Birmanie>Net Hebdo n° 66 - 06 mai 2004
La lettre d'information hebdomadaire d'Info Birmanie



Sommaire 

  • Sanctions, engagement ou une autres voie pour aller de l’avant
    Nouveau rapport de " International Crisis Group " - n°78



Nouveau rapport de " International Crisis Group " - n°78

" Birmanie : Sanctions, engagement ou une autre voie pour aller de l’avant "
Un rapport de l'International Crisis Group
traduit par Carole Veisseire pour Info Birmanie

Le texte qui suit est l'adaptation en français d'un rapport de l'ICG daté de avril 2004.
Le rapport original est consultable sur le site de l'ICG
http://www.crisisweb.org
à l'adresse suivante:
http://www.crisisweb.org/home/index.cfm?id=2677&l=1
sous le titre: Sanctions, Engagement or Another Way Forward



RESUME ET RECOMMANDATIONS


Rangoun/Bruxelles – 26 avril 2004

L’International Crisis Group (ICG) est une organisation multinationale indépendante et sans but lucratif de plus de 100 employés répartis sur cinq continents. Ceux-ci produisent des analyses faites sur le terrain et un plaidoyer de haut niveau dans le but de prévenir et de résoudre des conflits.
La Convention nationale en Birmanie, en sommeil depuis le milieu des années 1990, doit être re-convoquée le 17 mai 2004. Si Daw Aung San Suu Kyi et Tin Oo, député de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) sont libérés avant son ouverture et si la NLD a une réelle possibilité de participer à ses travaux, le processus de Convention pourrait fournir l’occasion de dépasser l’impasse politique désolante dans laquelle la Birmanie se trouve depuis l’écrasement du mouvement pro-démocratique de 1988.
Cela étant dit, il est difficile de savoir si le gouvernement militaire birman a cette fois davantage la volonté que celle montrée dans le passé de mettre en place un processus sincère et satisfaisant de réformes constitutionnelles. Bien que le gouvernement ait été remanié et qu’une feuille de route en sept points pour permettre une réforme constitutionnelle et politique ait été annoncée en août dernier, en réponse à la pression internationale faisant suite aux événements du 30 mai 2003,  la situation réelle est que la junte concentre toujours tout le pouvoir entre ses mains, qu’elle souhaite le garder pour toujours, et qu’elle ne montre aucun signe d’enthousiasme supplémentaire par rapport à ce qu’elle a déjà montré dans le passé pour une rapide transition vers une système démocratique sincère et complet. Le remaniement du gouvernement en août dernier a vu le général Than Shwe lâcher son poste de Premier ministre en faveur du responsable des services secrets, le lieutenant général Khin Nyunt ; ce dernier n’étant cependant en aucune façon un démocrate et restant sous le contrôle de la ligne dure de l’armée au pouvoir.
Ainsi, il y a un réel risque qu’à la place d’une percée politique longuement attendue, l’heure soit plutôt au retour à la situation de la décade précédente et à une période prête à rejouer, avec les mêmes acteurs, le même scénario et vraisemblablement la même fin. Les seuls éléments permettant un certain optimisme sont que Khin Nyunt soit sensible aux demandes de libération de Aung San Suu Kyi et de lui donner un rôle dans la transition démocratique, qu’il semble chercher une forme d’arrangement avec les autres forces politiques du pays et enfin qu’il apparaît conscient de la nécessité de faire un progrès signifiant au niveau politique avant que la Birmanie ne prenne la présidence tournante de l’ASEAN en 2006. Son ascension ouvre au moins un espace pour les officiels et les fonctionnaires, qui ont pris conscience des limites de l’approche actuelle  pour la construction de la nation et le développement économique au moment où le pays fait face à une de ses plus sérieuses crises humanitaires. Dépassant le cadre de l’idéal, la nouvelle feuille de route fournit au moins une chance de débuter un processus de changement politique et économique sur le long terme.
Si le pays bouge, les principaux adversaires auront à vaincre le conflit de plus de cinquante ans à l’origine de la crise de gouvernance actuelle, à l’origine d’une situation humanitaire très grave. La Birmanie a besoin d’urgence d’une nouvelle constitution qui organise pas seulement la répartition du pouvoir central mais qui prenne en compte l’autonomie locale et les droits des différentes ethnies composant le pays. Des institutions solides doivent être édifiées excluant toutes forces armées et dominées par l’ensemble des composantes de la sphère publique. Il est très important de promouvoir les conditions favorables pour une croissance économique globale ainsi que d’apaiser la lutte pour le contrôle des rares ressources du pays, racine du conflit à tous les niveaux de la société.
La question qui se pose sans cesse à la communauté internationale est de savoir comment aider au mieux la Birmanie pour que ce changement ait lieu : comment tous les joueurs peuvent-ils favoriser l’apparition d'un contexte propice au changement positif ? Il est donc nécessaire de reconnaître que les approches développées jusque-là ont été inefficaces. Ni les pays occidentaux, qui ont insisté sur la réforme démocratique, ni les voisins de la Birmanie, qui avaient pour priorité la stabilité régionale et le commerce, n’ont permis de mettre fin à l’impasse politique en Birmanie qui empêche tout progrès. La junte tient fermement le pouvoir pendant que l’économie demeure irréformable et instable périodiquement. Les conflits ethniques se poursuivent, ainsi que le trafic de drogue, l’immigration illégale, et la propagation du sida, chacun étant une menace pour la sécurité régionale.
Par ailleurs, les sanctions ont figé une situation qui ne porte pas en elle son progrès. La junte, en dépit de ces multiples échecs politiques, est restée au pouvoir depuis 1962, et il n’y a aucune indication pour que la pression extérieure puisse vaincre dans un avenir prévisible sa volonté et sa capacité de le conserver. Au contraire, les sanctions – aussi longtemps qu’elles ne seront pas appliquées de manière universelle (aucun signe ne semble indiqué que ce soit le cas aussi bien à l’ONU que dans la région) – confirme la suspicion des leaders nationalistes que l’Ouest a pour seul but de dominer et exploiter la Birmanie, et renforce ainsi leur volonté de résister et de se maintenir au pouvoir.
Le mouvement pro-démocratique, symbolisé courageusement par Aung San Suu Syi, reste en vie dans le cœur et l’esprit de millions de personnes ; mais dans ces conditions économiques, politiques et sociales aussi déprimées, ce dernier n’a pas la force intérieure de porter en lui le changement politique. Les sanctions peuvent fournir le soutien moral pour que l’opposition engage la bataille, mais elles contribuent aussi à une stagnation générale en maintenant le plus de personnes dans le piège de la bataille quotidienne de la survivance.

La croyance profonde de l’Occident que juste un peu plus de pression pourrait mettre fin au régime de la junte a peu de fondements objectifs. Cette dernière n’est pas partagée par les voisins de la Birmanie ainsi que par les partenaires commerciaux qui eux s’opposent à toute méthode coercitive. Si les sanctions ne peuvent qu’être une sorte de coup symbolique sur le poignet du régime, il est réellement nécessaire de permettre qu’une diplomatie plus flexible, impliquant l’ensemble des pays voisins et des alliés et initiant des actions prometteuses pour l’avenir qui permettent d’aider le pays à surmonter les nombreux obstacles à son développement économiques et politiques, voit le jour.

Mais une telle diplomatie nécessite clairement d’être bien plus résolue que ce que l’on voit aujourd’hui, des stratégies d’engagement molles et frileuses qui satisfont les pays voisins mais qui ont visiblement échoué à produire un changement positif à l’intérieur de la Birmanie.

" La voie vers l’avant " proposée par l’ICG dans ce rapport contient trois aspects conçus pour combler le fossé entre les positions et intérêts occidentaux et régionaux selon une logique qui maintient la pression en faveur de réformes, mais qui en même temps fait croître les capacités et la volonté de rendre effectives les réformes en Birmanie.

En premier lieu, la communauté internationale - incluant aussi bien des membres conciliants qu’adversaires – a besoin de redéfinir ses objectifs fondamentaux vis-à-vis de la Birmanie afin d’équilibrer ce qui est désirable de ce qui est plausible, réalisable. Parmi les autres choses à admettre - cependant beaucoup d’entre eux voient les choses autrement - est d’une part que les résultats des élections de 1990, installation d’un gouvernement dirigé par la LND, ne seront pas appliqués dans un futur proche et d’autre part que la réforme constitutionnelle sera réalisée obligatoirement de manière progressive.

En second lieu, les références pour un changement ont besoin d’être identifiées, comme ce fut le cas dans le passé, et utilisées de manière constructive. Cela demande plus de flexibilité dans le système des sanctions ainsi que la réalisation d’un accord sur le retrait progressif de l’armée de la gestion politique du pays, source d’un progrès tangible pour la réforme politique et constitutionnelle ; enfin que les références de base aiguillonnent la reprise du prêt international et autres mesures de soutien financier au développement économique.

Troisièmement, un environnement positif pour le changement devrait été créé par la communauté internationale grâce à un soutien, sans aucune référence à des conditions préalables, à des programmes de prévention et de résolution des conflits, de mise en place d’institutions, de plans pour un développement économique et surtout d’aide humanitaire dirigée vers les populations vulnérables.

Mais avant qu’une de ces stratégies puissent se développer, il y a deux conditions préalables qui doivent être réunies et être des principes de base de la diplomatie de l’Ouest : Aung San Suu Kyi doit être totalement libre et un réel dialogue politique et constitutionnel doit se mettre en place pendant et au-delà de la Convention nationale.

Les partenaires de la Birmanie au sein de l’ASEAN ont un rôle particulier et une responsabilité à encourager le changement nécessaire, un changement qui devient urgent en raison du désastre de relations publics dont ils souffriraient indubitablement si aucun progrès signifiant se produisait en Birmanie avant que ce pays prenne la présidence de l’organisation en 2006. Et le rôle de médiateur et de facilateur de l’ONU continue à être crucial quelque soit la politique que la communauté internationale mènera. Ce qui aiderait immédiatement le secrétaire général à développer et proposer au Conseil de sécurité un plan crédible pour un engagement dans un processus de feuille de route est l’inclusion des objectifs et des références présents de ce rapport.

Les problèmes de la Birmanie ne sont pas solvables de loin, et il n’y a aucune stratégie, nouvelle ou ancienne, qui peut les résoudre rapidement et de façon spectaculaire. Cependant, à long terme, une stratégie internationale compréhensible qui travaille de manière constructive avec le gouvernement et la société, non pas uniquement sur les problèmes politiques immédiats, mais aussi en exposant les faiblesses du système actuel, en promouvant des politiques alternatives et en renforçant les forces de changement de l’intérieur, pourrait faire la différence alors qu’une aide immédiate et ponctuelle ne fait que renforcer la souffrance du peuple.

Mettre tout cela en pratique immédiatement requiert plus d’attention, plus de ressources et une collaboration et une coordination étroites entre les pays occidentaux et asiatiques au sein des institutions internationales multilatérales. 
    
Recommandations :

1/        l’ensemble de la communauté internationale devra insister sur deux conditions préalables à tout changement politique :
a- la libération totale de Aung San Suu Kyi de toutes les formes de détention ;
b- le début d’un sérieux dialogue politique et constitutionnel aussi bien pendant qu’après la Convention nationale

2/        si ces deux conditions préalables sont respectées, la communauté internationale, conduite par le secrétaire général de l’ONU, devra adopter une approche politique incluant :
a- de repenser les objectifs fondamentaux pour la Birmanie, équilibrant ce qui est souhaité et ce qui est réalisable ;
b- de fixer des références au changement politique et constitutionnel en les utilisant comme conditions à un allégement des sanctions pesant sur la junte et à un soutien au développement économique ;
c- de créer un environnement favorable au changement en soutenant sans conditions la prévention et la résolution des conflits, la mise en place d’institutions, un plan pour un développement économique et une aide humanitaire aux populations vulnérables.

3/        les objectifs réalistes pour la Birmanie devront inclure, en premier lieu :
a- des améliorations immédiates au niveau politique, incluant la libération de tous les prisonniers politiques, la liberté de mouvement et d’association pour touts les participants au processus politique ;
b- des progrès vers une constitution démocratique ouvrant la voie vers l’intégration la plus large de tous les groupes politiques dans le gouvernement ;
c- des progrès au niveau économique et social.

4/    les références à suivre devront être développées par les pays appliquant des sanctions, en particulier l’Union européenne et les Etats-Unis,  en consultation avec et sous le conseil du secrétaire général de l’ONU ; leur réalisation devrait être guidé par la progressive levée des sanctions :    
a- libération de tous les prisonniers politiques ;
b- le liberté de circulation et d’association de tous les participants au processus de réforme constitutionnelle ;
c- l’intégration complète de la NLD et des minorités ethniques au sein du processus de réforme constitutionnelle :
d- l’obligation de rédiger un échéancier respectable pour la conduite et la réalisation des résultats du processus ;
e- la disparition et la mise en œuvre de garanties légales au respect des droits de l’homme ;
f- l’établissement d’un gouvernement de transition ;
g- tenu convenable d’élections libres.

5/        de telles références devront aussi être utilisées comme aiguillons, au moment où la réforme politique et constitutionnelle sera en cours, pour :
a- fournir des crédits de la Banque mondiale, du FMI et de la Banque asiatique de développement lorsque le gouvernement mettra effectivement en oeuvre des politiques économiques créant un environnement de croissance ;
b- assister pour la réalisation d’infrastructures en particulier et autres projets de développement incluant la réhabilitation des centrales électriques et des services vitaux ;
c- accéder aux marchés de textile et autres biens manufacturiers européens et américains.

6/        sans conditions, davantage de soutien international devra être donnée à la prévention des conflits et leur résolution à l’intérieur de la Birmanie, en particulier par le biais de :
a- efforts continus et toujours intensifiés des voisins de la Birmanie pour favoriser un environnement permettant des accords de cessez-le-feu et des pourparlers de paix entre la junte et les minorités ethniques en insurrection ;
b- l’expansion de l’assistance humanitaire internationale en direction des minorités ethniques et le développement d’un plan sur le long terme pour la reconstruction post-conflit dans ces zones ;
c- formation et assistance par les bailleurs de fonds internationaux fournissant de l’aide à la participation des minorités ethniques aux négociations de la future constitution.

7/        sans conditions, davantage de soutien international devra être donnée à la construction d’institutions à l’intérieur de la Birmanie, par le biais de :
a– renouvellement et augmentation de l’aide japonaise et de l’Asean en direction de la réforme des services civils et de la capacité à les construire à tous les échelons du pouvoir incluant les programmes pour les administrations locales dans les régions spéciales ;
b- commande par l’Onu d’un rapport sur l’état des secteurs privés et indépendants qui examinera la structure, les capacités et les activités des parties politiques, de la société civile et des compagnies privées et développera les mesures permettant leur future croissance ;
c- développement par la communauté d’un programme d’aide se fondant sur le rapport, spécifiquement en formant et aidant les secteurs clefs indépendants ayant fait l’objet d’une étude de leur degré de liberté par rapport au gouvernement ;
d- extension de la disponibilité de bourses internationales, de voyages d’étude et de placements à long terme de Birmans dans les institutions internationales visant aussi bien les officiels que les parties politiques, les organisations de la société civile et les prochaines générations de leaders et administrateurs.

8/        sans conditions, davantage d’aide internationale devra être donnée pour la réalisation d’un plan de développement économique, en particulier par :
a- l’établissement par les donneurs internationaux d’un groupe d’aide à la Birmanie et la désignation d’un interlocuteur ou envoyé spécial qui jouera un rôle similaire à celui de R. Ismail et P. S. Pinheiro dans le domaine des droits politiques et humains ;
b- encourager le FMI à établir des bureaux locaux à Rangoon pour faciliter le dialogue politique et une large consultation avec les groupes pertinents et étendre leurs connaissances de base ;
c- modifier le mandat spécial de l’UNDP pour permettre à l’équipe de l’Onu d’engager un réel dialogue politique avec le gouvernement, et permettre à l’Onu de fournir une assistance à une part plus large de la population.

9/     sans conditions, davantage d’aide international humanitaire devra permettre d’accéder aux groupes vulnérables, particulièrement par les agences d’aide et les organisations internationales :
a- utiliser l’accès d’une aide humanitaire plus importante comme point d’entrée au dialogue avec les militaires en raison de leur vulnérabilité systématique ;
b- travailler, autant que c’est possible, à faire que les différentes parties des conflits politiques, économiques et religieux travaillent ensemble pour planifier, exécuter de projets d’assistance ;
c- établir deux détachements spéciaux communs pour permettre la sécurité alimentaire et l’éducation de base et le développement d’un projet de reconstruction des communautés et des économies le long de la frontière ;
d- développer les efforts de la Croix Rouge pour protéger les populations civiles des zones de conflits ;
e- mettre en œuvre l’accord de l’OIT avec le gouvernement birman signé en mai 2003 sur un plan d’action d’élimination du travail forcé et mettant l’accent sur les mécanismes nouveaux pour faciliter les actions juridiques des victimes ;
f- reprendre les programmes de formation aux droits de l’homme en mettant l’accent sur le personnel militaire et les institutions où ils ont travaillé.

10/        le secrétaire général de l’Onu devra :
a- promouvoir le rôle actuel de l’envoyé spécial de l’ONU en nommant un représentant spécial avec un mandat plus large et proactif ;
b- développer, avec l’avis et l’assistance du représentant spécial, un plan crédible permettant un engagement international à la feuille de route, prenant en compte les objectifs et les références contenus dans ce rapport ;
c- visiter la Birmanie afin de faire comprendre aux leaders militaires l’importance que l’Onu attache au processus de réconciliation nationale.

11/        l’Asean et ses membres devront :
a- faire pression sur la junte pour qu’il s’engage à finaliser la rédaction de la constitution et à organiser des élections libres et justes avant qu’elle prenne la présidence de l’Asean en 2006 ;
b- offrir une assistance appropriée pour assurer une exécution efficiente et dans le temps des engagements spécifiques pris ;
c- dire clairement qu’en l’absence de tout progrès majeurs dans la réalisation des références négociées, les préparatifs de la présidence de 2006 seront modifiés.

12/        la Chine, l’Inde et les autres voisins de la Birmanie devront faire état clairement de leur soutien aux efforts de l’Onu pour promouvoir la réconciliation nationale et user de leur influence pour persuader la junte de reconnaître le besoin urgent d’une réforme politique et économique substantielles.


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