Au poste de contrôle, la personne qui, selon
les témoignages, donnait les ordres, se faisait appeler "chef" et était
en partie vêtue d'un uniforme militaire.
18.
Daw Aung San Suu Kyi voyageait aux premiers rangs
de l'escorte dans la cabine d'une camionnette avec deux autres personnes;
d'autres personnes encore étaient assises dans le plateau découvert de la
camionnette. Lorsque celle ci a été attaquée, l'un des compagnons de Daw
Aung San Suu Kyi lui a fait baisser la tête et l'a couverte de son corps
tandis que le conducteur forçait le passage, parvenant à Ye u, une ville
située au delà de Depayin. À l'entrée, ils ont dû s'arrêter devant une barre
placée en travers de la route.
19.
Daw Aung San Suu Kyi et ses compagnons ont alors
été emmenés au commissariat de police de Ye u, où ils sont restés dans ce
qui ressemblait à une chambre d'hôtes jusqu'à 1 heure du matin. En fin de
matinée, on lui a dit que des dispositions avaient été prises pour l'emmener
ailleurs. C'est alors qu'elle s'est rendu compte que U Tin Oo et d'autres
personnes du convoi qui avaient été distancées se trouvaient elles aussi
à Ye u. Comme elle refusait de s'en aller sans les autres, des femmes policiers
l'ont transportée dans une voiture. Elles se sont mises en route, s'arrêtant
deux fois, une première fois aux toilettes du 6e bataillon de chars et une
deuxième fois dans une maison d'hôtes de l'armée à Minbu. Elles ont roulé
pendant 24 heures, pour arriver à la prison d'Insein à 8 h 20, le 1er juin.
Daw Aung San Suu Kyi a alors été logée dans une petite maison située dans
l'enceinte de la prison jusqu'au 24 juin, date à laquelle elle a été transférée
à Ye Gaung Yeiktha, dans le camp militaire de Ye Mon. Elle a quitté le camp
le 16 septembre, pour être opérée dans un hôpital. Elle est restée 10 jours
à l'hôpital puis est retournée chez elle le 26 septembre.
20.
Les événements du 30 mai et les faits connexes que
décrit le Rapporteur spécial dans son rapport provisoire et dans le présent
rapport ont constitué une régression de la situation des droits de l'homme
et ont été déterminants dans le changement d'attitude de la communauté internationale
à l'égard du Myanmar. Le SPDC a fait l'objet d'une condamnation internationale
sans précédent qui s'est traduite par une aggravation des sanctions prises
à l'encontre du pays.
21.
Une réparation effective des violations des droits
de l'homme qui ont été commises au cours de cet incident donnerait au pays
une orientation morale lui permettant de s'engager sur la voie de la réconciliation
nationale et de la démocratisation. Il ne s'agit pas de demander vengeance,
ni de prendre une position politique partisane. Laisser passer cette chance
de réconciliation serait lourd de conséquences. Le Rapporteur spécial a
donc proposé au SPDC de le laisser effectuer une évaluation indépendante
de l'incident de Depayin dans le cadre de son mandat, ou d'apporter son
aide à la conduite d'une enquête exhaustive et indépendante.
B. Prisonniers politiques
22.
Malgré les appels répétés qu'a lancés le Rapporteur
spécial au Gouvernement pour qu'il s'abstienne de nouvelles arrestations,
on lui a rapporté qu'il y avait eu environ 250 nouvelles arrestations depuis
le 30 mai 2003. Selon les derniers chiffres communiqués par le Gouvernement,
toutefois, 153 personnes ont été arrêtées dans le cadre de l'incident de
Depayin et sur ces 153 personnes, 125 auraient été libérées jusqu'à présent,
y compris les 8 détenus libérés le 9 novembre 2003 (le lendemain du départ
du Rapporteur spécial), et 16 autres libérées le 5 décembre. Pour sa part,
le Rapporteur spécial estime, après avoir procédé à un recoupement des chiffres
émanant de diverses sources, que le nombre de détenus restants est vraisemblablement
plus élevé que le chiffre officiel.
23.
Le Rapporteur spécial accueille avec satisfaction
la libération d'autres prisonniers, notamment d'un groupe de 58 personnes
dont 49 femmes enceintes ou accompagnées de jeunes enfants, et 9 prisonniers
de plus de 65 ans, libérés pour des raisons humanitaires le 18 novembre
2003; aucun d'eux n'avait été emprisonné pour délit d'opinion. Par ailleurs,
il se félicite aussi de la libération, après près de six mois d'assignation
à résidence, de cinq membres éminents de la NLD: Hla Pe, Nyunt Wai, Than
Tun et Soe Myint ont été libérés le 28 novembre et Lun Tin le 29 novembre.
Le Rapporteur spécial espère que ces libérations seront immédiatement suivies
de la libération inconditionnelle de tous les autres prisonniers politiques.
24.
Les motifs d'arrestation de ces individus restent
profondément arbitraires, et sont fondés sur des textes qui criminalisent
l'exercice des droits fondamentaux et des libertés d'expression, d'information,
de circulation, de réunion et d'association, ainsi que sur certaines dispositions
du Code pénal. On peut citer comme exemple le cas de Zaw Thet Htway, éditeur
du magazine de sports First Eleven et membre du Parti démocratique pour
une société nouvelle, arrêté en compagnie de Aye Myint, Zaw Zaw, Zar Naing
Htun, Ne Win, Shwe Mann, Than Htun, Myo Htway et Nai Min Kyi.[3] Ces neuf
personnes auraient toutes été arrêtées le 17 juillet 2003, reconnues coupables
et condamnées à mort le 28 novembre 2003 par une cour martiale de Yangon
en vertu de l'article 122/1 de la loi relative à la haute trahison pour
avoir prétendument tenté d'assassiner les dirigeants du SPDC. Il a été relaté
qu'une haute personnalité du Gouvernement, le colonel San Pwint, a annoncé
le 26 juillet que les services de sécurité avaient contrecarré un projet
d'attentats à la bombe en série. Ces personnes ont aussi été accusées d'avoir
eu des contacts avec des organisations politiques en exil. Le Rapporteur
spécial a évoqué cette affaire devant les autorités du Myanmar le 4 décembre
2003 dans le cadre d'un appel urgent adressé conjointement avec le Rapporteur
spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et
le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression.
25.
Le Rapporteur spécial réaffirme la nécessité d'une
amnistie générale de tous les prisonniers politiques qui servirait de "baromètre"
d'une transition politique sérieuse (pour de plus amples développements
sur l'amnistie, voir le rapport du Rapporteur spécial E/CN.4/2002/45, par.
41 à 47). On trouve dans l'histoire politique du Myanmar des exemples de
lois d'amnistie qui pourraient encourager le Gouvernement à prendre une
telle initiative à ce stade.
26.
Concernant la situation actuelle de Daw Aung San
Suu Kyi, le Rapporteur spécial a été informé par les autorités qu'elle n'est
plus détenue en vertu d'aucune disposition des lois sur la "sécurité". Sa
ligne téléphonique demeure cependant coupée et des dispositions en matière
de sécurité la concernant demeurent en place. Elle est en effet dans la situation
d'une personne assignée à résidence. Elle a fait savoir très clairement au
Rapporteur spécial qu'elle n'accepterait pas d'être remise en liberté tant
que toutes les personnes arrêtées depuis le 30 mai 2003 n'auraient pas été
libérées. À la connaissance du Rapporteur spécial, les autorités n'ont encore
fait aucune offre de la libérer, mais elles affirment dans le même temps
qu'elles sont en rapport constant avec elle et que les contacts sont positifs.
C. La Convention nationale
27.
Le Gouvernement du Myanmar a commencé les préparatifs
de la reconvocation de la Convention nationale, suspendue depuis 1996. Revitaliser
la Convention nationale est la première mesure prise au titre de la feuille
de route en sept points pour la réconciliation nationale et la transition
démocratique présentée par le nouveau Premier Ministre, le général Khin
Nyunt, le 30 août 2003. Les autres éléments de la feuille de route sont:
i) la mise en œuvre progressive du processus nécessaire à l'instauration
"d'un véritable système démocratique réglementé"; ii) la rédaction d'une
nouvelle constitution; iii) son adoption par référendum national; iv) la
tenue d'élections libres et régulières; v) la convocation des organes élus;
vi) l'édification d'une "nation moderne, développée et démocratique" par
les dirigeants élus de l'État et les organes du Gouvernement créés par l'organe
législatif.
28.
Au moment de cette annonce, le Rapporteur spécial
a noté que ces mesures présentaient des objectifs très généraux et étendus,
donnés sans aucune précision ni aucun échéancier. De surcroît, ces objectifs
politiques dépendent de l'instauration de la paix et de la stabilité, de
l'unité nationale et du développement économique, toutes tâches d'une ampleur
redoutable, avec lesquelles les gouvernements successifs du Myanmar se sont
trouvés aux prises. On ne savait pas non plus très bien quel rôle, si tant
est qu'ils en aient un, la NLD, qui a remporté les élections générales de
1990, et les autres partis démocratiques seraient autorisés à jouer dans
le processus politique futur. On ne disposait en outre d'aucune indication
sur la façon dont la Convention nationale serait instituée, ni sur la date
à laquelle elle se réunirait.
29.
Avant la dernière mission du Rapporteur spécial,
le Gouvernement avait annoncé la reconstitution de trois organismes chargés
de préparer la reconvocation de la Convention nationale: i) la Commission
d'organisation de la Convention nationale (NCCC) chargée de superviser la
rédaction de la constitution, comprenant 18 membres et présidée par le nouveau
Deuxième Secrétaire du SPDC récemment nommé, le général Thein Sein (le 6
septembre); ii) la Commission de travail pour l'organisation de la Convention
nationale, composée de 35 membres (le 2 octobre); iii) la Commission de gestion
pour l'organisation de la Convention nationale, composée de 43 membres (le
21 octobre). Le Rapporteur spécial a constaté que ces organismes ne comprenaient
aucun membre de la NLD ni d'aucun autre parti politique, ni aucun représentant
des ethnies. L'USDA avait aussi organisé dans tout le pays des manifestations
de masse en faveur de la feuille de route auxquelles la population aurait
été forcée de participer. Le SPDC aurait par ailleurs tenu une réunion avec
des groupes ayant signé les accords de cessez-le-feu pour examiner la question
de la Convention nationale.
30.
Au cours de sa dernière visite, le Rapporteur spécial
a recueilli suffisamment d'éléments pour pénétrer la façon de penser et
le comportement actuel du SPDC et d'autres entités concernant la feuille
de route et plus particulièrement la Convention nationale. Il a eu de longs
entretiens avec le Président et d'autres membres de la NCCC. On l'a informé
que les trois organismes susmentionnés avaient tenu leur première réunion
commune le 5 novembre 2003. On lui a laissé entendre que les 104 Principes
qui avaient été élaborés par la précédente Convention nationale serviraient
de point de départ à la nouvelle; que tous les partis politiques pourraient
participer dans des conditions d'égalité à la Convention en tant que l'une
des huit catégories éligibles de participants; enfin, que de nouvelles élections
se tiendraient conformément à une nouvelle constitution. À la question précise
qu'il a posée sur la participation de la NLD, il lui a été répondu que l'on
comptait que celle ci prenne part à la Convention nationale sur un pied
d'égalité avec les autres partis politiques et qu'il appartenait désormais
à la NLD de faire le premier pas et de se joindre au processus. Des indications
qu'il a reçues de divers interlocuteurs, le Rapporteur spécial conclut qu'il
est peu vraisemblable que l'on tienne compte des résultats des élections
de 1990. En outre, le processus de la Convention nationale devrait encore
faire siens les éléments propices à un processus authentiquement libre,
transparent et associant sans exclusive l'ensemble des partis politiques,
des ethnies et de la société civile.
31.
Après sa mission, le Rapporteur spécial a pris note
de ce que le 16 décembre 2002, le Ministre des affaires étrangères du Myanmar,
lors d'une réunion à Bangkok, a déclaré que le SPDC avait fixé un calendrier
pour la feuille de route et que certaines étapes de celle ci, notamment
la rédaction d'une nouvelle constitution par la Convention nationale, seraient
achevées en 2004.
32.
Le Rapporteur spécial n'ignore pas combien il est
difficile de rassembler tous les éléments de la société dans un esprit de
respect mutuel, de coopération et d'équité qui, pense t il, devrait trouver
sa pleine expression grâce à une constitution démocratique après 15 ans
de vide constitutionnel au Myanmar. La première Constitution a été adoptée
en 1947, avant l'indépendance, et la deuxième a été mise en place en 1974
à l'époque du gouvernement Ne Win. Après avoir pris le pouvoir le 18 septembre
1998, l'actuel gouvernement militaire a abandonné la Constitution de 1974.
Cependant, les travaux de rédaction d'une nouvelle constitution n'ont jamais
été achevés par la précédente Convention nationale en raison de l'absence
d'une démocratie "procédurale" et de violations des droits individuels des
participants à la Convention ainsi que de l'absence d'un environnement général
"porteur" dans le pays. S'il doit y avoir une nouvelle convention nationale,
il convient de tirer les leçons du passé, et le processus doit s'inspirer
des principes des droits de l'homme si l'on veut qu'il ait une chance de
succès. Dans toute discussion sur la démocratie, après tout, il convient
de prendre en considération et de respecter les principes fondamentaux touchant
à la démocratie et les droits de l'homme qui sont reconnus au plan international.
33.
Les précédents rapporteurs spéciaux ont bien documenté
le bilan historique des violations des droits de l'homme commises au cours
de la précédente Convention nationale
(1993 1996). Les droits individuels des participants à cette Convention
- les droits à la liberté d'expression, de réunion, d'association et de circulation,
et le droit de ne pas être arbitrairement détenu - ont été systématiquement
violés. Si le SPDC veut promouvoir un processus authentique de transition
politique vers un gouvernement démocratique, il existe certaines prescriptions
fondamentales en matière de droits de l'homme qui doivent être remplies. Les
délégués à la Convention devraient être librement choisis et représenter tout
l'éventail des partis politiques et des groupes ethniques minoritaires, dans
des proportions conformes aux résultats des élections de 1990. Ils doivent
avoir la liberté de s'exprimer librement à la Convention (par exemple, sans
que le Président ne les y "autorise" préalablement), de se consulter sans
entraves, d'apporter et de distribuer des documents et autres matériels. Ils
doivent pouvoir contester pacifiquement les procédures et autres restrictions
fixées par les autorités et s'y opposer. Les délégués doivent aussi jouir
de la liberté de circulation, en particulier ne pas être confinés dans leurs
dortoirs et pouvoir retourner dans leurs circonscriptions pour des consultations
au cours de la Convention. Ils ne doivent pas être arrêtés pour leurs activités
pacifiques exercées relativement à la Convention. Les partis politiques et
autres groupements ne doivent pas être expulsés de la Convention pour ce qu'ils
disent ou préconisent pacifiquement. Les partis politiques ne devraient pas
être radiés ni écartés de quelque autre manière de la Convention.
34.
Les droits et libertés politiques doivent être respectés
pour créer un environnement porteur, favorable à une transition démocratique
réussie. L'application des réformes concernant les droits de l'homme énoncées
par le Rapporteur spécial dans ses rapports et dans ses lettres aux autorités
du Myanmar aidera à créer un climat ou un environnement porteur, susceptible
d'autoriser des discussions ouvertes et étendues entre le SPDC, tous les
partis politiques, toutes les ethnies et un large échantillon de secteurs
de la société civile. Pour cela, il faut lever toutes les restrictions qui
subsistent aux libertés d'expression, de circulation, d'information, de réunion
et d'association et abroger les textes législatifs connexes relatifs à la
"sécurité". La libération de tous les prisonniers politiques et l'ouverture
ou la réouverture de tous les bureaux des partis politiques doivent être
considérées comme une priorité immédiate. Tous les partis politiques doivent
être libres d'exercer des activités politiques pacifiques. À l'heure actuelle,
le seul parti politique capable d'exercer ses activités est le Parti de l'unité
nationale, aligné sur le SPDC. Les neuf autres partis légalement enregistrés
n'existent que de nom en raison des restrictions en vigueur. Il ne devrait
plus y avoir d'arrestations pour activités politiques pacifiques. La liberté
de circulation et d'activité politique de Daw Aung San Suu Kyi et des autres
dirigeants et membres de la NLD doit être immédiatement rétablie pour garantir
leur participation aux tout premiers stades de la Convention nationale, si
le SPDC veut montrer qu'il est vraiment sérieux quand il parle de transition
démocratique.
35.
Les principes des droits de l'homme devraient être
incorporés dans la nouvelle Constitution du Myanmar. S'il appartient au
peuple du Myanmar de décider de la structure de son propre gouvernement,
il existe certains principes relatifs aux droits de l'homme et à l'état
de droit qui devraient faire partie intégrante de toute constitution au
XXIe siècle. Ces principes devraient comprendre des garanties expresses
en matière de respect des droits de l'homme concernant les droits civils
et politiques comme les droits économiques, sociaux et culturels; la non
discrimination; l'indépendance de la magistrature et d'autres mécanismes
d'obligation redditionnelle; la possibilité de former recours contre les
abus de pouvoir des fonctionnaires. Il existe de nombreuses constitutions
exemplaires dans la région, notamment celles de la Thaïlande et des Philippines,
qui pourraient être étudiées.
36.
Le Rapporteur spécial note que les autorités du
Myanmar, à tous les échelons, ont donné leur accord de principe à sa proposition
d'incorporer les droits de l'homme et les libertés dès les premiers stades
de tout processus menant à la transition politique. Il compte que des indications
crédibles seront données quant à la date et aux modalités d'application
de ces réformes concernant les droits de l'homme pour confirmer l'engagement
pris par les autorités de concrétiser cet accord exprès.
D. Conditions de détention
37.
Au cours de la période considérée, le Rapporteur
spécial a continué de suivre les conditions de détention et de traitement
des prisonniers politiques dans divers établissements pénitentiaires (pour
son précédent rapport sur ce sujet, voir E/CN.4/2003/41, par. 21 à 24). Il
a le plaisir de faire savoir que les prisonniers politiques interrogés dans
la prison d'Insein au cours de sa dernière mission n'ont pas été soumis à
des harcèlements, menaces ou punitions pour s'être entretenus avec lui ou
son équipe en mars 2003. Il demeure cependant préoccupé par la pratique dite
de "débriefing" suivie par les officiers du renseignement militaire, bien
qu'il semble qu'elle ne soit plus systématique - certains prisonniers politiques
seulement y étant actuellement soumis, apparemment sans contrainte physique.
38.
Le Rapporteur spécial se félicite des légères améliorations
apportées aux conditions de détention des prisonniers politiques condamnés
incarcérés dans la prison d'Insein depuis sa visite de mars 2003. Les prisonniers
avec lesquels il s'est entretenu peuvent désormais recevoir des journaux
et revues, en sus des livres religieux. Les prisonniers âgés continuent de
recevoir régulièrement des médicaments et des soins de santé, quoique la
quantité de médicaments soit parfois insuffisante selon certaines informations.
39.
On reste toutefois préoccupé par les disparités
observées dans les conditions qui règnent dans les différents quartiers
s'agissant de la qualité de l'alimentation et de l'absence d'articles de
première nécessité comme des moustiquaires, ainsi que de la pratique de
la mise à l'isolement, de l'incarcération de détenus loin de leur lieu de
résidence et de l'absence d'intimité au cours des visites familiales. Ainsi
par exemple, les détenus restent isolés en permanence dans leur cellule
et les cours attenantes et ne sont pas autorisés à se promener dans les
couloirs ou à l'extérieur des complexes dans lesquels sont situées leurs
cellules. Cet isolement a des effets dévastateurs, en particulier sur les
prisonniers politiques âgés. Le Rapporteur spécial demeure particulièrement
troublé par la pratique consistant à prolonger la détention des prisonniers
politiques qui ont déjà purgé leur peine en les plaçant sous "détention administrative"
en vertu de l'article 10 a) de la loi de 1975 sur la protection de l'État.
Ceci continue d'être appliqué même à des détenus très âgés et invalides.
Quoiqu'il soit heureux de faire savoir que leur force de caractère n'a pas
fléchi en dépit de la longueur de leur emprisonnement, le Rapporteur spécial
condamne cette pratique qu'il considère comme cruelle et inacceptable et
ne peut souscrire à l'opinion des autorités selon laquelle cette mesure est
conforme au droit interne. Il renouvelle donc sa recommandation tendant à
ce que ces dispositions législatives soient abrogées car elles sont clairement
contraires aux normes internationales en matière de droits de l'homme.
40.
Le Rapporteur spécial tient à bien marquer sa préoccupation
concernant les mauvais traitements que l'on continue d'infliger aux personnes
placées en détention avant jugement, et tout particulièrement, selon certaines
informations, dans les centres d'interrogatoire du renseignement militaire.
Les détenus sont toujours soumis à diverses formes de brutalités. Ainsi,
par exemple, on leur met un bandeau sur les yeux et ils sont menottés, ils
doivent se tenir debout sur une jambe les bras levés, ou encore ils sont
battus non seulement à coups de poing mais encore à l'aide de matraques de
bambou ou de caoutchouc. D'autres pratiques assimilables à de la "torture
mentale" sont aussi répandues au cours de la détention avant jugement: privation
de sommeil - et quelquefois aussi de nourriture - au cours des interrogatoires
et refus d'accorder des soins médicaux appropriés.
41.
Le Rapporteur spécial continue d'être très inquiet
pour les personnes détenues avant jugement ou en cours de jugement qui sont
mises à l'isolement. Avant et pendant le procès, elles ne sont pas autorisées
à recevoir des visites - ni quelquefois même des colis - de leur famille.
Dans la plupart des cas, les familles ne sont même pas informées du lieu
où elles se trouvent. Le temps qui s'écoule entre l'arrestation et le début
du procès est trop long, et dans de nombreux cas les détenus ne sont informés
des charges retenues contre eux qu'à l'ouverture du procès. En outre, les
détenus politiques continuent de se voir dénier le droit à un procès équitable.
Le plus souvent, ils ne peuvent consulter un avocat et s'ils le font, ils
n'ont pas suffisamment de temps pour préparer comme il convient leur défense.
Dans la plupart des cas, ils ne voient leur avocat, si tant est qu'ils en
aient un, que les jours d'audience.
42.
Concernant les détenus de droit commun, le Rapporteur
spécial s'émeut des informations faisant état de l'existence de pratiques
que l'on peut qualifier de conditions de détention inhumaines. Les détenus
de droit commun seraient utilisés comme porteurs à moins qu'ils n'aient
les moyens de corrompre le personnel de la prison pour y échapper. Le Rapporteur
spécial a eu connaissance d'informations selon lesquelles le Ministère de
l'intérieur semble reconnaître cette pratique puisque la mention "camps
de porteurs" figure dans ses documents officiels.
E. Violence religieuse
43.
Le Rapporteur spécial continue d'être préoccupé
de ce que, selon certaines informations, il y aurait des cas d'intolérance
religieuse au Myanmar. Il a traité en détail de cas de voies de fait contre
des musulmans signalés en 2001 (voir E/CN.4/2002/45, par. 66 à 68).
44.
En 2003, des incidents d'intolérance religieuse
auraient éclaté au mois de mai et il semble qu'il y ait une escalade de
la violence religieuse dans tout le pays depuis octobre, se traduisant notamment
par des incendies de villages. Il y aurait eu des tués et des blessés. Il
a été rapporté que ces actes de violence religieuse visaient principalement
les communautés musulmanes et étaient délibérés. Selon certaines informations,
de faux moines ont été utilisés au cours de ces incidents, et l'on en aurait
vus qui étaient munis de téléphones portables et d'armes à feu. Le Rapporteur
spécial a aussi entendu dire que bien que des plaintes aient été déposées
auprès des autorités compétentes, aucune action en justice, ni même aucune
enquête, n'a apparemment été ouverte. Des communautés musulmanes auraient
été déplacées à la suite de ces incidents. Le Rapporteur spécial a pu vérifier
au cours de sa dernière mission la nature et la source de cette violence.
Il tient donc à faire observer qu'il est encore trop tôt pour dire si les
récentes expressions d'intolérance et de violence religieuse ne sont que
des phénomènes cycliques plus qu'inacceptables ou si elles revêtent une dimension
politique.
45.
Le Rapporteur spécial a aussi continué de recevoir
des informations selon lesquelles il existerait une discrimination de fait
fondée sur la religion. Par exemple, les musulmans souffriraient de discrimination
à l'embauche et ceux qui sont fonctionnaires auraient tendance à ne pas
être promus. Les musulmans se heurteraient à plus de difficultés que les
autres pour obtenir des pièces d'identité s'ils déclarent leur religion,
et leur liberté d'imprimer et de diffuser des livres islamiques et d'autres
publications serait soumise à restrictions.
46.
Dans ses entretiens avec le Gouvernement sur cette
question, le Rapporteur spécial a été informé que les autorités avaient
pris de nombreuses initiatives pour protéger les minorités religieuses de
toute discrimination ou de tout préjudice, qu'elles soient musulmanes ou
adeptes d'autres religions, et que les mesures nécessaires avaient été prises
contre les "moines bouddhistes indisciplinés" en vertu des lois en vigueur.
F. Évaluation indépendante de la situation dans l'État chan
47.
Le Rapporteur spécial demeure préoccupé par la persistance
d'allégations selon lesquelles de graves violations des droits de l'homme
seraient commises dans les régions habitées par des minorités ethniques,
en particulier dans l'État chan. Malgré tous ses efforts pour mener à bien
l'évaluation indépendante qu'il avait proposée dans l'État chan (voir E/CN.4/2003/41,
par. 35 à 41, et A/58/219, par. 27 à 36), il n'y a toujours pas d'accord
sur les modalités qu'il avait avancées.
48.
Le Rapporteur spécial a été informé par les autorités
au cours de sa dernière visite au Myanmar des raisons pour lesquelles celles-ci
tardaient à répondre à sa proposition. Pour le Gouvernement, certaines dispositions
soit étaient trop inquisitrices, soit n'étaient pas viables eu égard à la
situation en matière de sécurité sur le terrain. Par conséquent, de nouvelles
consultations avec le Bureau du renseignement militaire étaient nécessaires
pour évaluer cette proposition.
49.
Le Rapporteur spécial a porté cette question devant
les fonctionnaires compétents du renseignement militaire. Il leur a personnellement
remis son dernier rapport intérimaire qui contenait, entre autres, les modalités
proposées assorties d'un compte rendu détaillé de ses contacts avec les
autorités du Myanmar sur la question de l'évaluation dans l'État chan.
50.
Le Rapporteur spécial saisit cette occasion pour
bien marquer une fois encore l'importance que revêt cette évaluation pour
le peuple du Myanmar et réaffirme être prêt à l'entreprendre. Il espère que
le Gouvernement du Myanmar examinera sérieusement sa proposition, ainsi que
le demande l'Assemblée générale dans sa dernière résolution sur ce sujet,
la résolution 58/247.
G. Enfants soldats
51.
Au cours de la période considérée, le Rapporteur
spécial a continué de suivre la question des enfants soldats (voir E/CN.4/2003/41,
par. 31 à 34). Il tient à exprimer sa profonde préoccupation devant les
cas signalés de recrutement forcé de garçons par les militaires au Myanmar
depuis un ou deux ans. Ces garçons sont âgés de 14 à 16 ans et ont été envoyés
en renfort dans certaines régions habitées par des minorités ethniques.
Il semble qu'en raison de leur jeune âge, ils n'ont pas été directement
impliqués dans des activités de combat, mais qu'ils aient été affectés à
la garde ou au transport de matériels militaires. Ils ont finalement été
capturés par des groupes armés et transférés en Thaïlande. De graves inquiétudes
pèsent actuellement sur leur sécurité et celle de leur famille. Le Rapporteur
spécial invite donc instamment l'Organisation des Nations Unies, en coopération
avec les autorités compétentes de Thaïlande, à trouver rapidement des solutions
positives pour ces cas.
52.
Dans l'attente d'une évaluation plus approfondie
dans ce domaine, le Rapporteur spécial ne peut rendre compte de l'ampleur
exacte de la pratique du recrutement forcé d'enfants soldats au Myanmar.
Toutefois, les indications inquiétantes qu'il a pu découvrir laissent penser
que cette pratique est vraisemblablement répandue non seulement parmi les
forces régulières mais aussi parmi les armées rebelles. À cet égard, il réitère
les recommandations figurant dans le rapport susmentionné et se félicite
de l'invitation faite par le Gouvernement du Myanmar au Représentant spécial
du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés de se rendre
dans le pays.
H. Formation militaire obligatoire des civils
53.
Le Rapporteur spécial est profondément préoccupé
de ce que selon certaines informations, la formation militaire obligatoire
des civils serait un phénomène largement répandu. On ne sait pas bien quels
en sont le fondement juridique ni les finalités. Cette formation semble être
devenue systématique depuis mai 2003, touchant les fonctionnaires et leur
famille aussi bien que la population générale (c'est-à-dire les personnes
qui n'ont aucun lien avec la fonction publique). On dit que chaque ville
doit envoyer un certain nombre de personnes la suivre - principalement des
hommes de 18 à 40 ans, mais aussi parfois des femmes. Les civils seraient
obligés de la suivre pendant un mois à temps partiel ou deux semaines à plein
temps et ils subiraient des difficultés économiques causées par leur absence
au travail. Pis encore, dans certains cas, ils doivent aussi supporter le
coût de la formation et de certaines armes telles que des matraques de bambou.
Une fois leur formation achevée, leurs noms sont enregistrés et ils peuvent
être rappelés à tout moment. Cette formation semble être différente de celle
des milices populaires, qui remonte à plusieurs décennies, car elle met
davantage l'accent sur l'acquisition d'aptitudes à l'organisation (à la
"mobilisation") que sur les aptitudes militaires.
III. QUESTIONS DIVERSES
A. Coopération avec l'Équipe de pays des Nations Unies et d'autres membres
d'organismes d'assistance
54.
Les souffrances des personnes vulnérables au Myanmar
sont manifestes. Le Rapporteur spécial n'ignore pas les activités que déploient
les organismes d'assistance pour les atténuer dans des domaines tels que
la santé, la protection, l'éducation et l'emploi. Beaucoup plus reste à faire;
on ne peut faire payer aux personnes vulnérables du Myanmar des politiques
économiques qui ne s'intéressent pas suffisamment aux pauvres. Le Rapporteur
spécial se félicite de l'initiative prise par l'Équipe de pays des Nations
Unies pour dresser la carte des vulnérabilités au Myanmar et concevoir ensuite
une stratégie pour les éliminer.
55.
Le Rapporteur spécial a suivi la situation du VIH/sida
dans ses différents rapports. Au cours de sa dernière mission, il a visité
l'exposition récemment inaugurée sur le VIH/sida pour observer les efforts
déployés par les différents organismes partenaires d'aide au développement
dans leur lutte contre les conséquences sociales du VIH/sida. Il a été impressionné
de ce que le Gouvernement ait publiquement reconnu le problème et qu'il
coopère avec les organismes d'aide au développement pour prévenir et combattre
le VIH/sida. Il a aussi été impressionné par la présence de nombreux écoliers
à cette exposition et par la participation de moines à la sensibilisation
du public au VIH/sida.
56.
Le Rapporteur spécial est heureux de faire savoir
que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme
a alloué 98,5 millions de dollars des États-Unis au Myanmar sur une période
de cinq ans. Il encourage vivement le Gouvernement à saisir cette occasion
pour renforcer sa coopération avec l'Équipe de pays des Nations Unies.
57.
Le Rapporteur spécial a été impressionné par les
travaux de la communauté des Nations Unies et de ses partenaires au Myanmar,
notamment par la coopération qui s'est établie entre le Haut Commissariat
des Nations Unies aux réfugiés (HCR) et la Commission des droits de l'homme
du Myanmar pour dispenser aux fonctionnaires une formation dans le domaine
des droits de l'homme. C'est là le premier exemple d'une telle coopération
entre l'ONU et les autorités du Myanmar. Le Rapporteur spécial se félicite
aussi du dialogue qui s'est instauré entre le HCR et le Gouvernement sur
la question du travail forcé dans l'État Rakhine. Cette coopération s'est
traduite par quelques changements localisés d'orientation politique ainsi
que par un recul du travail forcé de 2001 à 2003. Eu égard aux progrès enregistrés
dans l'État Rakhine, pour lesquels les autorités compétentes n'ont pas encore
reçu une pleine reconnaissance, le Rapporteur spécial encourage le Gouvernement
à reproduire ses succès dans d'autres régions du pays en coopérant avec le
système des Nations Unies, notamment l'Organisation internationale du Travail.
58.
Le Rapporteur spécial voudrait proposer que l'Équipe
de pays des Nations Unies explore d'autres formes de coopération, par exemple
dans le domaine des réformes économiques et des options en matière de moyens
de subsistance durables, si la transition politique aboutit à un résultat
positif.
59.
Le Rapporteur spécial note que le SPDC a continué
de coopérer avec le CICR. Le Gouvernement du Myanmar l'a informé que lors
de sa dernière mission, le CICR avait fait 234 visites dans les établissements
pénitentiaires. Le Rapporteur spécial accueille favorablement l'accord donné
par le SPDC à une proposition du CICR, appuyée par son propre mandat, tendant
à établir la présence du CICR dans plusieurs États et circonscriptions touchés
par le conflit.
B. Effets des sanctions
60.
Le Rapporteur spécial a déclaré à plusieurs reprises
que l'imposition de sanctions relève des politiques des États Membres et
qu'il ne considère pas que son rôle consiste à conseiller les gouvernements
en la matière. Néanmoins, il croit devoir faire observer que des sanctions
frappent le Myanmar depuis 14 ans et que de nouvelles sanctions lui ont été
imposées par les États Unis d'Amérique en juillet 2003. Ces dernières prévoient
des restrictions à l'octroi de nouveaux visas aux personnalités du Gouvernement
du Myanmar désireuses de se rendre aux États Unis, ainsi que le gel des
avoirs, une interdiction d'importation et, surtout, l'interdiction à tout
citoyen des États Unis de fournir des services financiers, notamment en
matière de remise de fonds et de facilitation du commerce.
61.
Le Rapporteur spécial a pris acte d'un rapport et
d'informations présentés par le Département d'État des États-Unis en octobre
2003 à la Commission des relations internationales du Congrès des États-Unis
concernant les effets de ces sanctions. Ces mesures, en particulier l'interdiction
de fournir des services financiers, auraient eu pour effet immédiat de disloquer
l'économie du Myanmar. Le secteur du vêtement a été le plus touché par l'interdiction
d'importation et le Gouvernement a été incapable ou peu désireux d'aider
les commerces affectés ou leurs employés. L'interdiction d'importer des produits
provenant du Myanmar avait déjà entraîné à cette époque 30 000 à 40 000
licenciements dans l'industrie du vêtement et l'on estimait que 100 000
personnes pourraient à la longue perdre leur emploi. Il a été noté que cela
provoquerait un chômage important et peut être une augmentation du nombre
de migrants économiques à la recherche d'un emploi illégal au Myanmar ou
de l'autre côté de la frontière, en Thaïlande et en Chine. La plupart seraient
de jeunes femmes sans autre moyen de gagner leur vie et certaines seraient
entraînées de force ou par la tromperie dans le commerce du sexe et la prostitution.
62.
Au cours de sa dernière mission, le Rapporteur spécial
a reçu de nouvelles informations émanant de sources fiables sur les effets
de ces sanctions. La suspension des exportations vers les États-Unis, surimposée
au boycottage de consommateurs en Europe et à une situation économique généralement
catastrophique pour les fabricants et les investisseurs étrangers, aurait
provoqué la fermeture d'au moins 62 usines, la plupart dans le secteur du
vêtement, dans les municipalités Hlaing Tharyar et Dagon sud de Yangon,
faisant environ 50 000 chômeurs, dans leur grande majorité des femmes dont
beaucoup étaient le seul soutien de leur famille. Il semble bien que les
femmes et les filles soient particulièrement exposées au risque de tomber
victimes de la traite ou d'être exploitées, ou encore de se retrouver migrantes
en situation irrégulière, en particulier celles qui ont quitté leur village
pour trouver du travail dans ces usines et qui n'ont désormais plus de travail
ni nulle part où aller. Le Rapporteur spécial tient à répéter qu'il ne s'agit
ici que de conclusions provisoires concernant l'impact des sanctions sur
la vie des personnes vulnérables au Myanmar, et que les nombreuses décennies
de mauvaise gestion économique de la part des autorités du Myanmar sont pour
beaucoup dans les rigueurs décrites dans le présent rapport. Toutefois,
il encourage les organismes d'aide au développement à suivre de près l'évolution
de la situation dans ce domaine, s'agissant en particulier de l'établissement
de la carte des vulnérabilités et de la conception d'une stratégie visant
à les éliminer.
IV. OBSERVATIONS FINALES ET RECOMMANDATIONS
63.
Revenant sur la période de mai 2002 à mai 2003,
où nombreux étaient ceux qui entretenaient quelque espoir, quoique mélangé
d'incertitudes, le Rapporteur spécial a l'impression que l'on a manqué plusieurs
occasions d'exploiter les efforts consentis auparavant pour établir la confiance.
Parce que les rapports de confiance mutuelle n'étaient pas suffisamment
solides, la méfiance, et non la confiance, a fini par l'emporter.
64.
Le Rapporteur spécial tient à faire observer qu'il
se concentre encore sur nombre de questions qui sont aujourd'hui les mêmes
qu'à l'époque de sa nomination, car les progrès réalisés depuis jusqu'au
premier semestre de 2003, quoique encourageants, n'étaient pas suffisants,
et aussi parce que les événements du 30 mai ont constitué un retour en arrière
pour les droits de l'homme au Myanmar. Il réaffirme qu'assurer le bien-être
de sa population en respectant dûment les droits de l'homme et les libertés
fondamentales est la première des tâches de tout gouvernement. C'est une
tâche aussi importante que d'assurer la paix et la stabilité du pays, et
c'est une condition préalable à l'avènement de la justice et du développement
durable dans toutes les régions du monde. À cet égard, le Rapporteur spécial
demande au SPDC d'envisager sérieusement d'appliquer les recommandations
qu'il a faites dans ses rapports sur les réformes à accomplir dans le domaine
des droits de l'homme.
65.
Le Rapporteur spécial demande aux autorités du Myanmar,
comme le fait également l'Assemblée générale, d'ouvrir une enquête exhaustive
et indépendante sur l'incident de Depayin, avec la coopération de la communauté
internationale. Les résultats de cette enquête devraient être annoncés publiquement,
les responsables devraient rendre compte de leurs actes et les victimes
devraient se voir accorder réparation. Ceux qui coopéreront pour établir
la vérité à propos de l'incident de Depayin devraient aussi se voir garantir
qu'ils ne subiront pas de représailles ni d'intimidation.
66.
Pour renverser cette tendance à la régression, toutes
les personnes qui ont été placées en détention ou assignées à résidence
depuis le 30 mai 2003 devraient être libérées immédiatement et sans conditions.
En outre, il convient d'envisager d'indemniser les victimes survivantes et
les familles de celles qui sont décédées. Les bureaux de la NLD devraient
être rouverts.
67.
Le Rapporteur spécial réaffirme, comme il l'a dit
dans ses réunions avec le SPDC, que la liberté de circulation et d'activité
politique de Daw Aung San Suu Kyi et des autres dirigeants et membres de
la NLD doit être immédiatement rétablie. Cette décision contribuera à assurer
leur participation aux tout premiers stades de la Convention nationale et
enverra un signal puissant indiquant que le SPDC est vraiment sérieux quand
il parle de transition démocratique.
68.
La nomination du nouveau Premier Ministre en août
2003 et l'annonce qu'il a faite d'une feuille de route en sept points ont
été reconnues par certains membres de la communauté internationale comme
une initiative positive en faveur d'un processus de transition politique.
De l'avis du Rapporteur spécial, la position politique actuelle du SPDC,
qui propose une feuille de route consistant en une transition politique vers
un régime civil, doit s'accompagner d'une évolution réelle et concrète sur
le terrain vers un processus authentiquement libre, transparent et associant
sans exclusive tous les partis politiques, toutes les ethnies et l'ensemble
de la société civile.
69.
Tout processus de transition politique vers la démocratie
qui ne serait pas fermement ancré dans les droits de l'homme en tant que
principe fondamental serait voué à l'échec: telle est la principale leçon
tirée de nombreux exemples d'extirpation réussie de régimes militaires dans
toutes les régions du monde. Le Rapporteur spécial est convaincu, comme il
l'a dit à tous ses interlocuteurs du SPDC, que la feuille de route devrait
s'inspirer des principes des droits de l'homme, non seulement sur le fond
ou dans les phases finales, mais aussi tout au long du processus de sa mise
en œuvre, dès la phase préparatoire.
70.
Le Rapporteur spécial estime que le plus urgent
aujourd'hui est de lever toutes les restrictions qui subsistent aux libertés
d'expression, de circulation, d'information, de réunion et d'association;
d'abroger les textes législatifs connexes sur la "sécurité"; enfin, d'ouvrir
ou de rouvrir tous les bureaux des partis politiques dans l'ensemble du
pays. Ces initiatives contribueront à créer un climat ou un environnement
propice à des discussions ouvertes et étendues entre le SPDC et l'ensemble
des partis politiques, des ethnies et de la société civile. Le Rapporteur
spécial estime aussi que les mêmes principes doivent être appliqués au fonctionnement
de la Convention nationale et qu'ils seront essentiels si l'on veut en assurer
le succès.
71.
Le Rapporteur spécial réaffirme une fois encore
que tous les prisonniers politiques doivent être libérés immédiatement et
sans conditions. Il pense que le Gouvernement pourrait s'appuyer sur l'expérience
des amnisties politiques qu'a acquise le Myanmar au cours de son histoire
et qu'une amnistie générale serait le meilleur chemin à suivre: libérer
tous les prisonniers politiques, qui pourraient ensuite jouer un rôle positif
dans le futur processus politique de transition.
72.
Des enseignements devraient être tirés de cette
histoire par toutes les parties et cette expérience mise à profit par tous
ceux qui se soucient réellement de l'avenir du Myanmar. Une réparation effective
des violations des droits de l'homme donnerait certainement une orientation
morale permettant d'engager le pays sur la voie de la réconciliation et
de la démocratisation. Il est temps que tous les intéressés reprennent le
dialogue et fassent preuve de compréhension mutuelle.
_________________________________
Notes
[1] U Aung Shwe, U Nyunt Wai et U Soe Myint.
[2] Ses collaborateurs se sont rendus à Mae Sot le 31 octobre 2003.
[3] Le Rapporteur spécial a rencontré deux d'entre eux (Aye Myint et
Ne Win) au cours de sa dernière visite à la prison d'Insein, comme indiqué
dans l'annexe.
________________________________
Annexe
DÉTENUS INTERROGÉS PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL DANS LA PRISON D'INSEIN (le
5 novembre 2003)
1.
May Win Myint
2.
Maung Maung Lay
3.
Win Ko Ko
4.
Lwin Ko Latt, alias Win Ko
5.
U Aye Myint
6.
Aye Kyu, alias Monywa Aung Shin
7.
U Tun Myint
8.
U Htwe Myint
9.
Nanda Sir Aung, alias Sit Ko Aung
10.
U Ne Win
11.
Mae Hnin Kyi, alias Daw Ni
12.
U Naing Min Kyi
13.
U Kyaw Sun
14.
U Saw Naing Naing
15.
Dr. Than Nyein
16.
U Win Tin
17.
U Thu Wai
18.
U Toe Po
19.
U Hla Min