Edito
La nouvelle que nous attendions depuis plusieurs semaines est tombée mardi soir: la Convention Nationale se réunira à partir du 17 mai. D'ici là, la seconde réunion du Bangkok Process aura eu lieu, le 29 avril. Nous consacrerons évidemment le(s) prochain(s) numéro(s) de Net Hebdo à ce double événement, mais pris par le temps, nous publions d'abord un document de Burma Campaign UK relatif aux sanctions économiques que l'Union Européenne, de l'avis de nos collègues anglais, devrait prendre à l'encontre de la Birmanie.
POSITION EUROPEENNE SUR LA BIRMANIE :
LA NECESSITE DE SANCTIONS CIBLEES
Par Burma Campaign UK
Traduit par Fanny Guillier pour Info Birmanie
Avant Propos :
Le régime militaire a éprouvé la volonté du peuple birman ; malgré les intimidations, la torture, et la violence le désir de liberté et de démocratie reste puissant.
Nos frères et sœurs en Birmanie réalisent peu à peu que résistance pacifique ne signifie pas résistance passive. Malheureusement, les tyrans feignent de ne pas comprendre le langage démocratique et l’engagement constructif et choisissent de répondre au moyen de pressions et de sanctions.
Tout comme en Afrique du Sud, le peuple et les dirigeants légitimes birmans ont appelé aux sanctions. En effet, en Afrique du Sud, lorsque nous avons appelé à l’action internationale, nous avons souvent été incompris, ignorés ou déçus. Le démantèlement de l’apartheid nécessitait des convictions engagées et un travail soutenu qui n’auraient été d’aucune utilité sans d’intenses pressions et sanctions internationales.
En Birmanie, le régime a ravagé le pays et le peuple afin de sceller et de financer son ordre public illégal. C’est pourquoi les gouvernements et les institutions internationales doivent aller au-delà des mesures et des prises de positions symboliques et annihiler les moyens de subsistance de la junte birmane grâce à des sanctions bien appliquées.
Je maintiens que personne, ni qu’aucun gouvernement ne devrait attendre pour agir ; le chemin à gravir comporte une première étape. Les négociants et les gouvernements doivent choisir s’ils souhaitent ou non commercer avec le régime oppressif birman. En effet, le commerce avec la junte fournit des armes à ceux qui ont massacré des milliers de personnes en 1988 ; ceux qui sont responsable du déplacement de plus d’un million de personnes qui ne trouvent plus ni refuge ni sécurité dans leur propre pays ; ceux qui ont recours au viol systématique des femmes. Le commerce permet de financer le vaste système des services secrets, les incarcérations, les tortures scandaleuses infligées aux héros de la liberté et les perpétuelles atteintes aux droits de l’homme perpétrées contre les minorités ethniques birmanes. Les individus et les gouvernements doivent prendre position contre la tyrannie et ceux qui la protègent ou la financent.
L’indifférence face aux atteintes systématiques aux droits de l’homme est amorale. On ne peut, dans certains cas, soutenir la justice et la liberté et dans d’autres, permettre l’injustice et l’asservissement. Gardons à l’esprit que nous ne serons pas dégagés de notre responsabilité tant que le peuple birman ne sera pas libre. Dans une époque où la junte professe des promesses de liberté, il nous faut rester convaincus que l’action pèse plus lourd que les mots. La liberté ne peut découler d’un processus englué dans la discrimination et la persécution. Je me sens profondément concerné par le sort de ma sœur, la courageuse Aung San Suu Kyi, et par celui de plus d’un millier de prisonniers politiques qui sont restés résolument déterminés et convaincus par la valeur des principes pacifiques mais qui demeurent isolés de leur peuple et de la communauté internationale. Le silence auquel ils sont réduits est éloquent et traduit l’urgence d’une prise de position pour leur liberté.
Si le peuple Sud-Africain avait eu recours au compromis lors de la lutte contre l’apartheid, nous n’aurions probablement jamais conquis notre liberté. En Birmanie, pour établir la liberté, la justice et la participation démocratique pour tout le peuple, nous pourrions tolérer la présence de l’oppresseur, mais cela reviendrait à déshonorer nos courageux frères et sœurs qui se sont entièrement dévolus à l’avenir démocratique de la Birmanie.
Je crois que la vérité et la justice prévaudront. Laissons ce sens profond de l’engagement guider notre action et nourrir notre espoir tel un principe conducteur. Semer les graines de la justice n’est pas chose facile, mais les récoltes seront abondantes.
Le peuple de Birmanie sera libre.
L’Archevêque Desmond Tutu.
Résumé :
La Birmanie ne sortira pas de l’impasse politique tant que la junte ne considèrera pas comme son intérêt propre le fait de débuter des négociations sérieuses avec les forces ethniques et démocratiques du pays. Ce rapport esquisse le chemin à suivre pour la communauté internationale afin d’établir une situation économique et politique propice au développement des négociations.
La Birmanie est dirigée par une dictature militaire connue pour l’oppression et l’appauvrissement qu’elle fait subir à son peuple, pendant qu’elle s’enrichit et qu’elle enrichit les négociants étrangers qui travaillent avec elle. Le régime continu à ignorer la victoire électorale d’Aung San Suu Kyi et de la NLD en 1990.
Le régime n’a fait preuve d’aucun engagement durant les trois années de médiation conduite par l’ONU. Il a échoué à mettre un terme à la pratique du travail forcé comme prévu par ses obligations issues des traités passés avec l’OIT. Il continue de persécuter les populations ethniques birmanes. Il continue à détenir plus de 1350 prisonniers politiques dont Aung San Suu Kyi.
Toutes les propositions de feuilles de route pour un changement de politique en Birmanie échoueront à apporter la démocratie dans ce pays jusqu’à ce qu’elles soient formulées et exécutées dans une atmosphère dans laquelle les libertés politiques fondamentales soient respectées, les réels dépositaires de l’autorité soient inclus et engagés dans les négociations, un délai soit fixé pour atteindre les buts poursuivis, une place soit faite à la médiation, et les objectifs et principes restrictifs et anti-démocratiques imposés par les militaires concernant la Convention Nationale (qui assure la continuité du pouvoir militaire même dans un " état civil ") soient abandonnés.
Conclusions du rapport :
1. Les investissements étrangers directs vers la Birmanie depuis 1989, perçus grâce au tourisme et aux projets d’extraction de ressources, représentent plus de 6,6 milliards $. En 2002, les exportations birmanes furent évaluées à 2,98 milliards $. Le commerce et les investissements ont fournit au régime et à ses partisans des revenus non négligeables. Depuis 1988, les effectifs de l’armée birmane ont été doublés (de 200,000 à 400,000 soldats) alors que les systèmes de santé et d’éducation et les services publics se sont pratiquement effondrés.
2. La base du système pyramidal militaire est constitué de commandants régionaux, d’officiers militaires moyennement et hautement gradés, de négociants et de familles puissantes qui sont associés à cet establishment militaire. Ces personnes contrôlent et détiennent la majeure partie de l’économie officielle et légale qui dépend dans une large mesure des investissements étrangers et des marchés. Réduire la capacité du régime à satisfaire ces personnes développerait la pression en faveur d’une réforme réorganisant le pouvoir politique établi.
3. L’essentiel des populations birmanes , et particulièrement les plus pauvres, travaillent grâce à l’économie parallèle qui ne dépend généralement pas des investissements ou des marchés internationaux. Ainsi, l’impact de sanctions ciblées contre l’économie légale serait donc minime pour la majorité des birmans.
4. La tentative américaine d’agir sur les intérêts économiques du régime et de ses associés a été amoindrie par l’inaction de l’Union Européenne, des états asiatiques et de l’ONU. Il n’y a jamais eu aucun obstacle légal à ce que les compagnies européennes ou asiatiques commerce avec la Birmanie ou sur son territoire. Il n’existe aucune mesure européenne qui remette effectivement en cause les intérêts économiques de l’establishment politique birman. Une position européenne commune est en place depuis 1996 ; cette position comporte toutefois une carence car elle n’inclut aucune mesure menaçant sérieusement le pouvoir établi. D’autre part, elle n’a pas été pleinement exécutée en ce qui concerne le gel des comptes bancaires européens des compagnies détenues par la junte et autre entités du régime.
5. Quinze ans d’engagement constructif avec le régime n’ont même pas entraîné l’adoption d’une seule réforme démocratique. Les adeptes de la philosophie " anti-sanction " ont ignoré la nature intransigeante du régime, le lien entre les soutiens économiques et politiques apportés aux régimes et la crédibilité qu’apporteraient des sanctions à la NLD dans ses négociations avec les militaires. Les opposants aux sanctions demandent que l’on continue à autoriser le régime à engranger des profits grâce au commerce et aux investissements, tout en sachant que ces revenus bénéficieront à la junte et à ses associés. Cette politique est longtemps restée pré-éminente, entravant tous les mouvements de réforme entrepris. En fait les opposants aux sanctions nous demandent de permettre la continuité de la loi martiale birmane à long terme, avec tout ce qu’elle comporte d’oppression et d'appauvrissement. Implicitement, ils sous-entendent qu’il s’agit d’un moindre coût pour maintenir certains emplois dans quelques secteurs d’exportation particuliers.
6. Une double stratégie qui consisterait à affaiblir les supports économiques du régime et à promouvoir, dans le même temps, un processus de transition soutenu par l’ONU pourrait déboucher sur un réel changement politique en Birmanie. Ce rapport souligne l’effet recherché par des sanctions ciblées qui auraient vocation à amener la junte à la table des négociations.
Recommandations :
1. L’Union Européenne :
∑ Interdire à toutes les compagnies et tous les citoyens européens d’investire en Birmanie.
∑ Interdire toute importations de biens et de services provenant de compagnies détenues par l’armée, par les militaires et par leurs associés.
∑ Interdire l’importation de biens ayant une importance stratégique et provenant de secteurs placés sous monopole d’Etat comme les pierres précieuses ou le bois.
∑ Interdire les transferts financiers et les transactions effectuées par les citoyens, les institutions des états européens et de l’Union Européenne elle-même.
∑ Les Etats membres de l’Union doivent pousser le Conseil de Sécurité des Nations Unies à prendre les sanctions énoncées ci-dessous.
2. L’Organisation des Nations Unies :
∑ Imposer des sanctions ciblées, incluant un embargo sur les armes, une interdiction des investissements en Birmanie et l’interdiction d’importer des biens stratégiquement importants comme le gaz, le pétrole, les pierres précieuses et le bois, jusqu’à ce que des progrès irréversibles soient réalisés dans le sens de la transition politique ou qu’un gouvernement démocratiquement élu en demande la levée.
∑ Le Secrétaire Général des Nations Unies devrait diriger la formulation d’une feuille de route détaillée, comportant un délai d’exécution précis (pas plus tard que 2006), renforcée par le poids d’une résolution et de sanctions approuvées par le Conseil de Sécurité.
I. Introduction :
La Birmanie, située entre l’Inde, la Chine, le Tibet, le Laos le Bangladesh et la Thaïlande, est l’un des plus grands pays du Sud-Est asiatique. Ces quarante dernières années, la Birmanie a été dirigée par une dictature militaire dont la réputation inhumaine n’est plus à faire. En 1990, la NLD a gagné les élections nationales birmanes. Ce résultat n’a jamais été respecté. La NLD, dirigée par la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, a exhorté la communauté internationale d’imposer des sanctions économiques contre la junte. Ce rapport explique pourquoi.
II. Le Problème :
Les militaires au pouvoir ont un bilan consternant :
∑ Le viol comme arme de guerre contre les femmes et enfants issus de minorités ethniques.
∑ L’utilisation généralisée du travail forcé qualifié par l’Organisation Internationale du Travail de crime contre l’humanité.
∑ Plus de 1350 prisonniers politiques qui sont régulièrement torturés.
∑ Entre 600,000 et un million de personnes déplacées, contraintes de quitter leurs terres.
∑ Une exode constante des birmans vers les pays limitrophes. La Thaïlande accueille à elle seule un million de birmans à la recherche de conditions de vie acceptables.
∑ L’une des armées asiatiques les plus puissantes, malgré l’absence d’ennemis extérieurs potentiels.
∑ Près de la moitié du budget du gouvernement est alloué à l’armée alors que le secteur de la santé ne bénéficie que de 2 à 4% de ce budget.
∑ Un enfant sur dix meurt avant son 5ème anniversaire.
III. Alimenter l’oppression :
Il n’existe aucune barrière légale destinée à empêcher les compagnies européennes ou asiatiques d’alimenter la dictature birman par le biais du commerce et des investissements. Le régime survit grâce aux investissements étrangers, aux revenus apportés par les exportations et au trafic illégal de narcotiques.
Il est évident que les quinze années d’engagement constructif, pendant lesquelles les négociants et les gouvernements ont coopéré avec la junte dans l’espoir d’une réforme politique, ont été un échec. Les opposants aux sanctions n’ont pas tenu compte de la nature intransigeante du régime, des liens entre ses soutiens économiques et politiques, et la crédibilité qu’apporteraient des sanctions à la NLD lors des négociations avec la junte.
L’une des plus inquiétante conséquence des investissements et du commerce avec la Birmanie est la capacité pourvue au régime d’accroître ses forces armées. En 1988, l’armée employait 200,000 personnes contre 400,000 estimées aujourd’hui. L’objectif ultime du régime serait d’en rassembler un demi million. Dans les années 1990, les dépenses militaires ont oscillé entre un tiers et la moitié du budget de la junte. Un pays de 50 million d’habitants est à la tête de l’une des armées asiatiques les plus puissantes, alors qu’on ne lui connaît aucun ennemi extérieur.
En juillet 2001, " Jane’s Defence Weekly " déclarait que Rangoun avait acheter dix MIG-29 à la Russie pour 130 millions $, financés par les importations de gaz thaïlandaises. Les acomptes, qui représentaient 30% du coût total, ont été versés la semaine où la Petroleum Authority of Thaïland a payé à la junte 100 millions $ de royalties, pour du gaz acheminé du Golfe de Martaban vers la côte. (opération réalisée par Total/Unocal) Avant que la Thaïlande n’effectue ce paiement, prévu par un contrat conclu en 1995, la junte avait pratiquement épuisé les revenus issus des échanges externes. Selon Robert Karniol, l’éditeur asiatique de " Jane’s Defence Weekly ", les russes ne voulaient pas vendre d’avions chasseurs à la Birmanie tant que les revenus issus des extractions gazières de Martaban ne seraient pas perçus puisqu’ils constituent l’une des rares sources de rémunération issues des échanges commerciaux internationaux.
Selon le Département du Commerce américain, le ministère des finances birman a imposé une taxe de 10% sur les exportations étrangères. Ainsi, en 2001, si les exportations légales birmanes représentaient 2,782 milliards $, le régime a pu percevoir 278,2 millions $ de taxe. La majeure partie des revenus issus de ces exportations a essentiellement bénéficié à l’establishment militaires et ses associés.
IV. Les coûts
L’expansion militaire et les dépenses politiques ont été conduites aux dépens du peuple birman. L’importante proportion du budget étatique allouée à l’armée peut expliquer l’inefficacité de l’allocation pour la santé et l’éducation qui ignore les besoins réels. A titre d’exemple, entre 1995 et 2000, les dépenses consacrées au secteur social ont atteint leur maximum en 1996 (4% du budget de l’Etat pour les aides et allocations, 5% pour la santé et 15% pour l’éducation) alors que les dépenses en matière de défense ont atteint l’un de ses taux les plus bas, 33% ; les dépenses militaires ont atteint leur maximum en 1998/99 avec 55% du budget.
En 2000, l’OMS a classé la Birmanie à la 190ème position parmis 191 pays pour les soins médicaux qui y sont délivrés. Le peuple de ce pays, pourtant riche en ressources naturelles, glisse un peu plus dans la pauvreté. Selon l’UNICEF 36% des enfants birmans de moins de cinq ans sont moyennement ou sévèrement atteints de malnutrition ; selon le PNUD, c’est un enfant sur dix qui n’atteindra pas son cinquième anniversaire.
Le rapport 2000 du PNUd sur le développement humain établit une comparaison entre la Birmanie et la Thaïlande sur certaines questions. En effet, les deux états partagent une histoire et une longue frontière commune et l’envergure de leur population et de leur potentialité en ressources naturelles sont similaires. Ainsi, la Thaïlande nous fournit, non sans problèmes, un bon exemple de ce qu’aurait pu être la Birmanie. Ces deux exemples sont également confrontés au taux de développement des " pays développés ". En comparaison, on constate que quand la Birmanie consacre 1,2% du PIB à l’éducation, la Thaïlande lui accorde 4,8%, contre seulement 3,8% dans les " pays développés " ; par ailleurs, lorsque la junte birmane accorde 0,2% du PIB pour les dépenses de santé, la Thaïlande leur octroie 1,7% et les " pays développés " 2,2%. Manifestement, le gouvernement thaïlandais tente de rattraper le retard du pays en matière de développement et de protection social.
De toute évidence, le plus grand obstacle à la paix et à la prospérité en Birmanie est la dictature militaire.
La NLD a demandé à la communauté internationale de couper les liens de subsistance qui permettent la survie du régime. Comme Nelson Mandela et l’ANC pendant l’apartheid en Afrique du Sud, Aung San Suu Kyi et la NLD appellent aux sanctions économiques.
V. L’impact des sanctions sur le peuple birman
La nature de l’économie birmane est telle, que des sanctions visant les investissements étrangers et les échanges internationaux frapperont le régime alors que leurs effets sur la majorité de la population resteront minimes.
La Birmanie abrite deux économie, l’une officielle, l’autre parallèle. L’économie parallèle est celle à travers laquelle la majorité des birman, et plus particulièrement les plus pauvres, produisent, échangent et travaillent. Dans les régions rurales (où vit 75% de la population) la grande majorité des gens travaillent dans l’agriculture de subsistance. En 1997, l’agriculture représentait douze millions d’emplois alors que les secteurs industriel et commercial, qui sont les deux autres grands pourvoyeurs d’emplois si on exclut l’armée, représentaient moins de deux millions d’emplois chacun. Dans les zones urbaines, comme dans les zones rurales, les unités de production ont tendance à être réduites, basées sur l’entourage familial et consacrées à la petite production, au commerce ou aux services. Comme le souligne l’économiste Alfred Oehlers de l’Université d’Auckland, dans son analyse de l’économie parallèle birmane : " Les formes d’organisation et les méthodes de gestion ne sont pas très développées, et reposent essentiellement sur des coutumes, des pratiques et des traditions établies…Dans le secteur parallèle, le niveau d’exposition aux marchés externes reste très faible. Etant donné que les sanctions affecteront en premier lieu les flux transfrontaliers de biens, de fonds et de services, ce secteur, avec son faible niveau d’implication dans les marchés étrangers, sera relativement épargné par les conséquences. L’économie parallèle est de loin la plus importante pour les populations, celle autour de laquelle tournent leurs vies. "
L’économie officielle et l’économie parallèle sont à la fois très différentes et très indépendantes l’une de l’autre. L’économie légale repose très lourdement sur les investissements et les marchés étrangers. Les entreprises de ce secteur sont plus importantes et plus développées sur le plan de l’organisation et de la gestion. Dans le classement du conseil de gestion, 80% des entreprises de grande envergure ayant plus de cent employés sont détenues par l’Etat ou y sont affiliées. Elles sont concentrées dans les secteurs de l’extraction, de l’industrie, du tourisme, de la finance et de la banque. L’économie officielle est historiquement détenue par l’establishment militaire, leurs familles et leurs associés. C’était le cas quand ces industries furent nationalisées après le coup d’Etat militaire de 1962 puis furent " privatisées " dans les années 1990.
Comme le souligne Minoru Kiryu : " Lorsque la dérégulation des investissements privés a encouragé la constitution d’entreprises privées et d’importantes entreprises d’exportation, la plupart des entrepreneurs impliqués étaient d’anciens membres du régime et de l’administration. "
C’est pourquoi, il est clair que des sanctions ciblées contre les grands secteurs industriels de l’économie légale atteindront directement les intérêts économiques des militaires et de leurs associés tout en ayant un impact minimal sur la grande majorité des gens.
Oehlers constate : " Etant donné la nature très centralisée de la propriété économique et du système de contrôle de cette économie, on peut raisonnablement penser que les conséquences négatives des sanctions toucheront essentiellement les militaires et leurs associés les plus proches. Loin de l’instrument contondant et aveugle qu’on les accuse souvent d’être, au moins dans le cas de la Birmanie, les sanctions peuvent être très bien ciblées et capables d’exercer une pression considérable sur le régime. "
Par ailleurs, le système d’approbation des investissements directs étrangers est tel que les militaires peuvent parfaitement contrôler qui bénéficiera des investissements de grande envergure et des investissements dans les secteurs clé de l’économie. Ces investissements qui doivent être conformes à la " Loi sur les Investissements Etrangers ", sont administrés par la " Commission des Investissements du Myanmar ", composée en majeure partie par des membres du gouvernement militaire. Les pratiques de cette commission assurent la possibilité, pour le régime, d’orienter ces investissements vers les compagnies " quasi militaires " qui dominent l’économie, comme par exemple la " Union of Myanmar Economic Holdings " (UMEH).
Enfin, l’Etat possède un monopole sur les exportations de riz, de tek, de pétrole, de gaz naturel, de pierres précieuses, de perles et autres ressources. L’exportation de ces produits nécessite l’accord du Ministère du Commerce. L’imposition de sanctions sur ces produits aura donc un impact direct sur la junte au pouvoir.
VI. Comment le régime entretien ses assises :
La “ Union of Myanmar Economic Holdings Ltd”(UMEH) et la “Myanmar Economic Corporation” (MEC) sont les deux principaux conglomérats contrôlés par les militaires. Ils dominent les secteurs économiques clé. Les actionnaires de l’UMEH sont issus de l’establishment militaire.
Selon le rapport d’activité annuel 1995-96 de l’UMEH, deux de ses principaux objectifs sont de " soutenir les membres de l’armée et leur famille " et " tenter de devenir la principale organisation de soutien et de logistique pour l’armée en constituant progressivement de nouvelles entreprises ".
L’UMEH possède des parts dans le secteur banquier et touristique, dans l’import-export de nourriture, l’extraction et la vente de jade et autres pierres précieuses, la construction de matériaux, l’immobilier, la location de bateaux de pêche, et la vente de marchandises en général. L’UMEH a également géré le financement des pensions militaires, mettant à leur disposition une source de revenu. En 1999, l’UMEH avait conclu près de 50 accords de participation avec des entreprises étrangères.
La MEC, quant à elle, avait été constituée afin de transférer les dépenses militaires du secteur publique au secteur privé dans le but de " diminuer les dépenses de défense " tout en fournissant des fonds pour assurer les allocations militaires et autres besoins. La MEC est autorisée à faire affaire dans presque tous les domaines du commerce et de l’industrie et n’est pas contrainte par les lois qui régissent l’activité économique birmane.
Les activités de l’UMEH et de la MEC ont pour but de constituer un soutien économique pour les militaires, permettant aux officiers et à leur famille de bénéficier d’un traitement économique privilégié. Des sanctions économiques compliqueraient la tâche des militaires concernant le maintien du niveau de dépense en matière de défense, réduirait les fonds destinés à entretenir les réseaux de soutien, et seraient une source de difficultés pour les familles de militaires moyennement gradés. Ceci constitue la base de l’establishment militaire, les personnes dont le régime a besoin pour faire tourner sa machine. Si le mécontentement se répand à travers cette base, la pression en faveur de réformes atteindra un niveau non négligeable.
VII. L’Union Européenne et la Birmanie :
La position européenne sur la Birmanie est critiquable à deux égards, d’abord parce que l’UE a fourni la plupart des investissements qui ont fortifié la dictature et ensuite parce que le rôle de l’UE au sein des Nations Unies et ses relations avec l’ASEAN sont capitales et même déterminantes pour le succès des initiatives diplomatiques en Birmanie.
L’importance des investissements de l’UE a augmenté pendant la dernière décennie. Bien que les estimations des investissements directs étrangers ( " Foreign Direct Investment " -FDI) varient selon les sources, il est clair qu’en matière énergétique les investissements de l’UE ont été fondamentaux. Entre 1995/96 et1999/00 les FDI vers les secteurs pétroliers et gaziers s’élevaient à 1,531millions $, sur un influx total, pour tous les secteurs, de 2,765millions $. En 1999, les FDI européen représentaient 43% de tous les investissements en Birmanie et en 2000, cette participation a atteint 71,2% (300 millions $).
En plus des investissements européens, les relations commerciales entre l’UE et la Birmanie n’ont cessé de se renforcer ces dernières années. Les importations birmanes en Europe représentaient une trentaine de millions $en 1988, contre près de 400 millions $ en 2001. Au total, entre 1988 et 2002, les relations commerciales et les investissements directs de l’UE en Birmanie ont rapporté au moins quatre milliards $ à la junte. L’imposante présence d’entreprises européennes en Birmanie peut également être évaluée grâce à la liste des compagnies qui sont liées à la Birmanie par des unions globales. Sur un total de 372 compagnies mentionnées, 104 sont européennes.
Bien que les Etats Unis aient tenté de couper les vivres au régime, l’UE reste une source de confort économique pour l’establishment militaire. En effet, les Etats Unis ont pris trois mesures de grande envergure pour éviter tout afflux financier vers la Birmanie :
∑ L’interdiction des nouveaux investissements de 1997 (Ban on new investments) : Permet aux investisseurs présent avant 1997 de poursuivre et même d’augmenter leurs investissements dans le pays (ex : Unocal). Elle a toutefois permis d’évité l’entrée de nouvelles sommes considérables en Birmanie.
∑ L’interdiction des importations de 2003 (US import ban) :
Empêche la junte et ses associés de percevoir des revenus issus des exportations et des taxes.
∑ L’interdiction des remises de fonds de 2003 (Ban on remittances) :
Elle a eu un impact significatif sur les imports-exports utilisant des comptes en $US, sur le système banquier étatique et sur les affaires entre le régime et ses associés.
Depuis l’interdiction américaine sur les remises de fonds, les transferts et les transactions réalisées en $, la junte manifeste un certain intérêt pour l’euro qui représente une monnaie idéale pour ses activités commerciales internationales.
Une action efficace serait d’exercer une pression sur les services qui approvisionnent les compagnies qui rendent les transactions financières internationales possibles, comme la SWIFT, une compagnie détenue par les institutions financière dirigeantes. En Birmanie, seules quelques banques sont autorisées à mener des transactions internationales : la Central Bank ainsi que trois autres banques détenues par l’Etat (Myanmar Foreign Trade Bank, Myanmar Investment and Commercial Bank, Myanmar Economic Bank).
En collaborant avec les banques birmanes, SWIFT coopère au processus qui rend possible à la Birmanie de mener des transactions internationales en euros ou autre monnaie d’échange. Dans la lignée de l’interdiction américaine sur les remises de fonds, les transferts et les transactions menées par les entités et les personnes privées issues des états membres de l’UE devraient être effectivement interdits.
La " Financial Action Task Force on Money Laundering " (organisation de lutte contre le blanchiment d’argent par le biais d’action financières) a exhorté ses membres, qui incluent les 15 états membres de l’UE et la Commission Européenne, d’imposer des mesures contre la Birmanie afin de renforcer la surveillance des transactions financières internationales étant donné l’échec de la junte à lutter contre le blanchiment d’argent.
VIII. Les réponses apportées par l’Union Européenne :
Pendant la dernière décennie, l’UE a pris de nombreuses mesures à l’égard de la Birmanie. Toutes ces mesures sont essentiellement symboliques et sont liées aux relations politiques et d’assistance avec la Birmanie ; elles n’ont ni pour intention, ni pour conséquence d’imposer une pression économique sévère sur la junte. Il ne faut pourtant pas conclure que la Position Commune Européenne a déjà tenté et échoué de mettre ces actions en place et qu’elle ne constitue pas un cadre inapproprié a l’établissement ces sanctions ; cet argument fut avancé par les opposants aux sanctions.
Il n’y a rien dans la Position Commune Européenne qui menace les intérêts économiques du régime ou qui représente une sanction sérieuse contre le gouvernement birman.
La Position Commune Européenne inclus :
∑ L’embargo sur les armes
∑ L’expulsion des militaires attachés à la représentation diplomatique birmane à travers l’UE
∑ L’interdiction de l’aide non-humanitaire
∑ L’interdiction de délivrer des visas aux membres du SPDC, de leur familles et de leurs associés.
∑ Le gel de tous les avoirs personnels européens détenus par les membres du SPDC, leurs familles, et leurs associés.
∑ La suspension des visites gouvernementales de haut niveau en Birmanie.
Par ailleurs, l’UE a annulé les accords commerciaux préférentiels dont bénéficiait la Birmanie en tant que pays en développement grâce au Système Général de Préférences ; d’autre part, elle a tenté de se faire l’échos d’Aung San Suu Kyi, relayant dans une déclaration, sa position contre le tourisme en Birmanie.
Toutefois, cette Position Commune n’a pas été totalement suivie d’effets notamment en ce qui concerne les comptes bancaires des entités économiques du régime. Les comptes bancaires des compagnies détenues par la junte auraient du être gelés mais ne l’ont pas été. De plus, la Position Commune appelait à un gel des avoirs européens pour les entités et les personnalités birmanes. Cependant, aucune de tentative de gel des avoirs de l’UMEH et de la MEC n’ont été conduites. Si l’Europe souhaite réellement tirer la Birmanie de l’impasse politique dans laquelle elle se trouve, elle doit admettre le fait que les investissements et les importations européennes ont renforcé le régime plutôt que de le pousser à la réforme. Si l’Europe commence à mettre de l’ordre dans ses affaires et à promouvoir un effort diplomatique internationale à l’égard de la Birmanie, elle pourrait obtenir de bons résultats.
IX. Les Nations Unies et la Birmanie :
En plus de mettre en place des sanctions plus sévères, l’UE devrait redoubler d’efforts afin de pousser le Conseil de Sécurité de l’ONU a prendre lui-même des sanctions.
Depuis 1991, la Birmanie fut l’objet de nombreuses résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, esquissant les réformes nécessaires au passage de la dictature vers la démocratie en Birmanie. La situation des Droits de l’Homme en Birmanie a également fait l’objet de nombreux scrutins lors des réunions annuelles de la Commission Européenne des Droits de l’Homme depuis 1992. En 2000, c’est l’Organisation Internationale du Travail qui a appelé ses membres à réviser leurs relations avec la Birmanie afin de s’assurer qu’ils ne contribuent pas au maintien du travail forcé. Le temps est venu pour l’UE de travailler à l’application de ces résolutions diverses.
L’Envoyé Spécial de l’ONU en Birmanie et le Rapporteur Spécial de l’ONU pour les Droits de l’Homme jouent un rôle clé dans la promotion du changement en Birmanie. Toutefois, malgré les trois dernières années de médiation menée par l’ONU, le régime a toujours refusé de libérer les prisonniers politiques, n’a toujours pas renoncé à l’usage du travail forcé, a poursuivi les persécutions violentes contre les minorités ethniques du pays et a refusé d’entamer le dialogue avec le mouvement pro-démocratique. Le 30 Mai 2003, la dictature militaire birmane a mis un terme à ces prétentions de réformes. Dans une petite ville du nom Depayin, à 500 miles au nord de Rangoun, le convoi d’Aung San Suu Kyi fut attaqué par un groupe paramilitaire lié à la junte. 2Aung San Suu Kyi ainsi que d’autres leaders ou membres de la NLD furent arrêtés.
Des témoignages rapportent que des femmes furent tirées hors des voitures, déshabillées et battues à mort pendant que d’autre étaient pourchassées et tuées. Les membres de l’escorte d’Aung San Suu Kyi ont tenté de la protéger et furent battu avec des branches de bambou taillées. Certains rapports déclarent que des dizaines de personnes furent assassinées par les militaires. Au moment où nous écrivons, Aung San Suu Kyi est assignée à domicile pour la troisième fois depuis qu’elle a pris la tête du mouvement démocratique en 1988.
Le Premier Ministre nouvellement nommé, le Général Khin Nyunt, a annoncé, le 30 août 2003, une " Feuille de Route " pour progresser vers la démocratie. Cette Feuille de Route dégage sept étapes, fondées sur la convocation d’une Convention Nationale afin de compléter le projet pour une nouvelle constitution pour le pays. Elle ne contient aucun agenda ou délais pour la mise en place d’une réforme. Dans le même sens, elle ne confère aucun rôle officiel à la NLD ou aux partis issus de minorités ethniques.
La feuille de route se réfère à la Convention Nationale mise en place en 1993 par le régime militaire afin d’élaborer un projet de constitution. En novembre 1995, la NLD écrivit aux militaires, requerrant la démocratisation des procédés de la Convention Nationale. La NLD a commencé un boycott de la Convention en décembre, suite au rejet de son appel par les militaires. Tous les délégués de la NLD furent renvoyés de la Convention qui fût suspendue en 1996.
La NLD ainsi que des membres des groupes représentant des minorités se sont ensemble opposés aux six objectifs, aux 104 principes de base et aux Principes de Base Détaillés dégagés par la junte qui voudrait permettre au régime de se maintenir sous l’apparence d’un gouvernement civil et même de perpétrer un coup d’Etat s’il estime que le pays est en danger.
Le régime a rejeté le rôle médiateur de l’ONU et s’il ne l’a pas fait par des mots, il l’a fait par des actes. Il est temps d’élaborer une réponse internationale plus cohérente à l’intransigeance de Rangoun. A la lumière de la situation critique en Birmanie, une intervention politique de la communauté internationale est essentielle pour éviter la confrontation imminente et l’effusion de sang. Le Secrétaire Général des Nations Unis, M.Koffi Annan, a appelé le régime à libérer Aung San Suu Kyi et a entamer avec elle un dialogue substantiel. Il a déclaré à l’Assemblée Générale de l’ONU :
" Tant que les parties concernées ne pourront prendre part à un dialogue substantiel, la communauté internationale devra conclure que le processus de réconciliation nationale est suspendu. "
Dans ce cas, il a assuré que l’ONU réviserait la situation et prendrait d’autres mesures. M.Annan a fixé la date de 2006 comme étant la fin du délai donné au régime pour assurer la transition démocratique en Birmanie mais il n’a pas souligné comment cet objectif d’Etat devait être atteint. Le Secrétaire Général de l’ONU devrait prendre la tête de la rédaction d’une Feuille de Route détaillée et complète comprenant un agenda précis, renforcée par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unis et des sanctions prises en vertu du chapitre VII de la Chartes des Nations Unies. Il est évident que cette Feuille de Route soutenue par l’ONU devra inclure la Libération D’Aung San Suu Kyi et de tous les prisonniers politiques, un cessez-le-feu à l’échelle nationale, la liberté d’action pour tous les partis politiques, un dialogue entre la NLD, les minorités ethniques et le régime, et la cessation du travail forcé et des déplacements de population. De plus, les objectifs restrictifs et anti-démocratiques imposés par le régime pour la Convention Nationale (afin d’assurer le maintien du contrôle militaire même dans un Etat civil) devraient être abandonnés.
X. Les sanctions de l’ONU-Le chapitre VII de la Chartes des Nations Unies :
L’article 39 du chapitre VII de la Chartes des Nations Unies stipule :
" Le Conseil de Sécurité doit établir l’existence de toute menace à la paix, tout manquement à la paix, tout acte d’agression et doit faire des recommandations ou décider quelles mesures doivent être prises en accord avec les articles 41 et 42 , afin de maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationale. "
Le Conseil de Sécurité a l’autorité pour interpréter cet article, et historiquement, cette interprétation a plutôt été large et politique que restrictive et strictement légale. Dans les cas d’Haïti (1993) et de la Rhodésie du Sud (1965), les deux états ont été jugé comme constituant une menace à la paix et la sécurité internationale. Ces deux cas constituent d’éventuels précédents à l’adoption de mesures par le Conseil de Sécurité pour la Birmanie.
La rupture de la démocratie, la détention constante des représentants birmans démocratiquement élus, la croissance rapide de l’armée birmane qui est aujourd’hui la deuxième du Sud-Est Asiatique, la politique de la terre brûlée chassant les populations ethniques vers les frontières, l’usage du viol comme arme de guerre contre les femmes et les enfants, les déplacements forcés et massifs de personnes civiles vers les frontières qui viennent grossir les flots de réfugiés vers les pays frontaliers, la violation systématique des Droits de l’Homme, le nombre d’enfants soldats le plus élevé au monde, la production et l’exportation de narcotiques aux pays voisins, la propagation du virus HIV/Sida aux pays limitrophes et la crise humanitaire imminente résultant de l’effondrement des services publiques suite à l’orientation des fonds vers les dépenses militaires, sont autant de menaces à la paix et la stabilité interne et régionale.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU devrait reconnaître la situation en Birmanie comme une menace à la paix et la sécurité internationale et devrait prendre des mesures fondées sur le chapitre VII de la Chartes des Nations Unies. Le Conseil devrait condamner les atteintes considérables aux Droits de l’Homme perpétrées par les militaires, sa non-adhésion aux principes humanitaires et son refus d’entamer un dialogue politique avec le mouvement pro-démocratique et les groupes ethniques dans le but d’établir un gouvernement démocratique.
L’impulsion du Conseil de Sécurité pour la prise de mesures en Birmanie ne doit pas être interrompue si Aung San Suu Kyi est libérée de son assignation. La situation en Birmanie est lugubre et les plaintes du peuple birmans dans son ensemble méritent toute l’attention du Conseil.
XI. Que demandons nous à l’Union Européenne et à l’ONU
∑ L’Union Européenne :
- Interdire à toutes les compagnies et à toute personne issues de l’UE d’investir en Birmanie
- Interdire l’importation de biens et de services provenant de compagnies détenues par l’armée, l’un de ses membres ou de ses associés.
- Interdire l’importation de biens stratégiquement importants provenant de secteurs placés sous monopole d’Etat comme les pierres précieuses ou le bois.
- Interdire les transferts de fonds ou les transactions internationales conduites par des citoyens ou des entités ressortissants d’un Etat membre ou par l’UE elle même.
- L’exercice d’une pression par les Etats membres sur le Conseil de Sécurité de l’ONU afin qu’il adopte des sanctions.
∑ L’Organisation des Nations Unies :
- Le Conseil de Sécurité doit imposer des sanctions ciblées, incluant un embargo sur les armes, une interdiction des investissements en Birmanie et l’interdiction d’importer des biens stratégiquement importants comme le gaz, le pétrole, les pierres précieuses et le bois, jusqu’à ce que des progrès irréversibles soient réalisés dans le sens de la transition politique ou qu’un gouvernement démocratiquement élu en demande la levée.
- Le Secrétaire Général des Nations Unies devrait diriger la formulation d’une feuille de route détaillée, comportant un délai d’exécution précis (pas plus tard que 2006), renforcée par le poids d’une résolution et de sanctions approuvées par le Conseil de Sécurité.
Réponses à vos interrogations :
1. Quelles sont les compétences de l’Europe en matière de sanctions contre un Etat tiers ?
La NLD, dirigée par Aung San Suu Kyi, a gagné 82% des sièges lors des élections de 1990. La NLD appelé à des sanctions internationales contre le régime. Tous les dirigeants ethniques ont soutenu cette idée. La demande de sanctions provient de la Birmanie elle-même et ne pourrait pas être plus claire et plus légitime.
2. Les sanctions ne vont elles pas frapper le peuple birman ?
Les sanctions auxquelles nous appelons supprimeront les investissements en Birmanie et interdiront certaines exportations, comme les pierres précieuses, d’entrer en Europe. Les trois quarts du peuple birman vivent de la terre, la majorité ne travaillent pas dans les entreprises ciblées par ces sanctions. Il est toutefois inévitable qu’une partie de la population soit touchée.
Une minorité de personnes seront touchées mais cela doit être contre-balancé avec le fait que tous les jours des femmes sont violées, des villages sont brûlés, des prisonniers sont torturés, et 50 millions de birmans sont continuellement appauvris par ce régime. Il nous faut faire un choix : permettre au régime d’obtenir des financements qui assureront sa survie tout en condamnant la Birmanie à la violence et l’appauvrissement ; ou faire un effort concerté afin de afin de couper les lignes de subsistance du régime tout en limitant les effets sur les populations. La première stratégie est une retraite en faveur de la tyrannie ; la seconde est une lutte pour la liberté et la prospérité de toute une nation.
Ce qui blessera le peuple birman, c’est le manque de volonté et de capacité de la communauté internationale à agir de manière concertée et à imposer des sanctions, alors qu’elle permet aux militaires de perpétuer leur régime.
3. Les sanctions n’ont pas déjà échoué en Birmanie ?
Les Etats Unis constituent le seul pays qui ait imposé de réelles sanctions en Birmanie. Ces sanctions ne sont en place que depuis juillet 2003. Des sanctions ciblées imposées par l’UE ou la communauté internationale dans son ensemble n’ont jamais été tentées et ne peuvent être considérées comme ayant échoué. Les exportations birmanes de gaz, de bois et de pierres précieuses continuent à apporter au régime un revenu vital. Le montant total des exportations s’élevait, en 2002, à 2,98 milliards $.
4. Ne serait-il pas plus efficace de négocier avec les militaires ?
Les sanctions sont des outils économiques utilisées à des fins politiques. Nous demandons des sanctions combinées à une intervention diplomatique afin de créer le plus grand élan possible pour la réforme politique et d’éviter que le régime ne monte les états les uns contre les autres.
L’idée selon laquelle des sanctions pourraient être remplacées par l’engagement diplomatique afin de promouvoir le changement politique en Birmanie est un mythe. Ces deux dernières années, les Etats Unis, l’UE et l’Asie se sont abstenus de prendre des mesures sévères contre la Birmanie, espérant que la junte serait réceptive à une méthode plus douce. Le régime a répondu en emprisonnant Aung San Suu Kyi et en massacrant un grand nombre de ses partisans. Il devrait y avoir un effort constant pour persuader le régime de changer, mais dans le même temps, un effort de même envergure devrait être déployé pour couper ses lignes de subsistances. Désormais, il est temps d’engager une action concrète soutenue par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, ainsi qu’un effort diplomatique dirigé par le Secrétaire Général.
5. Quelles influences auront les sanctions sur les Généraux ?
Le régime dépend des investissements étrangers et du commerce avec l’extérieur qui constituent l’essentiel de ses revenus. Il est fondamentale de couper les lignes de subsistances afin de forcer la junte à rallier la table des négociations. Aussi longtemps que le régime et ses associés bénéficieront d’une sécurité financière, ils ne feront preuve d’aucune motivation en faveur d’une réforme politique. Les sanctions affecteront bien plus les soutiens du régime que la majorité des populations birmanes.
6. Ne devons nous pas tenter de renforcer les forces pro-démocratiques en Birmanie ?
L’accroissement des sanctions économiques fournira aux démocrates birmans une puissance de négociation décisive. La NLD a constamment soutenu l’idée de sanctions économiques fortes par la communauté internationale. Dans un contexte où la NLD n’ a que principes et soutien populaire, la capacité de réduire le fardeau des sanctions internationales est un outil de négociation déterminant. Les sanctions sont un moyen de renforcer les démocrates birmans et devraient être combinées à d’autres actions de soutien de leur lutte, prises après consultation de la NLD. Le peuple birman souffre de la mauvaise gestion de ses ressources naturelles et de la volonté de la junte de garantir ses propres besoins et sa propre survie au détriment des besoins des populations en matière d’éducation et de santé. Encore une fois, nous n’appelons pas à des sanctions isolées des autres mécanismes politiques. Les sanctions ciblées contre le régime devraient aussi être combinées avec une assistance apportée aux populations afin de leur permettre de prendre part à l’effort démocratique birman.
7. L’Europe et l’Occident ne doivent avoir que peu d’influence car le commerce et les investissements vers la Birmanie ne sont pas déterminants ?
Pendant la décennie 1990/2000, les états occidentaux ont financé 65% des investissements directs étrangers en Birmanie. Quelque unes des meilleures partenaires commerciales du régime ont été des multinationales occidentales incluant Total (France), Unocal (USA), et British American Tobacco (UK) qui a annoncé son retrait de Birmanie le 6 novembre 2003.
8. Ne devons nous pas être sûrs que les sanctions fonctionnent avant de les imposées ?
Nous devons d’abord être d’accord sur le sens du mot " fonctionnent ". Certains gouvernements européens ont posé une seule condition à l’adoption d’une politique de sanctions pour la Birmanie ; ces sanctions sur la Birmanie ne doivent pas être imposées si l’on ne peut pas être sûr qu’elles " fonctionnent ". En réalité, il y a peu de décisions, en matière de politique nationale ou étrangère, qui exigent la garantie de sa réussite avant son adoption. Les états européens ont soutenus des politiques de sanction commerciales, menées contre d’autres états, qui ne remplissaient pas ce critère. La plupart des politiques sont fondées sur une analyse rationnelle de la situation qui en résultera, tout en prenant en compte les limites de ce qu’ils peuvent raisonnablement espérer accomplir.
Par ailleurs, le mouvement démocratique birman ne considère pas les sanctions comme une solution rapide destinée à apporter le changement. Les sanctions représentent un instrument fondamental destiné à amener les militaires à la table des négociations. Des sanctions combinées avec une initiative diplomatique pousseront les pragmatiques, parmis les officiers militaires et leurs associés, à faire pression pour le changement.
9. Si l’UE se retire et ferme ses marchés à la Birmanie, les compagnies et les marchés asiatiques ne vont-ils pas simplement venir combler le vide ?
On rapporte souvent que la majorité des investissements en Birmanie proviennent d’Asie. Cependant, cela n’est vrai qu’en terme d’obligation d’investir car les états asiatiques s’obligent pour 4,26 milliards $, soit 60% de toutes les obligations depuis 1990. Pendant les dix dernières années, les états occidentaux ne se sont engagés que pour 2,89 milliards $. Toutefois, ces états ont assuré 80% des engagements pris. Les états asiatiques n’en ont assuré que 31%.
Alors que les investissements européens ont été parmis les plus stratégiquement importants pour le régime, la récente exode de certaines compagnies et la décision prise par d’autres de ne pas investir fournit une opportunité d’affaiblir un peu plus les soutiens du régime. Les investisseurs asiatiques ne sont pas venu combler le vide. Au contraire, beaucoup d’entre eux sont prudents face à la mauvaise gestion économique du régime. Toutefois, leur attitude pourrait toujours changer et c’est pourquoi l’UE doit, en plus de la mise en place d’une interdiction européenne sur les importations birmanes, faire pression pour l’exercice de sanctions sous mandat de l’ONU en Birmanie. Tant que de telles sanctions ne seront pas mises en place par l’ONU, l’UE assurera qu’aucune compagnie européenne majeure ne fera pencher la balance de la puissance économique du côté de la junte.
10. Les voisins de la Birmanie, l’Inde et la Chine ne feront-ils pas échouer toute forme d’embargo ?
Les sanctions prises par le Conseil de Sécurité sont légalement contraignantes et doivent être respectées par tous les pays limitrophes. Dans l’absence de mesures onusiennes, les mesures européennes interdiront les investissements en Birmanie en provenance d’états européens et l’importations vers l’Europe de certains biens et services birmans.
Si la Chine se penche réellement sur la situation birmane, elle comprendra que ses intérêts clés ne sont pas protégés par l’actuel régime militaire. La sécurité militaire chinoise peut nécessiter de maintenir de bonnes relations avec Rangoun. Mais progressivement, la Birmanie cause de plus en plus de soucis à son voisin chinois et plus particulièrement dans la province du Yunnan et les provinces avoisinantes. Sur le long terme, la position du régime birman ne peut se maintenir face aux menaces constantes de l’instabilité et de la rébellion civile qui pourrait bien devenir une réalité ; la drogue et le virus VIH/Sida traversent les frontières chinoises et l’économie birmane s’effondre. Elle ne représente plus un marché prometteur pour les productions chinoises et ne peut plus constituer une force d’impulsion économique au sein de la région et plus particulièrement dans la province du Yunnan et ses alentours. Le régime ne propose pas à la Chine l’étendue de ce qu’il devrait garantir, et les intérêts propres de la Chine sont de moins en moins bien servis par le régime militaire de Rangoun.
The Burma Campaign UK
www.burmacampaign.org.uk